14 Mai 2010
Un rapport établi à la demande du Conseil régional Nord Pas de Calais portait sur une étude prospective des conditions de mise en oeuve de politiques interterritoriales.
Voici un extrait de l'entrée en matière
Le monde bouge. Les mouvements, les circulations, les échanges, les flux, sont devenus la condition de son existence, et non plus seulement les ajustements secondaires d’économies de stocks. L’espace des réseaux impose son empire à celui des territoires.
La société en réseaux n’a cependant pas perdu ses territoires, sociaux, économiques, politiques. Elle les a formidablement bousculé par les multiples dispositifs matériels et immatériels qui lui permettent de réduire les distances temps et les distances coûts, de connecter ce qui ne l’était pas, d’articuler ce qui se côtoyait mais s’ignorait, par exemple de part et d’autre des frontières.
Le maillage des réseaux n’a pas fait disparaître le pavage des territoires, mais a progressivement créé un nouveau contexte qui en change le fonctionnement social, économique, politique. On appellera ce nouveau contexte « l’interterritorialité ». L’interterritorialité est une proposition pour désigner les rapports que les individus et les groupes construisent entre plusieurs territoires, donc développent entre eux sur plusieurs territoires à la fois.
Il s’agit d’abord des pratiques, des comportements, des intentions, des stratégies, des représentations, que des individus et des groupes du champ social et économique établissent sur un jeu de territoires complémentaires et interdépendants : situations de multi-résidentialité, liens des migrants avec leur pays d’origine, développement de firmes multi-sites très ancrées dans chacun de « leurs » territoires, mobilisations en faveur d’une solidarité interterritoriale, etc.
Plus qu’une somme de territorialités, c’est-à-dire de rapports d’appropriation et d’identification avec chaque territoire, l’interterritorialité désigne ce « territoire des territoires » qu’est leur mise en relation, à travers lequel les acteurs concernés produisent la valeur ajoutée de cette mise en relation.
La question de la reconnaissance de l’interterritorialité, et de sa prise en compte par les politiques publiques fait aujourd’hui l’objet d’une attention croissante.
Dans le cadre de la mise en œuvre de son Schéma Régional d’Aménagement et de Développement du Territoire (SRADT), le Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais anime un dispositif permanent de prospective intitulé « Collège Régional de Prospective » et organisé en « fabriques ». Les enjeux de l’interterritorialité ont immédiatement été soulevés lors des premières séances de travail de ces fabriques.
Parallèlement, la DIACT (Délégation Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires) a fait connaître son intérêt pour ce thème, dans le cadre de son programme annuel d’études pour 2008-2009.
Enfin, de nombreuses collectivités territoriales sont demandeuses d’une réflexion et d’un appui pratique pour transformer ce qui reste vécu comme une mise en échec permanente de leur action publique respective, en nouveau monde d’action interterritoriale, capable d’affronter la complexité de leurs relations croisées.
Face à la complexité croissante des cadres de l’action publique territoriale (acteurs, légitimités, périmètres, procédures, outils, moyens et compétences), s’affirment en règle générale deux grandes stratégies :
- celle de la nécessité urgente d’une réforme de fond pour diminuer l’empilement institutionnel, supprimer des niveaux de territoires, re-hiérarchiser les collectivités locales, spécialiser les impôts locaux et les fonctions des diverses collectivités, fusionner les administrations existantes et faire des économies d’échelle ;
- celle de la nécessité non moins urgente d’un changement de fond dans le fonctionnement général du système territorial, qui, tout en restant pour l’essentiel ce qu’il est, a désormais à rendre prioritaires les tâches de coordination, de coopération, d’articulation, de co-organisation, de co-conception, d’intercession, de négociation, etc.
Le présent rapport part de la conviction que si la première stratégie n’est pas à écarter, pour les vertus simplificatrices qu’elle porte, elle ne permettra que des gains d’efficacité limités, le système territorial d’un pays comme la France étant définitivement entré dans l’aire de la complexité. Il s’agit donc de se préparer à un monde d’action publique interterritorial.
Par « politique de l’interterritorialité » on entend, a priori l’ensemble des règles, des dispositifs, des moyens et des stratégies, qui permettent de partager l’action publique entre territoires, afin de servir la cohérence et l’effectivité de leurs fonctions respectives. Ce partage doit pouvoir s’effectuer entre territoires voisins, de nature différente ou pas, mais aussi entre territoires disjoints, liés par un enjeu, un réseau, une stratégie.
Sur ces bases, on a exploré, avec l’appui d’un petit groupe de travail constitué de personnes directement impliquées dans l’action territoriale et la gestion des collectivités locales (annexe 1), les conditions pratiques à la mise en œuvre d’une politique de l’interterritorialité, ou « politique des échelles », dans cinq contextes géographiques :
L’aire métropolitaine de Nantes – St-Nazaire ;
La Région urbaine de Lyon ;
Le Val de Durance, espace de projet métropolitain-régional en PACA ;
La métropole francilienne du Grand Paris ;
Dunkerque et la Côte d’Opale.
Ces ateliers, restitués par ailleurs de façon synthétique sous forme de fiches par interterritorialité, font ici l’objet d’une montée en généralités qui vise à produire les principales recommandations utiles à la mise en œuvre de politiques publiques interterritoriales.
Les participants du groupe
Rapport dont sont extraites ces douzes recommandations
Inventer, produire, animer et faire vivre dans la durée l’évènement interterritorial récurrent (annuel, biannuel…) qui permet peu à peu à l’assemblage interterritorial de s’exprimer, de se représenter, de s’identifier, de préférence en combinant sa dimension politique et sa dimension culturelle et festive.
Organiser les conseils de la démocratie des usages et des usagers, en « interterritorialisant » les conseils locaux de développement, et rendre incontournables leurs avis dans la production des documents stratégiques, dans les grandes décisions programmatiques, et dans tous les projets d’équipement et de services dont ces conseils s’autosaisiront.
S’inspirer des règles éprouvées du fédéralisme pour faire passer les relations entre collectivités d’une culture de la confrontation à une culture de la recherche de l’entente : pratique des tables de concertation, des protocoles d’accord intermédiaires, du recours au médiateur extérieur, de l’évaluation indépendante, du « tribunal des conflits », etc.
Donner aux contrats entre collectivités la simplicité et la force juridique des contrats commerciaux en limitant leur objet (autant de contrats que d’objets) mais en renforçant l’obligation réciproque des parties par des clauses réelles de garantie significative.
Mettre en œuvre des maîtrises d’ouvrage partagées selon le triple principe de :
la délibération commune à toutes les collectivités impliquées,
l’engagement réciproque et juridiquement garanti entre toutes les collectivités maîtres d’ouvrage,
du partage des tâches dans la conduite de l’opération quelle qu’elle soit, répartissant les positions de chef-de-file entre collectivités par domaines pratiques.
Passer progressivement du principe de spécialisation et d’exclusivité des compétences, cher à l’acte I de la décentralisation, au principe de partage et de coordination des compétences croisées, condition de son acte III.
Revendiquer le transfert de la compétence de la compétence, de l’État vers les groupements de territoires qui, dans le cadre d’un protocole de coordination, affichent leur volonté et leur capacité d’assumer collectivement leur organisation propre du « qui fait quoi ». Ces groupements, de nature et de taille variables selon les contextes géographiques, seront négociés avec l’État, puis reconnus pour une durée déterminée comme régulant de manière autonome l’exercice interterritorial des compétences.
Constituer des administrations interterritoriales de mission, rattachées aux conférences des exécutifs locaux, et agissant prioritairement dans le cadre de projets interterritoriaux.
Simplifier les cadres existants de l’interterritorialité, comme les syndicats mixtes, les SIVU, les GIP, les GECT, etc., leur redonner la souplesse du principe du « à la carte », et leur reconnaître une dimension politique en prenant en compte les présidences dans la régulation du cumul des mandats, pour mieux répartir les responsabilités interterritoriales.
Construire les nouvelles politiques publiques de la durabilité en tant que politiques interterritoriales par excellence, et rendre explicite l’économie des compensations entre territoires qui en est la condition.
Accompagner toute proposition de simplification du système des collectivités territoriales en France, d’une proposition complémentaire de coordination de ce système.
Aller progressivement du mandat territorial par échelle de territoire au mandat interterritorial par couple d’échelles : communal-communautaire, communautaire-départemental, départemental-régional.