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Pierre Mansat et les Alternatives

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Le confinement, une question politique, une tribune d'Eric Charmes dans Libération

TRIBUNE
Le confinement, une question politique

Par Eric Charmes, directeur de recherche en études urbaines, urbanisme et aménagement, ENTPE, Vaulx-en-Velin. — 20 mars 2020

La Chine se targue aujourd’hui d’avoir stoppé la propagation du coronavirus qui se répand partout déjantés sur la planète. Il est beaucoup trop tôt pour dire si cet arrêt est définitif, mais ces résultats sont déjà remarquables. Ce constat a invité la France, et beaucoup d’autres de ses voisins, à décider le confinement des populations. La méthode a en effet été mise en œuvre de manière massive et très restrictive par la Chine à Wuhan et dans la province du Hubei. Cependant, les modèles qui circulent depuis ces derniers jours montrent que le confinement pourrait être long. Un article publié dernièrement dans le New York Times par des spécialistes (Ezekiel Emanuel, Susan Ellenberg et Michael Levy) suggère que, sans autres mesures, et sauf découverte d’un traitement, le confinement comprendra plusieurs phases de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En effet, après chaque période de confinement, le virus réémergera jusqu’à ce qu’une nouvelle saturation du système hospitalier se profile, obligeant à un nouveau confinement. Et encore n’est-il pas garanti qu’à la fin, une grande partie de la population n’aura pas été infectée, avec les conséquences que l’on commence à savoir en termes de santé.
Hors des questions sanitaires, sur lesquelles je n’ai guère de compétences, un tel confinement a des coûts très élevés. Des coûts économiques d’abord. Les milliards qui pleuvent ces derniers jours en donnent une idée. Des coûts sociaux et humains ensuite. Beaucoup de personnes, de ménages ne tiendront pas longtemps. Tout le monde en effet n’a pas les moyens d’être confiné dans sa résidence secondaire en bord de mer. Les prisons commencent déjà à bouillir. Des personnes seules s’angoissent. Des couples mal assortis suffoquent. Les personnes âgées sont isolées de leurs proches. Dans les logements suroccupés des familles pauvres, des tensions montent. Dans les quartiers populaires, ceux qui vivent de l’économie informelle savent que le gouvernement ne compensera pas leurs pertes (1). Et ceux qui sortent tous les jours pour travailler se posent aussi des questions. Ils s’interrogent sur leur droit de retrait, car ils ont peur d’être malades et ils ont raison, vu le peu de moyens de se protéger et de protéger les autres qu’on leur donne. Pourrons-nous tenir, devons-nous nous demander ? La Chine a eu les moyens d’imposer un confinement extrêmement dur. Nos démocraties libérales le pourront-elles sans se renier ?
Compatibilité avec la démocratie
Ces questions ne visent pas à désespérer. Elles doivent être posées, car d’autres options existent. D’abord, trouver un traitement ou un vaccin, mais rien n’est garanti et ce n’est de toute façon pas pour tout de suite, disent les experts. En attendant, l’option consistant à laisser le virus se diffuser en espérant obtenir une hypothétique immunité collective était il y a peu privilégié par de nombreux pays (dont semble-t-il la France, même si le gouvernement ne semble pas avoir eu le courage de ses convictions, contrairement à Boris Johnson). Cette option a l’avantage de ne guère affecter l’activité économique, d’autant que la maladie touche avant tout des personnes âgées et des personnes déjà malades, qui, d’un point de vue strictement économique, sont des charges pour la société. Cette considération a probablement pesé, au moins inconsciemment, lorsque les pays occidentaux ont décidé de laisser le virus venir, plutôt que de tenter de le stopper. Mais les populations ont fort heureusement d’autres considérations. Elles sont attachées à leurs aînés et ne semblent pas prêtes à consentir à ce qu’ils disparaissent en masse. En outre, la maladie ne fait pas que des morts, beaucoup de ceux qui sont atteints subissent une rude épreuve avant de guérir. L’un des premiers malades en Italie, un homme de 38 ans très sportif, a passé dix-huit jours en soins intensifs. La perspective est assez dissuasive.
Une autre option, inspirée des expériences singapouriennes et coréennes notamment, suscite aujourd’hui un intérêt croissant. Le cas de la Corée du Sud est sans doute le plus intéressant, car ce pays revendique la compatibilité de son approche avec la démocratie. Dès le départ en effet, le gouvernement sud-coréen a considéré qu’une démocratie ne pouvait pas suivre la voie choisie par la Chine. La Corée a certes fermé ses écoles, interdit les rassemblements, confiné des «foyers» épidémiques, mais dans ce pays de 52 millions d’habitants, les gens continuent à vivre comme la France avant le confinement qui a débuté mardi. Outre les désormais célèbres «mesures barrières» (complétées par le port du masque) et la distanciation sociale, le pays a mis en place une politique de contrôle strict de la diffusion du virus, avec notamment un suivi très intrusif des déplacements des personnes qui apparaissent contaminées. Par ailleurs, les personnes malades, mais ne nécessitant pas une hospitalisation, sont strictement confinées chez elles si leurs symptômes sont très légers ou regroupées dans des bâtiments dédiés à leur accueil. Le résultat est que le pays a très fortement aplati la courbe de diffusion du virus. Très loin devant la France en nombre de cas début mars (la Corée du Sud a été prise par surprise par la membre d’une secte très contagieuse et refusant d’être contrôlée, aujourd’hui connue sous le nom de «patiente 31»), elle est désormais derrière.

Ce modèle sanitaire est aujourd’hui défendu par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, mais est-il transférable en France ? Difficile de le dire. Les politiques sanitaires suivent par exemple des trajectoires très différentes depuis des années, avec aujourd’hui un nombre de lits d’hôpitaux par habitant très supérieur en Corée. D’après les données de l’OCDE, la Corée du Sud a aujourd’hui 12 lits de tous types pour 1 000 habitants, deux fois plus que la France, ceci alors que les deux pays en avaient encore le même nombre en 2007. Voilà un sujet dont on reparlera quand il faudra faire le bilan de la crise. Mais la question n’est pas seulement affaire d’équipements de santé : les rapports à l’autorité et aux organisations collectives ne sont aussi pas les mêmes. En outre, face à l’épidémie, la France est partie sur une autre voie que la Corée du Sud. Est-ce que le confinement actuel peut permettre de changer de trajectoire pour rejoindre la voie coréenne ?

Comment organiser ces lieux avec humanité?
Les politiques coréennes ont de toute façon aussi été appliquées à Wuhan. Il faut donc se préparer à ce qu’elles soient reproduites en France et pour cela en débattre en termes politiques. Deux débats semblent d’ores et déjà importants à lancer. Le premier est que penser de la gestion par la Corée des cas les moins graves ? Les lieux de rassemblement ne risquent-ils pas de vite ressembler à des «camps» ? Comment organiser ces lieux avec humanité ? Le second concerne le respect de la vie privée. En effet, pour rationaliser l’usage des tests (dont le nombre est limité) et mieux repérer les personnes potentiellement contaminées, la Corée utilise toutes les traces laissées par entre autres les téléphones ou les cartes de crédit pour retrouver les contacts des malades. Comment peut-on donner un tel pouvoir à un gouvernement ?

S’il se confirme que la Corée du Sud peut être un modèle à suivre, il est urgent que notre pays se saisisse de ces questions. Pour cela, notre gouvernement devra écouter non seulement celles et ceux qui ont un savoir spécialisé mais aussi la société civile. Le conseil scientifique constitué par le gouvernement l’a souligné dans son avis du 12 mars, la crise a des dimensions politiques, sociales et économiques majeures. Ces questions ne peuvent être confisquées par les experts. Il faut donner la parole à la population, lui permettre de débattre en connaissance de cause des mesures d’une ampleur coercitive inédite auxquelles elle doit déjà se soumettre. C’est cela rester une démocratie. La convention citoyenne pour le climat ou le «grand débat» qui a suivi le mouvement des Gilets jaunes l’ont montré, la population sait se montrer pertinente quand on lui donne la parole. D’ailleurs, en Grande-Bretagne, c’est la population qui oblige Boris Johnson à réorienter progressivement sa stratégie face à la crise sanitaire. Reste à savoir l’écouter. La confiance demandée par le gouvernement est à ce prix.

(1) Voir les travaux du collectif Rosa Bonheur.

Eric Charmes directeur de recherche en études urbaines, urbanisme et aménagement,

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