9 Mars 2018
Réalisé par Cecile Gintrac, publié dans Vacarmes.
Pour vous mettre en appetit ce court extrait:
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Quand vous en appelez à un « droit à la ville », donnez-vous à cette formule le même sens qu’Henri Lefebvre, à qui vous l’avez empruntée ?
Lefebvre a été pour moi d’une importance décisive pour ses réflexions sur la congruence, dans chaque société, entre les espaces social, physique et mental. Mais je dois reconnaître que je ne sais pas bien ce qu’il a voulu dire par « droit à la ville ». J’emploie cette formule comme un signifiant vide. Tout le monde a le sentiment qu’il a un droit à la ville. Ce consensus étant posé, on peut commencer à débattre sur ses modalités concrètes, et sur la façon dont on peut reprendre collectivement le pouvoir dans les processus d’urbanisation. Les signifiants vides sont donc utiles comme point de départ à la confrontation. À New-York, le droit à la ville est aujourd’hui préempté par un maire millionnaire, son administration, des financiers et des promoteurs. De plus en plus d’espaces publics y étant contrôlés par des entreprises, le public n’a plus accès à l’espace public. À Washington Square Park, les musiciens qui y ont toujours joué librement sont maintenant refoulés. Plusieurs millions de dollars ont été consacrés au réaménagement du parc, un processus de concertation a été mis en place, mais quand les gens ont voulu s’en saisir, l’architecte a répondu que ce serait comme ça et pas autrement. Résultat, les surfaces plantées ont augmenté, c’est devenu un bel endroit ultra-surveillé, où on peut s’asseoir le jeudi sur telle pelouse, le vendredi sur telle autre, etc.
L’une des revendications du mouvement Right To The City porte sur la transformation d’un grand nombre d’espaces en lieux publics qui soient véritablement ouverts. Il y a là d’ailleurs un combat intéressant à mener en termes de politique américaine : la Constitution garantit le droit de réunion et de manifestation, mais il n’y a plus d’espace public pour exercer ce droit, puisque ceux qui tentent de manifester se font déloger. Il y a quelques temps, nous avons tenté d’organiser une manifestation contre la convention nationale des Républicains. Nous voulions Central Park, mais c’est aujourd’hui un espace géré par une organisation privée qui a dépensé un argent fou pour l’entretien des pelouses, alors vous comprenez, nous ne pouvions pas prendre le risque d’abîmer ces pelouses ! Bref, le droit du gazon l’emporte sur le droit du peuple en matière d’expression politique !
J’ai écrit, dans un ouvrage collectif sur les biens communs, qu’il fallait instituer l’espace public comme un « commun » afin de lui restituer son efficace politique. C’est d’ailleurs l’une des revendications du mouvement Occupy Wall Street. Le pouvoir politique y est évidemment hostile, mais c’est bien le signe que le droit de réunion et d’association est de plus en plus limité par la confiscation des espaces.