14 Juin 2018
Le Grand Paris, urgence économique
Toutes les hypothèses sur la gouvernance du Grand Paris sont sur la table, mais le calendrier a disparu des écrans radars. Or, un Grand Paris stabilisé et ambitieux serait une assurance de croissance pour la France entière. Par Alain Cluzet, directeur général des services de Courbevoie et prix Haussmann 2018.
Le Grand Paris subira-t-il le même sort que l'Exposition universelle ? Dans les deux cas, une ambition internationale affichée, plusieurs rapports présentés, des engagements publics réitérés mais, au bout de dix ans l'abandon du projet d'exposition et une immense incertitude pour le Grand Paris. Lancé en 2007 sous la Présidence Sarkozy, ce projet de création d'une métropole mondiale s'est étalé sous trois présidences de la République et a déjà justifié autant de lois.
Dès avant son élection, Emmanuel Macron a prévenu de sa volonté de réforme rapide et de clarification du dispositif institutionnel mis en place début 2016, dispositif déjà largement amendé par son prédécesseur. Mais un an après, les interrogations demeurent et se sont même accentuées : Métropole Région ou Région Métropole ? Départements maintenus en 1ère couronne ou abandonnés ? Etablissements publics territoriaux confirmés et dotés d'une fiscalité propre ou supprimés ? Communes confortées dans leurs missions de proximité ou simples variables d'ajustement ? Toutes les hypothèses sont encore sur la table et le calendrier, sans cesse repoussé, a désormais disparu des radars.
Le coût économique de l'incertitude
Ce coût est majeur. Dans une étude sur la compétitivité des villes globales, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris Ile-de-France a évalué à 250 milliards d'euros annuels le PIB supplémentaire que pourrait générer une gouvernance économique coordonnée et lisible à l'échelle du Grand Paris, gouvernance fondée sur un plan stratégique clair et hiérarchisé, pas un catalogue de bonnes intentions. Soit une croissance de PIB portée à 3% dans la métropole avant 2025, un gain net de plus de 1% en moyenne annuelle. Exit le bonus, mais quel est d'ores et déjà le coût de de la désorganisation liée à l'incertitude et aux multiples revirements ?
La compétence économique est à ce jour partagée entre six niveaux de pouvoirs publics, hors l'Europe qui applique également ses propres règles : l'Etat par le biais notamment des agréments bureaux, la Région qui coordonne les principales interventions, la Métropole dont l'économie est aussi une compétence obligatoire, les Départements qui n'ont jamais réellement arrêté toute action économique, les nouvelles intercommunalités à qui la loi accorde également cette compétence et enfin les communes qui ne l'ont plus mais qui continuent faute de clarifications.
Une situation kafkaïenne
Imaginons un instant le calvaire d'un investisseur international Greenfield dans une situation aussi kafkaïenne. Sans un bac+12 en sciences administratives, il a peu de chances de mener à bien son projet. Et que penser des 740.000 entreprises actuelles du Grand Paris ? Quel développement envisager dans un contexte aussi confus ? Le coût de l'incertitude, ce sont aussi cent cinquante collectivités locales qui n'investissent plus au-delà de deux ans, faute de clarté sur le devenir de leurs compétences comme de leurs ressources (DGF, péréquations, taxe d'habitation...).
Or, à elles seules, ces collectivités représentent plus de 20 milliards d'euros de dépense publique annuelle dont près du tiers de seul investissement. Ces collectivités comptent également plus de 200.000 cadres et agents territoriaux, un potentiel humain considérable mais dont l'efficacité serait bien supérieure s'ils étaient dotés d'une vraie feuille de route. Le coût de l'incertitude c'est enfin celui du temps, vecteur de compétitivité trop minimisé en France.
Dix ans perdus, c'est colossal à l'ère du temps intensif dans des métropoles en mutation continue. En une décennie, le monde s'est bouleversé et le gap s'est accentué avec nos concurrents. Rien qu'en Chine, une dizaine de mégacités directement concurrentes sont apparues sur le marché mondial. D'autres comme New York, Chicago, Séoul, Londres ou Berlin ont connu une vraie régénérescence. Dans la mondialisation, ne rien décider est toujours la pire des décisions.
Pas de croissance durable sans métropole
Sauf à imaginer que Paris puisse se satisfaire du seul atout patrimonial et rester en concurrence avec Venise, Prague ou Rome, la capitale est condamnée à affronter la mondialisation et ses règles car Il n'est plus de croissance économique structurelle sans moteur métropolitain. Le top 100 des économies mondiales compte cinquante Etats, dix grands groupes et déjà quarante métropoles.
Deux métropoles se situent parmi les vingt premières : Tokyo qui dépasse l'Arabie Saoudite, le Canada, l'Espagne, la Turquie et New-York qui supplante également l'Australie, l'Iran, la Pologne et l'Egypte. L'Île-de-France figure à une honorable 32ème place, presque au niveau du Grand Londres. La métropole, soit 2/3 de la Région, représente à elle seule le quart du PIB national, part sans cesse croissante comme partout ailleurs dans le monde. D'où l'inflation d'investissements dans la plupart des métropoles, investissements parfois plus d'image que productifs mais le plus souvent associés à de grandes infrastructures et au soutien à l'innovation comme à la qualité de vie et l'attractivité.
Assez logiquement, les grandes métropoles s'organisent et engagent un schéma stratégique pour identifier les points forts et offrir un cadre clair aux investisseurs. Aucune des métropoles mondiales de 1er rang hors Paris (Londres, Tokyo, New York) ni même parmi celles qui suivent (Chicago, Séoul, Hong-Kong, Singapour, Berlin, Los Angeles) n'est dépourvue d'un tel plan car aucun secteur n'échappe désormais à une concurrence internationale de plus en plus féroce.
Paris 3ème place des investissements internationaux neufs
La mondialisation a ses règles propres, en premier lieu la vitesse : vitesse des décisions, des échanges, des mutations. Et si les métropoles ont acquis une place prépondérante dans cette nouvelle étape de la mondialisation, c'est d'abord lié à leur formidable capacité d'accélération des flux. Nulle part ailleurs que dans une métropole mondiale, il n'est possible d'accéder à autant d'innovations, de créatifs, d'entrepreneurs, de jeunes hyper formés et de financeurs. Elles sont désormais à la source des principaux investissements productifs mis ceux-ci n'ont jamais été aussi fluides et aucune place n'est garantie durablement.
S'adapter, toujours s'adapter sans sacrifier son identité et ses fondamentaux, c'est le challenge le plus difficile. Selon l'observatoire KPMG, Paris bénéficie d'un premier effet post Brexit très favorable et atteint en 2018 la 3ème place mondiale des investissements internationaux neufs. Qu'en serait-il si de plus la métropole présentait cohérence et lisibilité ? C'est un moment exceptionnel à saisir, a fortiori dans un contexte de repli relatif des Etats-Unis. Un Grand Paris stabilisé et ambitieux serait une des meilleures assurances de croissance pour le pays, une tête de pont essentielle pour les métropoles régionales.