17 Juillet 2013
«!Je rêve de casser le périphérique
que l’on a dans la tête.!»
Pouvoirs Locaux : La métropole de Paris a été supprimée
du projet de loi de modernisation de l’action
publique et d’affirmation des métropoles, lors de son
examen en première lecture au Sénat. De façon globale,
quelle est votre appréciation sur ce texte ?
PIERRE MANSAT : Globalement, nous sommes très favorables
au projet de loi tel qu’il a été présenté par le
gouvernement. J’aurais imaginé comme d’autres un
seul texte et non trois sans attendre néanmoins un
texte spécifique sur la métropole de Paris.
À travers ce texte de loi, s’exprime, en ce qui concerne
Paris, une réponse politique courageuse à une question
compliquée. On sait que toutes les métropoles du
monde s’affrontent sur ces questions-là, sans trouver
forcément la réponse institutionnelle valable partout.
Pouvoirs Locaux : Dans une communication écrite de
décembre 2012, vous annonciez qu’il fallait se préserver,
grâce à l’association des départements de
la Grande Couronne et de la région, d’une nouvelle
opposition entre la métropole et son extériorité. Avezvous
le sentiment d’avoir été entendu ?
PIERRE MANSAT : Je ne crois pas à l’effet frontière produit
par ce texte mais il faut malgré tout s’en garantir
et c’est pour cette raison que nous défendons l’idée
d’introduire la région et les départements dans le dispositif
de gouvernance de l’établissement public. Dans
le projet de loi déposé par le gouvernement, le conseil
métropolitain est composé de la ville de Paris et des
EPCI ; nous proposons avec Paris Métropole, qu’il y ait
un collège des maires au sein du conseil métropolitain
et que la région et les départements soient membres
également de cet établissement public de façon à pouvoir
bien emboîter les politiques publiques.
Je raisonne beaucoup en poupée gigogne : la présence
des autres collectivités au sein de la gouvernance du
Grand paris métropole est importante car cette métropole
est faite d’imbrications, d’intrications, de flux,
d’échanges et de superpositions, mais aussi de rapports
de force politiques qui rendent très complexe
l’émergence d’une solution à caractère institutionnel.
Je pense qu’une bonne méthode pour parvenir à
fédérer cette complexité est portée avec l’idée d’une
confédération de collectivités. Il s’agit de fédérer des
collectivités de nature très différente, qui peuvent
avoir des oppositions d’intérêts et les mobiliser au
sein d’une même instance. C’est un défi mais c’est
sans doute le meilleur chemin possible.
Pouvoirs Locaux : La métropole de Paris ne fait-elle
pas les frais des postures et intérêts catégoriels ?
PIERRE MANSAT : Chacun parlant au nom de son institution
a du mal à se projeter dans son rapport avec les
autres. Chacun souhaite défendre les intérêts de sa
propre institution : c’est compréhensible et en même
temps il faut bien être capable, dans une métropole, de
se projeter à d’autres échelles, vers des rapports différents
aux autres collectivités. Personne n’envisage la
disparition d’un échelon particulier ou son affaiblissement,
mais davantage une confédération d’énergies.
Pouvoirs Locaux : Se dégage actuellement l’impression
que les énergies territoriales s’organisent ellesmêmes
dans la métropole de Paris. Les entreprises
et les Franciliens anticipent et paraissent presque en
avance sur les institutions. Comment peut-on continuer
à cultiver ce qui se passe sur le territoire et faire
en sorte que cela dessine le chemin que devraient
peut-être suivre les institutions ?
PIERRE MANSAT : C’est une question extrêmement
complexe. Très clairement, la création de l’établissement
public crée une distance avec les citoyens d’une
certaine façon, puisqu’on est là à un troisième degré.
Une distance risque donc de s’établir et pourrait devenir
problématique. C’est la raison pour laquelle nous
soutenons la création d’un conseil de développement,
adjoint à l’établissement public qui pourrait être le lieu
d’irruption des territoires. C’est bien ce à quoi nous
assistons depuis quelques années, à une montée en
puissance des territoires dans la métropole parisienne.
Cela se perçoit dans les contrats de développement territorial,
dans les dispositifs que prennent les intercommunalités
constituées, comme « Est Ensemble ». Cela
se perçoit aussi au travers des pôles de compétitivité.
Il existe effectivement un cloisonnement qu’il convient
de savoir prendre en compte et c’est un second défi qui
est posé à cette institution métropolitaine.
Pouvoirs Locaux : Est-ce que vous êtes favorable à une
élection au suffrage universel direct de l’exécutif de
cette future métropole de Paris ?
PIERRE MANSAT : On peut toujours l’imaginer et cela
aurait un sens démocratique mais je pense que nous
n’en sommes pas du tout à cette étape-là et qu’il ne
faut pas brûler les étapes. La construction métropolitaine
est une construction lente, ça fait 13 ans qu’on
travaille sur cette question-là, les communautés
urbaines ont 50 ans. Le temps nécessaire à la maturation
est un temps long. Il ne faut pas brusquer, ni bousculer.
On ira vers une évolution institutionnelle dont on
ne connaît pas tous les contours et qui devra prendre
nécessairement une forme démocratique.
Pouvoirs Locaux : Si on compare la métropole parisienne
à d’autres métropoles mondiales, qu’est ce
qui distingue vraiment Paris dans la façon dont on vit,
dont on habite cette ville, dont on y travaille ?
PIERRE MANSAT : Ce qui me semble être très singulier,
c’est le désir de Paris, c’est le sentiment que Paris
appartient à tous, ce sentiment que Paris nous appartient
quel que soit le lieu dans lequel on travaille. Cette
envie de Paris est une envie renouvelée. La capitale a
gagné des habitants, après un recul très fort depuis
les années 1980 et 1990. Depuis 2001, Paris regagne
des habitants, des familles et des jeunes actifs, ce qui
traduit cet appétit de Paris. On retrouve la formule de
Victor Hugo : « Le genre humain a des droits sur Paris. »
Cette singularité-là est extrêmement forte.
Pouvoirs Locaux : Paris est une ville qui a capitalisé
sur sa beauté architecturale. Est-ce que le Paris
intra muros ne souffre pas a contrario decette image
de carte postale ?
PIERRE MANSAT : C’est une vision un peu erronée. Je
crois que Paris capitalise sur son image. Il n’y a qu’à
voir la fréquentation touristique en augmentation
constante.
Je crois que justement ce qui fait l’intérêt de Paris
– et peut être les effets des politiques menées depuis
13 ans – c’est justement sa capacité d’innovation dans
tous les domaines. Il y a d’une certaine façon, une
capacité des politiques publiques à impulser des changements
de paradigme comme celui de faire bouger la
place de la voiture dans la ville de façon très importante.
C’est une innovation fondamentale dans une
ville qui avait été soumise aux véhicules individuels.
Et puis, il y a l’ensemble des politiques en matière de
soutien au développement économique, à l’université
et à la recherche. Les dernières enquêtes internationales
placent Paris dans les 4 premières villes mondiales
en matière d’attractivité. Paris fait la preuve de
ses capacités d’innovation. Paris est une ville extrêmement
vivante et puissante, ce qui contredit l’image de
la ville musée.
Pouvoirs Locaux : À Paris, il semble plus difficile
qu’ailleurs pour les citadins de s’approprier l’espace
public. C’est une ville où l’espace public est assez
normé. Comment inverser cette tendance ?
PIERRE MANSAT : C’est assez juste mais cela tient beaucoup
à l’intensité de l’usage de l’espace public qui est
soumis à des contraintes très fortes. Ce n’est pas le
cas, par exemple, à Berlin, avec ses grandes avenues
et ses parcs au coeur de la ville. On est dans une situation
très différente à Paris où il faut satisfaire tous les
usages. Simultanément, on ne peut pas stopper la
circulation. Il faut continuer à développer les pistes
cyclables et pourquoi ne pas doubler le kilométrage
des pistes cyclables dans la prochaine mandature ?
Il faut aussi ouvrir l’espace public à l’usage des
Parisiens . Je crois qu’il y a des exemples qui montrent
que là où on met les moyens au service de cette réappropriation,
cela fonctionne.
Ce sera le cas avec la place de la République, une
place qui était monolithique et soumise complètement
à la circulation. On va bientôt constater que la réappropriation
va se faire immédiatement, comme pour tous
les lieux qui ont été ouverts de cette même façon. C’est
très visible par exemple sur les quais d’Austerlitz où les
gens viennent danser le soir. Partout où ont été menés
des travaux de réappropriation de l’espace public, le
plébiscite est là, même si les contraintes demeurent.
PIERRE MANSAT : Je pense à la fois au bâti qu’il faut traiter
avec délicatesse, qu’il faut savoir faire évoluer sans
être brusque. La ville ne doit pas être statique, elle doit
être en évolution. Il faut des interventions très délicates
qui tiennent compte du contexte. La mentalité,
l’humeur ou l’art de vivre des Parisiens nécessitent
beaucoup de convictions, de concertation, de dialogues,
d’échanges apaisés mais déterminés si on veut
faire évoluer la ville.
Pouvoirs Locaux : La métropole parisienne est sans
doute le territoire le plus inégalitaire de France. Quel
est votre constat et quelles sont vos propositions en
la matière ?
PIERRE MANSAT : Oui, les inégalités sont extrêmement
fortes dans la métropole, elles ont même tendance à se
creuser, à s’amplifier. Il y a des territoires qui vont bien
d’un point de vue urbain et social. Il y en a d’autres qui
ont tendance à cumuler toutes les difficultés. Cette réalité
est aussi nationale et elle a tendance à se dégrader.
La métropolisation produit partout dans le monde les
mêmes effets de ségrégations, de coupures de concentrations,
de spécialisations. Il y a donc un défi posé à la
métropole parisienne, celui de répondre à ce partage
inégalitaire de l’espace. La question de la solidarité et
d’un développement plus équilibré et plus égalitaire
des territoires est centrale dans ce processus.
Pouvoirs Locaux : Pour relever ce défi, le levier transport
et celui du logement ne sont-ils pas essentiels ?
PIERRE MANSAT : Je pense que l’effort pour la refonte
et la modernisation du réseau existant, est tout à fait
considérable. On termine seulement aujourd’hui de
payer le métro parisien et se profilent des investissements
très coûteux à mettre en regard avec la richesse
produite par la métropole. Sur 500 milliards de PIB
annuel, je pense qu’on peut tout à fait dégager des
moyens à hauteur de 29 milliards pour une infrastructure
qui sera là pour plus d’un siècle, et qui peut avoir
un effet très puissant sur les inégalités et sur l’attractivité
de cette métropole.
En matière de logement, je pense que les deux espoirs
reposent à la fois sur la loi et l’évolution institutionnelle
et sur notre capacité à créer un lieu de coordination
qui nous permettrait d’être plus dynamiques
dans la production de logements, de savoir inventer
et explorer de nouvelles pistes pour le foncier, d’être
plus rapides dans la réalisation et la construction. La
question du logement est fondamentale au regard des
350 000 demandeurs de logement à l’échelle régionale.
Nous sommes dans une situation très critique
et il faudra bien trouver les moyens de mobiliser les
moyens et l’intelligence collective pour relever ce défi.
Pour créer cette dynamique générale de travail et de
production de logements, il faut que la région soit partie
prenante parce que c’est à l’échelle régionale que
l’on peut avoir une vision stratégique large et un plan
stratégique de l’habitat. Il est donc nécessaire que la
région soit imbriquée dans la gouvernance pour qu’il
existe une convergence entre la zone métropolitaine et
l’ensemble du territoire régional.
Pouvoirs Locaux : À quel Paris rêvez-vous dans 10 à
20 ans ?
PIERRE MANSAT : Je rêve de casser le périphérique que
l’on a dans la tête. Cette représentation du périphérique-
coupure est encore très ancrée, même si elle
ne correspond plus vraiment à la réalité. Le périphérique
n’est pas un élément infranchissable, la preuve :
300 000 parisiens le franchissent chaque jour et
800 000 Franciliens font le chemin inverse. Le périphérique
reste néanmoins un obstacle dans les mentalités
et dans les représentations. Je rêve du dynamitage de
cette fracture, de la fin de cette coupure dans les têtes.
Je rêve que l’on soit dans une métropole fluide, souple,
qui permette à chacun d’exprimer son dynamisme.