14 Février 2020
Dans le cadre de mon soutien à la liste "Montluçon, changeons la donne" , je republie ce texte important de Martin Vanier,
professeur à l’École d'Urbanisme de Paris [ Université Paris-Est]
Qu’est devenu « le petit Manchester français » ? Son repli durant les cinquante dernières années a été presqu’aussi brutal que l’avait été son avènement au milieu du 19ème siècle. De 1840 à 1890, la population de Montluçon a été multipliée par 5 ; de 1968 à 2016 elle a fondu des 2/5ème.
Tous les territoires connaissent des cycles de développement, avec des phases de prospérité et des phases de déclin. Partout, le problème qui leur est posé un jour ou un autre c’est de ne pas rester prisonnier d’une de ces phases de déclin, et, en quelque sorte, de ne pas « sortir de l’histoire ». Ce problème est actuellement très aigu dans les territoires qui, comme Montluçon, conjuguent à la fois une difficile bifurcation économique ou fonctionnelle (quelles richesses produire ? A quoi sert-on ?), et un relatif isolement dans le système des territoires (avec qui se relancer ? comment reprendre place ?).
Montluçon a connu un premier âge d’or, de l’avènement du Duché du Bourbonnais (fin 15ème) à la Révolution française. Elle rate alors le virage politique structurant pour les territoires (c’est Moulins qui devient préfecture) et connaît un premier « cycle B » de 50 ans, de 1790 à 1840. Puis vient le temps des canaux, du chemin de fer, des forges et des aciéries, et c’est le deuxième âge d’or, de 1840 à la fin des années 1960, avec un trou d’air de 1900 à 1914, une première relance avec l’arrivée de Dunlop (1920) et de la Sagem (1924), et une seconde dans la période fordiste qui fait de Montluçon non plus une ville mais une agglomération industrielle. A partir des années 1970, un grand virage industriel défavorable à la place fait entrer cette agglomération dans un deuxième cycle B, dont elle n’est pas sortie encore. Comment construire le renouveau ?
Premier champ d’action : redonner aux Montluçonnais cette estime collective de soi, cette confiance dans ce qu’on est, représente au regard des autres, cette fierté, cette dignité, sans lesquelles il n’y a pas de capacités collectives à « se rétablir ».
Avant on souffrait, on se battait, mais on comptait, et aujourd’hui ? (Pierre Mothet). Il faut renarcissiser les habitants qui souffrent d’un trouble de l’idéal (Monique Eleb).
Et pour cela, en vrac et sans ordre de priorité : de la culture du patrimoine (sans nostalgie de ce qu’on a été, ndlr), de l’engagement culturel, « des espaces libres pour rêves citoyens » (Sarah Dubeaux, à propos des friches et de leur potentiel), l’envie des lieux urbains, une nouvelle offre d’habiter (pas seulement d’habitat), qui « redonne au collectif les qualités de l’individuel » (Monique Eleb), la lutte contre la solitude, l’isolement, et pour cela l’obsession de construire un territoire de services pour tous, qui sont aujourd’hui un des liants majeurs de la société (santé, éducation, soutien aux âges de la dépendance, …), et de nouvelles ambitions surtout (tourisme et économie récréative ? Économie de la transition écologique ? …)
Et si la crise durable de Montluçon était due au fait que pour la première fois de son histoire, c’est à elle (ses habitants) de définir ce qu’elle veut être ? Ni à l’État et ses décrets de localisation ou de fonction, ni aux grands investisseurs de plus en plus lointains, mais à la société que le territoire rassemble ou qu’il pourrait attirer, à condition qu’elle sache exprimer une unité d’ambition.
Intéressante divergence, sur ce plan, entre la stratégie assumée par Soissons, présentée par son DGS, et la posture de Guéret, défendue par son maire :
Voyez-vous plus grand que vous ne l’êtes (Gonzague de Sandevoir, qui prône l’accueil des firmes mondialisées, la montée en gamme tertiaire, la captation de formations supérieures en IUT et BTS, et le grand projet urbain d’extension urbain volontaire).
On est des gilets jaunes en écharpe… on nous a supprimé des emplois ! (Michel Vergnier, tenant du « bouclier rural », de « Guéret ville oxygène », et qui promet qu’ « il y aura une inversion un jour », mais ne dit pas laquelle).
Inversion jouable à 100 km de la région parisienne, mais pas dans la Creuse ? Faux, répond Julien Mezzano (Nouvelles ruralités) qui raconte « l’innovation anecdotique » des habitants des campagnes, qui, à coup d’équipements numériques associatifs, de « comptoirs des campagnes » et autres « épiceries culturelles », sont parfois en train de changer la donne, là où personne ne vient distribuer les cartes.
Et inversion qui tient moins du retour aux recettes connues (tant celle du développement par les grandes firmes exogènes, modèle Soissons, que celle du droit au secours de l’État, modèle Guéret), que des nouvelles voies du développement au 21ème siècle, en Europe : le développement de nouveaux épanouissements dans la décroissance (Sarah Dubeaux ; à moins qu’il faille plutôt parler de post-croissance, ndlr) ; et le développement par la résilience au changement climatique et la nouvelle économie des ressources écologiques (perche régulièrement tendue dans le débat, mais jamais vraiment saisie).
Avec quelques pistes pour Montluçon, de ces ressources déjà là qu’il s’agirait de faire rejouer, de réenchanter, de réinventer : le bocage bourbonnais et ses paysages devenus rares, l’Allier et le 2ème stock de châteaux de France après la Dordogne (!), la vallée du Cher, la « belle petite ville » (plutôt que « la ville moyenne abandonnée ») et son gisement culturelo-historique, le thermalisme auvergnat, l’économie de la transition. Mais alors…
Sortez de votre territoire ! (Priscilla De Roo). Cette ville moyenne n’est en fait que la tierce partie d’une « vraie ville » Moulins-Vichy-Montluçon (Simon Ronai).
Paradoxe de cette situation urbaine jugée ultra-pénalisante vue d’ailleurs : à force d’être loin de tout, en situation de confins de trois régions (Auvergne Rhône-Arles, Centre Val de Loire, Nouvelle Aquitaine), elle n’est somme toute loin de rien, au milieu de la France, ce dont atteste son intense activité d’accueil de congrès, regroupements nationaux, championnats, etc.
Le problème est-il que l’effondrement de l’offre ferroviaire, en particulier vers Paris hypothèque toute stratégie de repositionnement (conviction typiquement parisienne et médiatique) ? Ou bien que le monde politique local s’avère particulièrement peu motivé pour se construire au-delà des échelles communales rassurantes : l’agglomération, le territoire (celui du SCoT, par exemple, si peu présent dans les débats), le réseau des villes à 100 km à la ronde, etc. ? Difficile d’initier un changement de regard, sur soi (I), sur ce qu’on veut devenir (II), et sur sa position parmi les autres (III), quand le débat politique local mijote dans l’étroit chaudron communal dont personne, ni à Montluçon ni autour, semble n’avoir réellement envie de sortir (et que les trains ne passent plus).
Conçue à l’origine comme une rencontre consacrée aux villes moyennes industrielles en crise, avec l’ambition de les rassembler (Roanne, Vierzon, Le Havre, St-Nazaire, Dieppe, …), ce beau moment d’échanges collectifs a moins construit un discours catégoriel, que retrouvé les sujets fondamentaux posés à tous les fragments de société en leurs territoires, quels qu’en soient les contextes : qu’est-ce qui nous assemble ? Que proposons-nous aux autres ? Comment nous représenter (au sens des représentations comme des représentants) ? Les seuls territoires vraiment panne sont ceux qui ne se posent plus ces questions fondamentales.
Martin Vanier