7 Décembre 2015
Revue Urbanisme - hors série n° 54 « Grand Paris#Cimat »
Entretien avec Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP)
La Métropole du Grand Paris sera officiellement créée le 1er janvier 2016. Mais qu’en est-il de la construction métropolitaine ?
Pierre Mansat. Nous sommes à un moment charnière de cette construction, dont je date le début de 2001, avec l’élection de Bertrand Delanoë comme maire de Paris. Le processus soutenu par des pionniers, des élus de toutes tendances politiques, a pris quinze ans avant de se traduire dans une nouvelle institution : la Métropole du Grand Paris (MGP). Cette métropole est encore fragile. Elle est le fruit de compromis successifs entre parlementaires, gouvernement, élus locaux. Mais la MGP se constitue avec un deuxième étage très intéressant : les Territoires qui sont – à l'exception de Paris et du T11 – de tailles à peu près équivalentes, avec des identités susceptibles de se révéler assez rapidement. Je suis convaincu qu’elle sera un bon outil pour faire de la coopération et de la mutualisation, à de bonnes échelles, en privilégiant le polycentrisme, condition nécessaire d’un développement métropolitain plus équilibré.
En même temps, la MGP est la petite métropole resserrée sur Paris et la première couronne. La métropole fonctionnelle se situe bien sûr à une toute autre échelle. Et l'aire métropolitaine déborde même les frontières de l’Ile-de-France. Et on peut aller jusqu’à dire, comme Antoine Grumbach, qu'évidemment la Seine et les ports de Rouen et Havre sont parties prenantes du fonctionnement métropolitain. Cette petite métropole institutionnelle est un outil, on verra ce que les élus en feront. Je crois qu’il évoluera dans le bon sens, que son périmètre s'élargira dans les prochaines années. Et surtout que la lutte contre les inégalités ira de pair avec le rayonnement international. Les Territoires de la MGP sont assez bien constitués, égaux en nombre de communes, assez convergents en importance de population, mais ils sont caractérisés par des inégalités extrêmement fortes. C’est l'un des motifs de la création de la métropole qui doit représenter l'égalité, l'attractivité, la construction de logements, une politique environnementale à la bonne échelle. Tous ces sujets seront au cœur des débats d’une période transitoire allant de 2016 à 2020, puisqu'en 2020 il y aura une élection au suffrage universel qui marquera une nouvelle étape.
De grands événements comme les jeux Olympiques pourraient-ils prendre place dans l'agenda métropolitain ?
P. M. Tout à fait. Lors de l’annonce de la candidature de Paris aux jeux Olympiques, Anne Hidalgo a fait le choix affirmé d’un partenariat stratégique avec la Seine-Saint-Denis, un territoire potentiellement très riche mais qui connaît des situations de précarité, de pauvreté et de décrochage social extrêmement importantes. La maire de Paris a voulu affirmer qu'il fallait rééquilibrer la métropole. C'est pour cela que le site du village olympique, le bassin olympique et le village des médias seront en Seine-Saint-Denis. C'est déjà un acte métropolitain très fort. La métropole se construit aussi par des actes, des politiques très concrètes qui n'attendent pas l'institutionnalisation.
De grands événements comme les jeux Olympiques sont susceptibles, en posant la question de l'égalité territoriale et des formes de coopération renouvelée, d'accélérer la construction métropolitaine. Et surtout, ce qui me tient à cœur, ils peuvent être un élément accélérateur formidable pour le récit métropolitain, autour duquel doit se forger la reconnaissance par les habitants de leur destin commun.
Ce récit du Grand Paris reste à inventer ?
P.P. Oui. Christian Blanc avait mis au point un récit global, qui pouvait être contesté dans la forme comme dans le fond. Mais ce récit n’a pas été remplacé. Le Grand Paris se construit, brique par brique, comme en témoignait le Comité interministériel du 15 octobre. Avec des éléments nouveaux, comme la dimension culturelle dans les quartiers. Mais pour que le Grand Paris réussisse, il doit faire rêver. Il constitue une promesse faite aux habitants. Il faut donc qu’il s’incarne dans des actes forts, reliés par un fil rouge leur donnant un sens politique. Ce qui m’a amené, avec d’autres, à écrire un « Manifeste du Grand Paris » pour dire les fondamentaux de la république urbaine que nous voulons construire. Ce Manifeste a aussi vocation à accompagner un incroyable foisonnement d’initiatives citoyennes (culture, habitat participatif, réseaux d’échanges…). Il est un outil pour que les citoyens s’emparent de l’idée du Grand Paris comme métropole de la transformation du monde.
Quelle est la place du réseau de transport, le Grand Paris Express, dans ce récit métropolitain ?
P. M. C'est une forme de contribution au récit du Grand Paris, mais sous un angle singulier, celui de la grande infrastructure qui va permettre d'améliorer la vie quotidienne. Je crois que, pour les gens, le Grand Paris s'incarne dans ce métro automatique. Mais ce qui me semble à manier avec précaution, c'est l’idée que, par sa seule existence, le Grand Paris Express entrainera un grand développement urbain et économique. Cela ne fonctionne pas comme ça. L'expérience française et étrangère démontre qu’un réseau de transport ne produit pas automatiquement du développement économique ; il va falloir l'inciter, l'organiser. Tous les quartiers de gare ne vont pas se développer à la même vitesse. Il faut faire très attention aux mécanismes de surenchérissement du foncier. Et éviter, selon l'expression, qu'il ne pleuve pas là où c'est déjà mouillé. Bien sûr, le Grand Paris Express va être un atout formidable pour des villes complètement enclavées comme Clichy-sous-Bois et Montfermeil, mais il faut que le développement suive.
Comment appréciez-vous le travail des quatorze équipes de l'AIGP ?
P. M. Il faut d’abord souligner que l'AIGP et les 14 équipes qui constituent son cœur, représentent un lieu véritablement inédit dans le monde. Nous sommes d'ailleurs très sollicités par des villes étrangères qui nous demandent comment ce système fonctionne. Ce n'est pas une agence d'urbanisme, c'est un lieu qui a la particularité d'être complètement libre de pensée, de parole. C'est très intéressant parce que les architectes urbanistes et tous les chercheurs qui collaborent avec eux – économistes, sociologues, écologues… – sont très persévérants dans leur façon de penser. Cela ne veut pas dire qu'ils sont bloqués, ils sont capables d'évoluer dans la discussion, par la confrontation de leurs travaux. A l’AIGP, un vrai travail en commun s'est mis en place, notamment la dernière année (2015). Ce qui n’empêche pas la confrontation des points de vue.
Ce que je trouve très bien dans ce travail de l'AIGP, c'est cette persévérance, cette liberté… C'est une sorte d’espace "libertaire". Ce qui m'épate aussi, c'est la capacité des équipes à renouveler leurs interrogations et leurs propositions. Elles savent développer des façons de penser nouvelles, je pense à l'hôtel Métropole de Perrault, à la mangrove de Mangin, etc.
C’est l’enjeu des Territoires démonstrateurs sur lesquels les équipes ont travaillé et dont ce numéro rend compte.
P. M. Ce qu’on a appelé l’AIGP 2, de 2011 à 2014, a été une période plutôt de théorisation, même si des actes concrets étaient posés. Nous avons donc ressenti la nécessité, partagée entre le conseil d'administration et le conseil scientifique, d'opérer un basculement vers une dimension plus opérationnelle. Nourri par le fait que la quasi-totalité de ces équipes sont par ailleurs engagées sur des productions très concrètes sur les territoires du Grand Paris. Et c'est le sens de l'événement Grand Paris#Climat : s'ancrer sur ces territoires démonstrateurs pour en tirer des enseignements permettant de promouvoir un Grand Paris qui s'insère complètement dans les exigences actuelles : la lutte contre le dérèglement climatique, les évolutions de l'économie, la lutte contre les inégalités.
Comment voyez-vous l’avenir de l’AIGP ?
P. M. Nous arrivons à la fin d’un cycle, AIGP 1, AIGP 2, AIGP 3. Nous allons travailler au sein du conseil d’administration sur une nouvelle formule. Je pense que l’AIGP doit refléter l’extraordinaire bouillonnement d’idées, d’initiatives et d’expérimentations à petite échelle auquel on assiste dans la métropole. L’AIGP est un dispositif singulier, un Groupement d’intérêt public (GIP) qui réunit l’État et les collectivités locales. Il va falloir s’interroger sur l’arrivée de nouvelles collectivités, comme la Métropole du Grand Paris.
Nous prévoyons un séminaire pour proposer à nos mandataires, les ministères, la Ville de Paris, la Région Ile-de-France, des suggestions d’évolution. Tout en conservant son statut d’espace de liberté, l’AIGP doit se renouveler pour répondre aux interrogations du moment présent, qui sont différentes de celles de 2008. Ce champ de travail se situe à mi-chemin entre la théorie et l'opérationnel. L’AIGP doit devenir un lieu d’invention à la disposition de tous les habitants de la métropole.
Propos recueillis par Antoine Loubière.