10 Janvier 2020
Par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières
La nouvelle ne va pas faire plaisir au secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. L’âge d’équilibre (ou âge pivot) figure en toutes lettres dans l’avant-projet de loi réformant le système de retraite, que le gouvernement vient d’envoyer au Conseil d’Etat, ainsi qu’à des caisses de Sécurité sociale, et que Le Monde a pu consulter.
Conformément à ce qu’avait déclaré le premier ministre, Edouard Philippe, le 11 décembre 2019, devant le Conseil économique, social et environnemental, l’âge pivot, qui vise à faire travailler plus longtemps les actifs et à résorber le déficit du système de pensions, entrera progressivement en vigueur à partir de 2022 pour atteindre 64 ans en 2027. Sauf si les partenaires sociaux trouvent une solution alternative : ils auront jusqu’au 1er septembre 2021 pour se mettre d’accord, à travers une « délibération », sur « les modalités d’atteinte de l’équilibre financier de l’ensemble des régimes de retraite de base en 2027 ».
Mardi, M. Berger avait réclamé le retrait de l’âge pivot. A ses yeux, il aurait même été de « bon ton » qu’une telle décision soit prise d’ici au rendez-vous prévu vendredi 10 janvier à Matignon avec les organisations syndicales et patronales pour discuter du financement du système.
Le projet du gouvernement, qui vise à instaurer un régime universel de retraite par points, sera débattu en séance à l’Assemblée nationale à compter du 17 février, après avoir été présenté en conseil des ministres le 24 janvier. Deux textes seront examinés : un projet de loi ordinaire et un autre, organique, qui définiront les paramètres du système cible. Les questions touchant notamment aux transitions seront renvoyées à des ordonnances. La procédure accélérée, qui implique une seule lecture par Chambre, pourrait ne pas être retenue, contrairement aux premières indications recueillies par Le Monde. La réforme devrait être adoptée en mai ou en juin, sachant que plusieurs thématiques (telles que les transitions ou les taux et assiettes de cotisation) devraient être renvoyées dans des ordonnances qui seront prises d’ici à 2022.
L’âge légal d’ouverture des droits restera fixé à 62 ans. Seront également préservés plusieurs dispositifs spécifiques déjà existants (comme les carrières longues) et les dérogations en faveur de certaines fonctions régaliennes (policiers, agents de la pénitentiaire, douaniers…), qui leur permettent de réclamer le versement de la retraite de façon anticipée. A partir de 2022, le minimum de pension sera porté à 1 000 euros net pour une carrière complète, puis il atteindra, trois ans après, 85 % du smic.
Les salariés dont le temps de travail est comptabilisé en jours sur une année (et non pas en heures) bénéficieront de la retraite progressive – une mesure qui offre la possibilité de percevoir sa retraite tout en occupant un poste à temps partiel. Ceux qui redémarrent une activité professionnelle après avoir liquidé leur pension acquerront de nouveaux droits à la retraite, ce que la loi ne prévoit pas aujourd’hui.
La réforme s’appliquera dès 2022 pour les assurés nés à partir de 2004 – c’est-à-dire les nouveaux entrants sur le marché du travail. En 2025 seront concernés tous ceux qui commenceront à partir à la retraite en 2037 (soit les personnes nées à partir de 1975). La transition sera différente pour les fonctionnaires et les salariés des régimes spéciaux, qui peuvent liquider leur pension plus tôt que les autres actifs : la première génération concernée sera 1980 pour ceux qui peuvent partir à 57 ans et 1985 pour ceux qui ont la faculté de demander leur retraite dès 52 ans.
L’une des rares nouveautés annoncées jeudi porte sur la réversion. Jusqu’à présent, il était prévu qu’elle soit attribuée à compter de 62 ans : l’exécutif a finalement choisi d’abaisser cet âge à 55 ans. Le nouveau mécanisme, qui ne sera pas assujetti à des conditions de ressources, entrera en vigueur à partir de 2037 : il permettra à la personne veuve de conserver « 70 % des points acquis de retraite par le couple ».
Le futur système universel sera piloté par une instance de gouvernance, que le gouvernement « souhaite équilibrée », entre l’Etat, le Parlement et les partenaires sociaux. Les organisations d’employeurs et de salariés disposeront d’un pouvoir décisionnaire : elles seront notamment associées à la fixation de l’âge pivot et détermineront les conditions d’un départ à la retraite à taux plein. Une « “règle d’or” imposant l’équilibre du système » leur sera dictée : il s’agira de faire en sorte que les comptes ne soient pas dans le rouge, en raisonnant sur des périodes de cinq ans. Si cet impératif n’est pas respecté, « la loi de financement de la Sécurité sociale de l’année fixe une nouvelle trajectoire » budgétaire.
Enfin, le texte énonce un engagement : celui « d’une revalorisation salariale » au profit des enseignants et chercheurs qui leur garantit « un même niveau de retraite (…) que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique ». Il dit aussi que les marins et les navigants de l’aviation civile feront l’objet d’un traitement à part, codifié dans des ordonnances : dans le cas des pilotes, des hôtesses de l’air et des stewards, l’un des objectifs poursuivis est de maintenir la caisse de retraite complémentaire autonome qui existe déjà.
Compte tenu des nombreuses discussions lancées ces derniers jours avec les partenaires sociaux, que ce soit sur l’âge pivot ou la pénibilité, le gouvernement ne s’interdit pas de modifier sa copie, d’ici au 24 janvier par la voie de lettres rectificatives adressées au Conseil d’Etat, ou ultérieurement, en défendant des amendements pendant les débats parlementaires.