20 Décembre 2017
Mobilier urbain à la Défense, piétonisation des berges de Seine et mutation des places parisiennes
L’aspiration partagée par les élus et les citoyens de recentrer la fabrique urbaine autour de l’habitant-usager appelle au développement de nouvelles pratiques s’appuyant sur de nouveaux outils. Jean-Christophe Choblet présente ici la pratique de "scénographie urbaine" qui a inspiré plusieurs projets menées dans la métropole.
La scénographie urbaine ne s’inscrit dans aucun académisme. Elle est le fruit de rencontres entre plusieurs disciplines (géographie, urbanisme, dramaturgie, scénographie). Elle nait à la convergence de plusieurs démarches :
L’enjeu de la scénographie urbaine est de créer par le récit les conditions d’un espace urbain en mouvement et de faire territoire par l’expérimentation. Nous créons des récits qui naissent du territoire et qui intègrent ses sens, ses temporalités, ses usagers, ses topographies et ses frottements et la projection de chacun. Cette démarche se décompose en trois mouvements principaux avec leurs outils respectifs : l’arpentage, la mise en récit et la mise en forme par l’urbanisme tactique.
Le premier mouvement consiste à arpenter l’espace pour le comprendre. Cette observation de terrain est menée avec un groupe restreint d’individus ayant chacun une forme d’expertise (académique, technique, de terrain ou d’expérience). Elle alimente la réalisation progressive d’une cartographie sensible. Il s’agit d’analyser le site ou le territoire prédéfini, de le sonder jusqu’à en déceler les potentiels et les manques. La carte sensible et la carte des usages permettent de développer une étude fine du territoire. Elles donnent à voir ce qui s’y joue et constituent un support de travail pour imaginer les possibles du site. Valorisant l’approche via le terrain et la subjectivité dans l’appréhension de l’espace, cet exercice demande de s’immerger et de s’imprégner afin de construire une connaissance approfondie du territoire dans sa complexité.
La carte d’usage et la carte sensible permettent de rassembler les éléments collectés par les différentes approches déployées pour cette recherche :
-l’imprégnation permet de définir les entrées, de questionner les présupposés. Elle s’appuie sur une analyse des documents préexistant sur le territoire (PLU, études urbaines, revue de presse, réseaux sociaux, site Internet…) Le choix de ces entrées sur le terrain est le fruit d’une réflexion prenant en compte l’expertise et la sensibilité de chacun.
- les forages sensibles, lieux d’observations définis à partir des pistes révélées par l’imprégnation. Ils permettent de conforter ou écarter certains présupposés et de faire apparaitre d’autres enjeux. Ils permettent de révéler les qualités sensibles du territoire, ses forces, ses traumas. C’est le moment privilégié pour établir des contacts informels avec les usagers et de recueillir leur sentiment.
- La condensation, via une représentation cartographique. Elle situe dans l’espace les sentiments des usagers (fantasmes, peurs, envies, anecdotes…) et les usages observés (la façon dont les espaces sont appropriés ou non, voire délaissés) en dimensionnant leurs ondes d’influence respectives. Sur ces cartographies les usages et les sentiments sont qualifiés par leur moment d’existence effective (évolution des usages suivant l’heure ou le jour) et par le genre des usagers les ayant révélés.
Cette approche a été utilisée en 2012 dans le cadre de la biennale "Forme Publique" conçue avec Defacto[1] pour améliorer le quotidien des usagers de la Défense. Elle a permis d’identifier une vingtaine d’usages dans les différents espaces du quartier de la Défense.
Les éléments rassemblés par le premier mouvement donnent lieu à un travail d’écriture qui problématise l’ensemble des sentiments et des usages constatés en ce que nous appelons les intrigues du territoire, entre les lieux, les usages et les sentiments projetés. Le but est d’aboutir à la conversion de l’espace sensible en drâma. C’est le deuxième mouvement.
Grâce aux éléments collectés, les différentes intrigues sont situées dans l’espace et le temps et qualifiées dans leur ampleur. Leur mise en relations dégage des grandes lignes permettant de prendre une certaine hauteur des multiples sentiments et des usages constatés. Ce récit n’est pas figé, il doit être partagé et par nature évolue au fil de l’évolution du projet.
La dramaturgie de l’espace permet de révéler la puissance des temps : les temps forts, les temps du rien. Le récit devient l’élément fondateur, qui permet à chacun de s’accorder sur une représentation commune de l’espace amenée à être interrogée, critiquées et analysée. Par le récit et ses intrigues, le territoire devient un nouveau mode de relation entre l’usager et la ville.
Une fois le récit pensé, place à la mise en scène ! Comment améliorer certains usages, les transformer, les annuler s’il faut ? Les approches sont très diverses : ergonomique et kinesthésique (température, matériaux), scénographique (générer du sentiment par la mise en scène de l’espace), socio-ethnologique (rapport des bulles socio-culturelles présentes à l’espace partagé), ou encore d’investigation (chercher dans les territoires l’inavouable, l’invisible).
L’urbanisme tactique consiste à inventer et transformer l’espace urbain avec et pour les usagers. Pour éviter un décalage entre l’aménagement urbain et les besoins du moment, l’urbanisme tactique (aussi appelé temporaire ou pop-up urbain), se présente comme un nouvel outil incontournable. S’éloignant des pratiques conventionnelles, il permet de réaliser des changements spontanés dans l’environnement urbain de façon rapide et à faible coût, faisant ainsi évoluer l’espace public au rythme de la ville. Ces expérimentations passionnantes se développent au niveau local, portées par les habitants et encadrés par de nouveaux professionnels de l’aménagement qui assistent les maitrises d’ouvrages et souvent les élu.es. C’est le cas de la mutation de sept places parisiennes pilotée par la Ville et accompagnée par des collectifs pluridisciplinaires présents sur site.
Notre démarche permet aux habitants et aux usagers de se constituer en force de proposition, de s’investir pour leur lieu de vie, et finalement d’être à même de porter l’espace public. Ce sont eux qui accélèrent les processus de transformation de la ville en permettant de multiplier les expérimentations, de disposer rapidement de retours d’expérience tout en maintenant une mobilisation, pour enfin créer des aménagements rapides et économes en lien avec la temporalité de la ville d’aujourd’hui.
Jean-Christophe Choblet, Urbaniste, Scénographe urbain
Responsable de la Mission Espace public et expérimentation à la Ville de Paris
[1] Defacto est l’organisme public qui gère l’espace publique de la défense