17 Octobre 2019
Gare du Nord, une nouvelle tribune dans Le Monde, qui démonte les arguments de La SNCF:
La Gare du Nord mérite le meilleur.
Mais où est le meilleur ?
Au train où vont les choses, les choses où vont les trains cesseront bientôt d’être des gares » (Pierre Dac). Nous y sommes. La commission nationale d’aménagement commercial a donné son feu vert à la partie commerciale du projet de la gare du Nord. Pour notre part, nous persistons et (re)signons. Ce projet doit être revu en profondeur. Les explications et les justifications données par ses promoteurs sont trompeuses. L’énorme augmentation du trafic postulée portera surtout sur le trafic de banlieue, très peu concerné par les aménagements projetés.
La halle sera bel et bien défigurée par les passerelles et les dalles. La surface commerciale, comme le disent les défenseurs du projet, sera « seulement quadruplée » : nous vous laissons juges. Les trajets des voyageurs seront bien allongés et compliqués. L’ouverture sur le quartier sera minimale et l’horizon métropolitain, l’impact sur les commerces des communes situées au-delà du périphérique, restera ignoré.
Choisir le vide
Mais le plus important n’est pas dans ces aspects techniques. Il est dans l’esprit même du projet. Vous avez raison, M. Pepy, la gare du Nord n’est pas une gare comme les autres. On y arrive de Roissy, d’Amsterdam, de Londres, d’Amiens et aussi de Saint-Denis, de Stains, d’Aulnay-sous-Bois, de Sarcelles… A ce double titre, comme vous le dites, elle mérite le meilleur. Personne n’a envie d’un rafistolage médiocre. Mais où est le meilleur ? A l’inverse de ce que vous préconisez. La vraie modernité, la vraie rupture n’est pas dans le bourrage bétonné de mètres carrés rentables, avec des dalles partout, des escalators, des labyrinthes de boutiques clinquantes. Ce modèle banal d’aéroport globalisé sera aussi démodé dans dix ans que les centres sur dalle des années 1970 qui ont défiguré tant de nos villes de province.
La vraie modernité, la vraie rupture, ce serait le choix inverse : celui de l’espace retrouvé, du vide, de la fluidité, de la simplicité, de la lumière, de la sobriété, de la frugalité même. La magnifique triple nef de Hittorf rendue à sa netteté première, en belle entente avec la lumineuse gare Transilien. Et le parvis réinventé, pour une transition apaisée avec la ville. Les voyageurs aiment trouver des services dans les gares, dit-on. Sans doute. Gageons qu’ils apprécieraient aussi et surtout plus d’espaces ouverts, confortables, clairs, et surtout désencombrés.
Si Paris veut se distinguer, voilà le choix qui s’impose, celui qui remettrait notre capitale en vedette, tellement mieux qu’un énième centre commercial boursouflé. Le coût serait considérablement inférieur aux 600 millions annoncés. Mais, nous le savons bien, le vide coûte alors que le plein rapporte. C’est la question de fond : l’Etat, la région la plus prospère du continent, la ville qui possède l’un des plus beaux patrimoines du monde ne sont-ils plus capables de financer un espace public majeur, somme toute modeste au regard de tant d’autres projets ?
Marc Barani, architecte, Grand Prix national d’architecture 2013 ; Patrick Bouchain, architecte, Grand Prix de l’urbanisme 2019 ; Karen Bowie, historienne de l’architecture ; Paul Chemetov, architecte ; Jean-Louis Cohen, historien de l’architecture et de l’urbanisme, professeur invité au Collège de France ; Anne Demians, architecte ; Bruno Fortier, architecte et urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2002 ; Florence Lipsky, architecte ; François Loyer, historien de l’art et de l’architecture ; Jacques Lucan, architecte, historien, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ; Michel Lussault, géographe à l’ENS Lyon ; Ariella Masboungi, architecte et urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2016 ; Jean Nouvel, architecte, Praemium Impériale 2001, Prix Pritzker 2008 ; Dominique Perrault, architecte, Praemium Impériale 2015 ; Antoine Picon, historien, architecte, université de Harvard ; Virginie Picon-Lefebvre, architecte ; Philippe Prost, architecte ; Nathan Starkman, ingénieur et urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 1999 ; Jean-Louis Subileau, urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2001 ; Laurent Théry, économiste, urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2010 ; Pierre Veltz, ingénieur, sociologue, Grand Prix de l’urbanisme 2017