Dans les années 1950 à 1970, elles ont connu leurs heures de gloire. Éclipsées depuis par les métropoles, les villes moyennes semblent aujourd’hui épouser les mouvements d’une société en recherche d’équilibre, d’espace et de sens.
C'est une note du Conseil d’analyse économique en date du 20 janvier qui pourrait marquer un tournant. Le CAE, chargé d’éclairer les choix du gouvernement, y évoque « la géographie du mécontentement », « la revanche des lieux qui ne comptent pas ».
Dans cette allusion implicite au mouvement des Gilets jaunes, l’observatoire indépendant placé auprès du Premier ministre admet « les effets négatifs » de la concentration de l’emploi aux mains « d’une dizaine de métropoles dynamiques ». Avec des corollaires comme une « forte tension sur le logement », « la congestion, la pollution » dans les grandes aires urbaines…
« Travailler là où nous voulons vivre »
« C’est la première remise en cause officielle du tout-métropole et de la start-up nation », exulte Jean-Christophe Fromantin. Le maire de Neuilly savoure en particulier l’une des recommandations du CAE : « […] soutenir l’emploi là où les gens résident même lorsque le contexte économique est moins porteur. »
Depuis des années, Jean-Christophe Fromantin milite pour « travailler là où nous voulons vivre » – le titre de son dernier livre – et non plus « vivre là où il y a du travail », schéma hérité d’un XXe siècle industriel et qu’il estime obsolète.
« À l’ère des réseaux et du numérique, depuis la Creuse et son ordinateur, on a accès à plus d’informations qu’à la bibliothèque de la Sorbonne il y a vingt ans ! »
« La technologie doit servir l’homme et ses aspirations, poursuit-il. Si c’est pour mettre des couches d’intelligence artificielle dans des métropoles où on vit serré comme des sardines, ça n’a aucun sens. »
La population des villes moyennes compte une part plus élevée de retraités que la moyenne française et moins de cadres. Photo Stéphanie Para
Proches de la nature sans être isolées
Or, en matière d’aspirations, les villes moyennes remplissent toutes les cases, soutient-il. « Ce sont des lieux d’équilibre qui répondent à l’appétence d’aujourd’hui pour l’espace, le local, la proximité de la nature mais sans être isolés, avec toutes les fonctionnalités de la cité, les hôpitaux, les écoles, les commerces », énumère l’élu dont le « road-trip » en 2017, avant les législatives, l’avait mené à Épernay, Decize, Nevers, Vouvray, Bourgueil, Langeais, Tonneins, Marmande…
On nous serine que plus on est grand, plus on est performant. C’est faux ! Olivier Bouba-Olga (Economiste)
« On nous serine que plus on est grand, plus on est performant. C’est faux ! », réagit l’économiste Olivier Bouba-Olga. « Ce n’est pas la taille qui compte, ce sont les compétences, les spécialisations, les savoir-faire souvent hérités du temps long, poursuit cet universitaire qui explore et interroge les territoires. Des métropoles comme Nice ou Rouen ne vont pas très fort alors que des villes moyennes comme Vitré, Figeac ou Issoire affichent des taux de création d’emploi de 10 %. Dans cette ville du Puy-de-Dôme de 15.000 habitants, des entreprises du monde entier viennent chercher des compétences dans le domaine aéronautique. »
« L'innovation est partout »
Pour le chercheur poitevin, nulle obligation de s’adosser à la locomotive de la métropole pour tracer sa route et trouver son chemin. « Vu de Paris, la Nouvelle-Aquitaine, c’est Bordeaux alors que l’innovation est partout, à Niort, Poitiers, Pau, Bayonne, La Rochelle, loin d’une métropole, certes dynamique, mais qui souffre de l’explosion des prix fonciers et de la gentrification de son centre-ville », renseigne-t-il.
43 % des Français aimeraient habiter dans une ville moyenne contre 35 % dans une commune rurale et 22 % dans une grande ville. Ce sont les villes de 5.000 à 30.000 habitants qui rencontrent le plus de faveurs. 90 % des Français plébiscitent les villes moyennes pour leur proximité avec la nature, 85 % pour leur tranquillité et autant pour leur cadre de vie, 79 % pour leur sécurité. 40 % des habitants des villes moyennes jugent que leur territoire est attractif en matière d’emploi contre 72 % dans les métropoles. 43 % des Français estiment que les élus locaux sont les plus à même d’améliorer la situation de l’emploi sur leur territoire contre 28 % pour les entreprises locales et 24 % pour le gouvernement. Enquête Ipsos/Baromètre des Territoires (octobre 2018)
Comparée à celle de l’ensemble du pays, la population des villes moyennes (15,6 millions d’habitants environ) compte une part plus élevée de retraités, en particulier sur le littoral (Fréjus, Royan, Sète…) et moins de cadres (6,2 %, contre 9 %). Entre 2008 et 2013, le taux de chômage y a augmenté de 2,8 points, alors qu’il ne progressait que de 2 points en moyenne dans le pays. À 17,8 %, le taux de pauvreté des villes moyennes est également plus élevé (14,8 % sur l’ensemble du territoire français), dépassant même 25 % dans des villes comme Abbeville ou Carcassonne, indique le Commissariat général à l’égalité des territoires.
« Se remettre en ordre de marche »
Dans ces cités qui souffrent, le coup d’arrêt s’est avéré souvent d’autant plus douloureux qu’il a succédé à une période de forte croissance économique et démographique depuis l’après-guerre jusque dans les années 1970. « Durant ces décennies-là, les villes moyennes ont participé au mouvement général d’industrialisation et d’urbanisation. Elles ont également été des centres de modernisation économique, sociale et politique », note le géographe Frédéric Santamaria, enseignant-chercheur à Grenoble.
« Cette dimension de laboratoire peut aider certaines villes aujourd’hui en déclin à se remettre en ordre de marche. Leur taille permet plus facilement de tester, d’expérimenter et de trouver des modèles qui puissent irriguer le territoire environnant », estime-t-il.
A 17,8%, le taux de pauvreté des villes moyennes est plus élevé que l'ensemble du territoire français (14,8%). Photo AFP/ Sébastien Bozon
« L’État doit sortir de son silence »
Selon Jean-Christophe Fromantin, « l’État doit sortir de son silence », et « sanctuariser les villes moyennes » pour ne plus « laisser planer le doute » dans l’esprit de ceux qui souhaitent y investir. « Entrepreneurs, artisans, commerçants, particuliers, collectivités, il n’y a rien de plus déprimant que de les voir reculer, renoncer par peur de l’avenir, de la menace qui plane sur une gare, une maternité, une université… »
La stratégie défendue par le maire divers droite de Neuilly passe aussi par un maillage territorial resserré où la distance à une ville moyenne n’excéderait jamais vingt minutes – une heure trente à une métropole – avec des connexions physiques et numériques au reste du monde « accessibles à tous ».
Cette recherche d’une qualité de vie, d’un bien-être est imparable puisque profonde
Jean-Christophe Fromantin (Maire de Neuilly)
Au citoyen, le dernier mot ?
Car il est en convaincu, le citoyen aura le dernier mot. « Je suis confiant. Cette recherche d’une qualité de vie, d’un bien-être est imparable puisque profonde. Partout dans le monde, elle s’exprime, en Asie, en Europe, aux États-Unis, et avec elle, un élan très fort pour les villes moyennes restées proches de la nature. Respirer un bon air, manger des produits sains, voir ses amis, profiter de sa famille, on ne peut rien faire contre cette vague de fond si ce n’est, en tant que politique, en prendre la mesure et l’accompagner. »
Pour Jean-Christophe Fromantin, l’avenir tient en une formule : « La mode est à l’agriculture urbaine, à pousser la campagne dans la ville. Mais pourquoi, inversement, ne pourrait-on pas pousser la ville à la campagne ? »
«Villes moyennes, miroirs de la société »
Les sujets de mécontentement « particulièrement forts » qui remontaient des villes moyennes ont poussé Ipsos et Mathieu Gallard, directeur d'études, à les analyser de plus près. C’était en octobre 2018, juste avant le mouvement des Gilets jaunes.
Dans votre enquête, on est frappé par le nombre de Français (86 %) convaincus que les centres des villes moyennes sont en train de mourir. Les villes moyennes ne sont pas homogènes, certaines souffrent beaucoup, d’autres sont en très bonne santé. Mais le sentiment général qui s’en dégage dans l’opinion publique est celui d’un relatif abandon de la part de l’État, assorti d’un déclin des services publics et des commerces de proximité.
Quand on touche au centre, on touche au cœur ? C’est dans le centre que se situent a priori toutes les fonctions essentielles de la ville, administratives, économiques, sociales. S’il se trouve dévitalisé, la mort n’est pas loin dans les esprits. Mais depuis 2014, ce sujet est pris à bras-le-corps par les candidats aux municipales et l’État s’en est fait l’écho, en 2018, avec l’action « Cœur de ville » au profit des centres de 222 villes moyennes.
Il n’empêche que le sentiment que les pouvoirs publics favorisent les métropoles et Paris reste très fort pour 80 % des Français. Ce jugement existe depuis plusieurs années mais il s’est encore amplifié avec l’arrivée d’Emmanuel Macron. Le sentiment que le pouvoir favorise les Français les plus aisés, les grandes entreprises est identique vis-à-vis des métropoles, notamment Paris, jugées privilégiées au détriment du reste de la France.
Malgré tout, cette ville moyenne fait rêver. Comment expliquer qu’elle soit le lieu de vie préféré des Français ? Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, les Français sont ambivalents. D’un côté, ils veulent avoir accès à un minimum de services publics, d’activités sociales, de commerces. D’un autre côté, ils recherchent la tranquillité sans passer trop de temps dans les transports avec une qualité de vie satisfaisante, notamment environnementale. La ville moyenne leur apparaît être la mieux armée pour parvenir à cet équilibre.
En quoi ces villes sont-elles des « miroirs de la société » comme vous le suggérez ? Elles se situent à la rencontre de deux aspirations fortes même si elles peuvent paraître contradictoires : une vie saine, plus écologique mais aussi toujours plus de choix dans ses modes de consommation. Pourtant, je n’ai pas l’impression que l’on se dirige vers une France des villes moyennes comme c’est le cas en Italie ou en Allemagne. Dans notre pays, les métropoles, Paris en particulier, conservent un rôle économique prépondérant.
Nathalie Van Praagh