Tribune. Dans un contexte de forte tension identitaire où les musulmans et les personnes de culture musulmane sont pris en tenaille d’un côté par les islamistes et salafistes souhaitant imposer leur vision conservatrice et réactionnaire de l’islam par l’intermédiaire d’une pression morale et communautaire (logique développée par les Frères musulmans) ou par la violence (logique des jihadistes) et de l’autre par des racistes anti-musulmans voyant dans la présence de musulmans et l’existence de mosquées sur le sol national l’expression d’une colonisation à l’envers amenant des activistes d’extrême droite à légitimer l’utilisation de la violence terroriste, la gauche se fracture.

En effet, dans un climat d’hystérisation médiatico-politique à propos du voile islamique et du débat sur l’«islamophobie», une partie de la gauche signe l’appel «Stop à l’islamophobie» invitant à marcher dans les rues de Paris, le 10 novembre, contre la stigmatisation des musulmans de France. Suite à l’attentat de Bayonne, marcher pour dire non à la haine contre les musulmans et leurs lieux de culte paraît indispensable à tous ceux qui combattent le racisme. En revanche, ce qui fracture la gauche c’est que cet appel contre la stigmatisation des musulmans revendique le terme «islamophobie» qui est utilisé stratégiquement par ceux qui refusent toute critique de l’islam et confondent sciemment le racisme contre les musulmans avec le questionnement de l’islam et de ses interprétations.

Alors que le débat fait rage au sein de la gauche depuis plus d’une décennie sur la signification et l’application de la laïcité et les revendications identitaristes et racialistes portées par des activistes décoloniaux accusant l’Etat de racisme structurel, des responsables politiques de gauche non classés à l’extrême gauche dont Jean-Luc Mélenchon (LFI) et l’ensemble du groupe parlementaire La France insoumise, Yannick Jadot (EE-LV), Benoît Hamon (Génération·s – ancienne tête de liste du PS à la présidentielle), Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT), cèdent aux logiques émotionnelles (cette marche s’est construite après l’agression verbale d’une femme voilée au conseil régional de Bourgogne - Franche-Comté par un élu du Rassemblement national et à l’attaque de la mosquée de Bayonne et de ses fidèles par un ex-militant du Front national) en signant l’appel «Stop à l’islamophobie» initié notamment par des mouvements d’extrême gauche (NPA, Union communiste libertaire) et des organisations affichant des positions identitaristes (Comité Adama, Unef) et islamistes (CCIF, L.e.s. Musulmans). En effet, ces personnalités politiques appellent à marcher dans les rues de Paris aux côtés d’organisations identitaristes et islamistes qui n’interrogent pas l’ambivalence du terme «islamophobie» mais bien au contraire, le revendiquent.

Malaise

Au lieu d’appeler l’ensemble des mouvements de la gauche humaniste, progressiste et émancipatrice à se fédérer pour combattre la haine et les discriminations racistes contre les musulmans, ces responsables de partis de gauche ou d’organisations syndicales appellent à défiler avec une cinquantaine de personnalités, d’intellectuels et d’universitaires dont beaucoup appartiennent ou soutiennent des organisations politiques et religieuses radicales appartenant à la nébuleuse des identitaristes et racialistes décoloniaux (organisation des «Marches de la dignité» et de la lutte contre le racisme - 31 octobre 2015 et du 19 mars 2017 - à Paris) qui légitime la non-mixité raciale dans certaines luttes et agit pour imposer une pratique ostentatoire de l’islam à tous les musulmans.

De fait, même si certaines personnalités de gauche, au-delà d’une logique politicienne clientéliste à destination des français musulmans, se sont «naïvement» saisis de cet appel pour opportunément dénoncer la stigmatisation des musulmans, leur alliance contre-nature avec des personnalités et organisations identitaristes, racialistes et islamistes est une grave erreur politique. D’ailleurs, certains signataires ont déjà exprimé un certain malaise. Des responsables politiques ont fait savoir que bien qu’ils ne retiraient pas leur signature ils n’iraient pas manifester. Par exemple, le député de La France Insoumise François Ruffin a indiqué sur France Inter qu’il irait jouer au foot comme tous les dimanches. Le dirigeant d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), Yannick Jadot, a expliqué à l’Agence France-Presse qu’il ne se rendrait pas non plus à la marche car il ne validait pas l’ensemble du texte qu’il avait mal lu mais continue à approuver la démarche sur le fond.

Erreur politique

En appelant à marcher avec des activistes islamistes, ces personnalités de gauche participent à légitimer les organisations politico-religieuses proches des frères musulmans affirmant défendre les intérêts de l’ensemble des musulmans alors qu’elles agissent pour les essentialiser comme les représentants d’une seule communauté de croyants (Oumma), leur imposer un référentiel islamique dont le port du voile et faire penser qu’ils représentent la seule interprétation légitime de la religion musulmane en France et en Europe.

En appelant à marcher avec des islamistes, ces personnalités de gauche adoptent un discours victimaire porté par les salafistes et décoloniaux (tous les musulmans sont les victimes de l’oppression occidentale), reconnaissent, en creux, que toute critique de l’islam et interrogation sur les significations du port du voile islamique est une forme de racisme appelée «islamophobie».

En appelant à marcher avec les islamistes et décoloniaux pour défendre «les musulmans», ces personnalités de gauche adoptent une posture paternaliste et essentialiste.

Marcher avec les islamistes et décoloniaux est donc bien une erreur politique majeure puisqu’elle renforce la division de la gauche sur la place que l’on doit accorder aux revendications identitaires et communautaires dans l’organisation sociale et politique, légitime les (anti-)mouvements et personnalités communautaristes, racialistes voire racistes qui combattent le modèle intégrationniste historique de la société française et sert les intérêts de l’extrême droite nationaliste et xénophobe qui dénonce l’influence grandissante d’organisations racistes anti-françaises et islamistes mettant en péril l’unité de la France.

Dans une société multiculturelle en proie à des tensions multi-racistes, manifester contre les pratiques et comportements xénophobes, racistes et antimusulmans nécessite une forte éthique de responsabilité loin des logiques clientélistes et électoralistes de la part des responsables politiques de gauche, autrement dit, de ne pas accepter de convergences des luttes avec les ennemis des valeurs universelles de la République sous peine de participer à sa fracturation. Après des violences contre une synagogue ou une église, ces mêmes personnalités de gauche accepteraient-elles de manifester derrière des organisations radicales ethno-différencialistes juives ou chrétiennes ?