14 Juillet 2019
Les métropoles sont devenues comme ces châteaux-forts d’autrefois dont il serait sage d’abaisser les ponts-levis avant de les voir assiégés. La métropolisation c’est la triple concentration dans des aires géographiques restreintes: des activités économiques et des emplois ; des opportunités de progression sociale et notamment des écoles ; du dynamisme démographique. Pire encore c’est la fraction la plus centrale des métropoles qui attire. Le mirage pavillonnaire s’est évanoui avec la dégradation du niveau des établissements scolaires périphériques, l’éloignement des bassins d’emplois et l’écrasement d’une mobilité supposée infinie sur la congestion et la hausse du prix des carburants. Les prix de l’immobilier dans les départements de grande couronne de l’Ile-de-France sont stables sur les cinq dernières années alors qu’ils sont en hausse de 11 % en petite couronne et de 20 % à Paris. Dans ces cœurs métropolitains, la demande de logements explose alors que l’offre de biens disponibles à la location comme à la vente se tarit.
Les métropoles sont devenues impénétrables et le rêve de la propriété est de plus en plus réservé à quelques-uns. Aussi, seulement 31 % des ménages parisiens et 33 % des ménages new-yorkais sont propriétaires de leur résidence principale contre respectivement 56 % et 63 % au niveau national. Le prix au mètre carré à Paris a atteint son point bas en 1997 à 2 515 euros. Il vient récemment de dépasser les 10 000 euros. Même en considérant que les conditions exceptionnelles de crédit ont permis de doubler la capacité d’emprunt des ménages, l’effort à fournir n’est plus soutenable.
Et cela ne risque pas de changer. 36 000 appartements s’échangent chaque année contre 50 000 en 1999. Pour le neuf, le constat est encore pire, 400 ventes contre 4 000 au début des années 2000. 8 % des logements sont vacants à Paris et 8 % sont des résidences secondaires, sans parler de ceux enregistrés comme résidence principale mais occupés entre six et huit mois par an. Parce que le coût de détention d’un bien immobilier est faible - la taxe foncière représente environ 0,1 % de la valeur des biens - et que les perspectives de hausse des prix sont solides, les propriétaires actuels ne sont pas pressés de vendre.
Évidemment l’aire urbaine de Paris déborde largement ses frontières administratives de 1860. Mais le même phénomène gentrification s’y déroule. Ce terme, forgé pour décrire le remplacement des catégories populaires par des professions intermédiaires dans le Londres des années 60, touche aujourd’hui la classe moyenne elle-même. Les familles d’enseignants, d’infirmières ou de secrétaires doivent faire face à la concurrence des étudiants ou de jeunes professionnels de la finance ou du digital préférant la centralité - la fameuse classe créative chère à Richard Florida -. D’ailleurs le parc de logements est aussi spécialisé pour ces publics, ainsi la moitié des appartements sont des studios ou deux-pièces.
La barrière est double. Un rejeton de la classe moyenne qui aurait connu une mobilité ascendante se verrait tout aussi bloqué. Il faut en effet cumuler hauts revenus et haut patrimoine pour acheter. Puisque les prix de l’immobilier atteignent des sommets, on échange de plus en plus de l’immobilier contre de l’immobilier. L’héritage et la transmission patrimoniale déterminent la capacité d’accéder à la propriété en ville. Au Royaume-Uni, un jeune sur cinq comptait sur un don ou un prêt de sa famille pour devenir propriétaire en 2000, désormais c’est un sur trois.
La concurrence n’est d’ailleurs pas que française, elle est mondiale, entre touristes et investisseurs fortunés. D’un côté, Airbnb est pointé du doigt pour sa responsabilité dans la crise du logement, transformant des millions d’appartements en hôtels. De l’autre, près de 300 milliards de dollars ont quitté la Chine entre 2012 et 2016 pour des investissements immobiliers à l’étranger. Les étrangers représentent déjà 8 % des acheteurs parisiens et les Français non-résidents 4 %.
Les métropoles renvoient les classes moyennes au loin. Pour embaucher des enseignants ou des médecins, les rectorats ou les hôpitaux n’hésitent plus à recruter des étrangers, souvent célibataires, qui vont accepter de moins bonnes conditions de logement, ou à construire leurs propres logements, corons des temps modernes. Aux États-Unis, la start-up Landed propose aux enseignants étranglés de financer la moitié de leur apport en échange d’un partage de la plus-value à la revente du bien.
Certes, en France, il existe le logement social. Près de 200 000 lots rien qu’à Paris. Mais les chances d’y accéder sont minces car celui-ci est de moins en moins un tremplin. Les ménages modestes déjà en place y ont vieilli du fait de l’absence d’alternative. Par conséquent, la durée moyenne d’occupation d’un logement social est passée, sur les trente dernières années en Ile-de-France, de 9 à 15 ans, se rapprochant de celle de l’occupation en propriété, à 18 ans. Au moins un quart des logements sociaux de la métropole parisienne sont occupés par des retraités.
Mais le vent est en train de tourner. À Dublin, San Francisco en miniature, où les Irlandais ont vu les géants du numérique faire venir des milliers d’employés étrangers grassement payés, le groupe Reprenons la ville a occupé les locaux d’Airbnb. À Berlin, l’opposition a ciblé Google qui a renoncé à ouvrir un bureau dans le quartier populaire de Kreuzberg. À New-York, activistes, syndicalistes et responsables associatifs ont repoussé Amazon hors du Queens ouvrier. Dans les Mémoires d’Hadrien, le vieil empereur se demandait comment faire durer Rome et retarder «le moment où les barbares au-dehors, les esclaves au-dedans, se rueront sur un monde qu’on leur demande de respecter de loin ou de servir d’en bas». Nous y sommes.
Robin Rivaton est économiste, entrepreneur et membre du conseil scientifique de la Fondapol. Il vient de publier La ville pour tous aux éditions de l’Observatoire.