A la mi-décembre, le président de la République a invité à dîner un groupe d’architectes du Grand Paris et tout à coup, l’histoire a semblé se rejouer. Comme Nicolas Sarkozy en 2008, Emmanuel Macron se demande aujourd’hui avec quelle recette donner un statut à la métropole parisienne. Comme son prédécesseur, il bute sur l’indébrouillable question de la gouvernance. Et comme lui, il a peut-être eu envie de voir ce que les «fabricants» de la ville avaient dans la tête, au cas où…

Mais pas sûr qu’il faille parler d’envie. Dans les faits, le chef de l’Etat a surtout répondu à une demande insistante de l’architecte Roland Castro pour réunir ce dîner. Castro, qui a participé à la campagne présidentielle de La République en marche en emmenant Macron visiter la Coudraie à Poissy (Yvelines), avait en son temps (1981…) convaincu François Mitterrand de s’intéresser aux banlieues. Il avait aussi participé à la consultation internationale d’architecture lancée par Nicolas Sarkozy en 2008 sur le Grand Paris. Pendant le dîner, Castro dit qu’il n’a «absolument pas été question de gouvernance». On a parlé ville.

Le recours aux architectes n’est pas une solution miracle pour organiser le Grand Paris. En 2008, le résultat de la consultation internationale fut riche, et même trop riche. Quand l’architecte Djamel Klouche, qui y participa, écrivait que «la métropole a cessé d’être un lieu qu’on peut dessiner pour devenir une condition que l’on peut décrire», il résumait bien ces nouveaux modes de vie fondés sur la mobilité. Mais tel la poule face au couteau, l’appareil politico-administratif ne sait pas quoi faire de ce genre de concept. Nicolas Sarkozy a eu beau plaider qu’il fallait pour Paris «une vision, un projet, une gouvernance» et dans cet ordre-là s’il vous plaît, le projet passa à la trappe.

«Position rêvée pour faire du Macron»

Conséquences de ce manque de vision ? En 2012, sous la présidence de François Hollande, la gouvernance de la future Métropole du Grand Paris est votée lors d’un débat parlementaire surréaliste. Un coup, je supprime la structure, un coup, j’en fais une super-puissance… A l’arrivée, la loi crée une métropole regroupant 131 communes et 7 millions d’habitants mais complètement fauchée car les parlementaires ont soigneusement veillé à la doter de la fiscalité la plus réduite possible.

Toutefois, dans ce texte de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, il était également écrit que cet arrangement n’était que transitoire. Le Grand Paris reste aujourd’hui une construction à terminer et le maçon du moment est Emmanuel Macron. Or les positions des uns et des autres n’ont pas bougé. Valérie Pécresse, alors députée (UMP à l’époque) et membre de l’opposition régionale d’Ile-de-France, avait répété tout au long du débat parlementaire : «La métropole, c’est la région.» Aujourd’hui à la tête du conseil régional, elle persiste et demande désormais que la nouvelle institution disparaisse fusionnée dans la région.

Cette obstination ne facilite pas la vie d’Emmanuel Macron. Candidat, il avait exprimé, dans une interview au magazine Grand Paris développement, l’idée d’une structure centrale bien distincte de la région car «on ne fait pas une métropole avec 80 % de terres non urbanisables» et une zone dense qui concentre 75 % de la création de richesse francilienne. En juillet, le Président avait également évoqué la fusion des trois départements de la première couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) dans la métropole du Grand Paris. C’était la disruption appliquée à l’aménagement du territoire. Au fond, comme le dit un familier du dossier, «Emmanuel Macron est, avec le Grand Paris, dans une position rêvée pour faire du Macron.»

«Réponse de préfet»

Mais pas si simple. D’abord, le chef de l’Etat «ne veut pas humilier Valérie Pécresse parce que derrière elle, il y a Larcher», commente un observateur. Le raz-de-marée électoral de La République en marche étant sans doute une exception, il est toujours prudent de ménager le président du Sénat pour les échéances électorales suivantes. Mais, ajoute un vieil habitué de la question, «si on confie le Grand Paris à la région, on le confiera à une institution qui ne construit rien et a trop d’écoute pour la grande couronne au détriment de la zone dense».

Alors quoi ? Faute de faire turbuler le système, le président de la République a demandé au préfet de la région Ile-de-France, Michel Cadot, de lui faire des propositions. «Quand on pose une question à un préfet, on a une réponse de préfet», persifle une mauvaise langue. Certes, la réponse est purement institutionnelle. Le préfet propose de donner le pouvoir aux 12 établissements publics territoriaux (des regroupements de communes) qui composent la métropole en leur transférant les compétences des trois départements de première couronne supprimés dans la foulée. Là-dessus, la région deviendrait le stratège du développement économique. La «réponse de préfet» ne fait dans la dentelle. Mais ce chambardement est-il applicable ?

A l’issue de leur dîner, certains architectes ont eu l’impression qu’on leur demandait encore de «réenchanter» un peu tout cela. Depuis des mois que le flottement dure, bien des acteurs se demandent plus prosaïquement s’il ne faudrait pas nommer à nouveau un ministre du Grand Paris. «En dessous de Macron, on ne sait pas à qui parler. On a l’impression qu’il n’y a rien», soupire un professionnel de l’aménagement. Mais c’est vrai.

Sibylle Vincendon