4 Juillet 2009
ll y a 4 ans , mais ça vaut le coup de la relire _ Urbanisme n°333
Antoine Loubière. En écho à l’exposé de Jean-Baptiste Vaquin, j’ajouterais que je suis frappé, à la lecture de récents documents émanant de conseils en immobilier d’entreprise, de l’importance qu’a pris, pour eux, le périphérique, explicitement décrit comme “un atout ”, dans le développement de la proche couronne. Et ceci peut-être aux dépens de Paris.
Jean-Baptiste Vaquin : Il est vrai que l'on a vu, ces dernières années, se développer autour du périphérique, à la manière d'un boulevard urbain, des ensembles d'activités. Paris doit donc rattraper son retard, car il y a cette grande avenue à mettre en valeur, des équilibres à retrouver de part et d'autre, de sorte que, dans cette nouvelle “couronne d'abondance” de la Région Île-de-France, Paris a tout intérêt à la fois à apporter son concours à ce développement et à travailler dans la meilleure harmonie avec les différentes communes. Il se trouve qu’à l’APUR, nous avons entrepris quelque chose qui n'avait jamais été fait. Ces trois derniers mois, nous sommes allés rencontrer tous les responsables techniques des différentes communes autour de Paris. Et nous avons constaté qu'en fait, de part et d'autre du périphérique, on développe très largement les mêmes politiques. À la fois de protection du patrimoine, des paysages constitués, de reconversion des friches et de développement économique. Alors, puisque finalement nous allons tous dans le même sens, autant s'entendre le mieux possible.
Antoine Loubière : Après l’exposé de Jean-Baptiste Vaquin, j’aimerais que vous nous donniez, les uns et les autres, votre vision de ces mutations de l’agglomération parisienne.
Bertrand Ousset : En prenant un peu de recul, je suis frappé par l'extraordinaire anomalie de ce Paris minuscule au sein de la vaste Ile-de-France. Et si on se situe au moment de la dernière grande vision stratégique sur la Région parisienne, qui était celle de Paul Delouvrier, on s'aperçoit que celui-ci avait développé un raisonnement intéressant. Il a pensé cette agglomération en un certain nombre de sous-agglomérations. Mais il y a tout de même eu un trou formidable dans la pensée de l'époque, c'est ce que l'on pourrait appeler l'agglomération parisienne. Si l'on regarde une carte de l’Ile-de-France, on voit bien qu'il n'y a pas d'agglomération de Paris. D'ailleurs, les glissements terminologiques le prouvent : on a parlé à l'époque d'un schéma directeur d'aménagement de la région parisienne, qui est très vite devenu le schéma directeur d'aménagement de l'Île-de-France. On a produit ce concept qui est venu se substituer au précédent, parce qu'il n'y avait pas lieu de parler de l'agglomération parisienne : elle n'existait pas. Il y avait un périmètre pertinent à l'époque qui était le département de la Seine, et il est extraordinaire qu'il ait disparu dans la mise en place des structures qui ont accompagné ce schéma d'aménagement. S'y sont substitués quatre département (75, 72, 93, 94) de création récente, qui ont fait disparaître la seule structure administrative et politique à l'échelle de ce que l'on pourrait appeler l'agglomération parisienne. Quand on compare la capitale française aux grandes capitales européennes, on est estomaqué de voir les différences entre les périmètres d'entités administratives et politiques. Rome ou Berlin sont des communes de très grande surface, Londres ou Barcelone sont dans des structures d'agglomération importantes. Et l'on est également frappé de voir que c'est l'autorité du Grand Londres qui a décidé du péage urbain dans Londres. En France, on utilise pour désigner le territoire des termes qui sont intraduisibles dans d'autres langues, comme banlieue ou province. Du coup, la couronne agglomérée de Paris n'a pas un statut défini. De plus, la décentralisation est venue créer des dynamiques centrifuges sur cette agglomération. Il existe ainsi une inégalité criante entre ce qui est au centre et ce qui est autour. Et évidemment, la logique du cœur est de garder ce qu'il possède. Quand on regarde les différents champs dans lesquels la question se pose, il n'y a guère que celui des transports (pas des déplacements) et de la santé qui soient couverts à une échelle d'agglomération.
Paul Chemetov : J'aimerais revenir à une approche historique et politique. Il est quand même frappant de voir qu'en 1845, alors que toutes les villes de province détruisent leurs fortifs pour faire des boulevards de ceinture, on construit l'enceinte de Paris. Et c'est une décision qui est totalement à contretemps et qui raconte la suite. Parce que ce qui se trouve à l'intérieur de l'enceinte – c'est-à-dire des fractions de commune : le petit Charonne, le petit Gentilly, etc. – est annexé. Et ce mot d'annexion, qui aurait pu être un mot de coopération, d'agglomération, s'impose comme le style de rapport politique entre Paris et sa périphérie. Et pour longtemps. Jusqu'à aujourd'hui. Le département de la Seine est la contrepartie politique de cette opération violente. Du reste, aujourd'hui encore, quand on se promène en Seine-Saint-Denis, on voit que les anciennes communes de la Seine ne se comportent pas, ni sur le plan urbain, ni sur le plan sociologique, de la même façon. Même aux Bosquets à Montfermeil par rapport à Clichy-sous-Bois. Ensuite, deuxième violence, l'éclatement du département de la Seine, sa découpe en trois départements par Paul Delouvrier qui, dans sa conférence des Ambassadeurs, dit : les villes nouvelles, ce sont des villes anti-banlieue. Et les zones blanches sur la carte du territoire, c'était aussi un moyen de gommer un problème lancinant. On va plus loin parce qu'on ne sait pas aller plus près. Que pouvons-nous faire dans la situation actuelle ? On peut se dire que le périf est un autre contact de municipalités, cette “couronne d'abondance”, qui a l'avantage de faire 36 km par rapport aux 12 km de la Seine. Elle constitue donc une interface extrêmement développée, où pourrait se développer une politique commune. Concernant ce qui va vers l'intérieur et vers l'extérieur. Donc le problème des radiales et les rocades. Ce qui exige d'abord une autre politique des travaux publics et des transports publics, à partir du moment où l'on reconnaît que la surface de contact est là. Car il y a quand même une part symbolique et sémantique fondamentale. Et l'avantage du mot périphérique, c'est qu'il n'offense ni une rive ni l'autre. Contrairement à tous les autres mots. Alors, ce projet de la couronne d'abondance du périphérique est symboliquement et sémantiquement recevable par les gens quoi sont de part et d'autre cet anneau de prospérité. Il y a eu récemment une exposition “Des fortifs au périf”. Prenons la dans le sens entier, et comme une inversion possible d'une très ancienne tendance historico-politique, sauf qu'il y a un petit inconvénient : cette prise de position met en cause la Région Île-de-France. À un moment donné, il faut découper. Et en découpant, on ne fait plaisir à personne. Et si l'on prend au sérieux – j'en parle librement parce que je ne suis qu'architecte – ce qui se dit autour de cette table et qui semble partagé, c'est qu'il y a une Région parisienne qui a une évidence et une Région Île-de-France qui n'a pas d'évidence. Ce n'est pas plus choquant que de dire qu'il faut supprimer les départements ou qu'il faut regrouper des communes dans des agglomérations ! On sait bien qu'il y a actuellement un problème en France. On ne peut pas avoir dans l'Hexagone autant de communes qu'il y en a dans toute l'Europe réunie. Il est certain qu'il y a des recompositions à faire, et on ne peut pas penser que la Région parisienne, politique, va échapper à ce type de recomposition. Antoine Loubière : Justement j’ai ici une carte de l’intercommunalité en Ile-de-France coproduite par l’APUR et l’Association des maires d’Ile-de-France, qui montre que les choses sont en train d’évoluer et que se structurent des intercommunalités, tout particulièrement en première couronne. Qu’en pense le maire de Sceaux, lui-même 1er vice-président de la communauté d’agglomération des Hauts de Bièvre ?
Philippe Laurent : Il manque sur cette carte un territoire de projet que nous essayons de faire apparaître, qui est la Vallée scientifique et technique de la Bièvre (VSTB), qui est plus large. Ces territoires de projet émergent par l’action des élus eux-mêmes. Un mot d’abord sur Sceaux. C'est une ville un peu particulière dans son histoire parce qu'elle a été sous-préfecture de la Seine, avec Saint-Denis, au XIXe siècle. Et j'ai le sentiment que les élus et la population de Sceaux – qui est plus diverse qu'on ne le dit en général parce que l'on caricature souvent cette ville – se sont toujours trouvés très bien d'être là, et surtout à une certaine distance de Paris, ni trop éloignés, ni pas assez. La ligne de Sceaux était la première liaison ferrée dans l'agglomération et elle a joué un rôle très important dans l'urbanisation de la ville. Cela a créé un lien un peu particulier mais qui n'a jamais été, d'après ce que j'ai pu retrouver et lire sur la culture locale, conflictuel. En gros, Sceaux n'a pas peur de Paris. Et cette idée de l'agglomération parisienne nous a toujours occupés. Lorsque que l'on parle de l'intercommunalité, il est vrai que l'agglomération parisienne, au sens des 400 communes, accuse un certain retard, qui est en train d'être comblé, mais ce n’est pas le cas du reste de l'Île-de-France : à Melun ou à Mantes il y a depuis longtemps un district. Ces villes se comportent très exactement comme la province : une ville centre avec des communes autour. Il est vrai que c'est surtout pour préserver l'avenir que les nouvelles structures intercommunales se sont créées, davantage que par un projet de développement. Et c'était très difficile de faire des périmètres cohérents et pertinents pour ces communautés dans cette agglomération. Parce que le seul périmètre pertinent est l'agglomération. Deuxième point : la légitimité politique. La Région a une certaine légitimité politique, c'est une institution relativement neuve. Les maires et les conseillers généraux ont, à mon avis, une légitimité politique beaucoup plus forte. Aujourd'hui, lorsque l'on dit que le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) va être présidé par le président de la Région, on dit que l’on rentre dans le droit commun. C'est le discours du gouvernement. Mais ce n'est pas vrai. En réalité, le droit commun dans toutes les agglomérations de France, c’est un maire qui préside le syndicat mixte des transports en commun,. Les agglomérations qui sont créées, et la VSTB encore plus, c'est l'affaire à la fois d'un certain nombre de personnalités du monde économique, de l’enseignement supérieur ou de la recherche et des élus qui sont les maires. Car je crois que les maires se sentent véritablement responsables et engagés dans la promotion de leur territoire, y compris dans des zones agglomérées comme la nôtre. Nous avons maintenant une conception beaucoup plus territoriale de nos villes, et la vision d'un ensemble plus large. Je pense donc que les actuelles communautés d’agglomération, comme les Hauts de Bièvre, sont une première étape, et que l'on ira ensuite plus loin. Mais nous en sommes certainement à une étape obligée, étant donné, justement, l'héritage que vient d'évoquer
Paul Chemetov. L'héritage de 150 années de conflits ou de non-relations entre Paris et les autres communes. Il va falloir du temps. Francis Godard : L'image du périphérique avec sa couronne est possible, mais il y en a une autre qui est de partir des axes de développement : l'image des camemberts. On a Marne-la-Vallée, La Plaine, La Défense, le Plateau de Saclay, etc. Je pense qu'il est important d'avoir en perspective l'agglomération, et éventuellement sa constitution en entité politique un jour. Mais c'est une représentation qui doit s'imposer contre une autre, radiale. Car effectivement, si l'on regarde la couronne, on se dit que tout cela est homogène, mais si on regarde comment cela se développe, on voit que ce n'est plus le cas. Alors, est-ce que les territoires qui peuvent être politiquement souhaitables correspondent à des territoires de développement réels ? Et je m'interroge aussi sur le sens à venir des communautés d'agglomération en cours de constitution. Qu'annonce cette nouvelle géopolitique francilienne ? Car elle peut annoncer des choses bien différentes. Il peut s'agir du fait que se constituent de nouvelles entités qui vont se consolider, affirmer leur identité. Et qui, après tout, seraient porteurs d'une logique qui irait contre l'idée d'agglomération. Pourquoi lâcherait-on sa légitimité sur un territoire à partir du moment où l'on s'est bagarré pour l'obtenir ? Le versus de cette position serait : nous allons commencer à rationaliser, à se regrouper pour programmer ensemble des équipements à un niveau pertinent, etc. Et dans ce cas, on peut se dire – raisonnement inverse – que cela peut préfigurer une géopolitique plus large. Pour le moment, ces communautés d'agglomération sont soit dans leur phase de constitution, soit toutes jeunes. Mais leur sens géopolitique me semble encore assez difficile à décrypter. Je pense que l'on aura intérêt à s'interroger sur ce point. Car si l'on regarde la carte en cours de constitution, le risque est que cela duplique une autre carte : celle des inégalités sociales. Car je ne voudrais pas que la discussion que nous avons actuellement sur le plan institutionnel en néglige une autre, basique, essentielle, qui fait la grande fragilité de l'agglomération : si on regarde les statistiques des années 1990, on constate que les écarts se creusent. Auparavant, les espaces étaient beaucoup plus mélangés. Or, au cours des années 1990, les espaces les plus riches s'enrichissent encore et les espaces les plus pauvres se paupérisent toujours davantage. Globalement, nous avons là un gros problème à régler. Il faut veiller à ce que la nouvelle carte des agglomérations ne vienne pas amplifier ce phénomène. Nous avons là une grande question collective qui, dans mon esprit, va dans le sens d'une meilleure cohérence, à une échelle plus grande, de l’organisation de l'agglomération parisienne. Mais il me semble que lorsque l'on discute sur le plan institutionnel, il faut toujours avoir cette préoccupation à l'esprit. Sinon, on oublie peut-être le principal. Ou du moins, la principale fragilité de cette agglomération.
Philippe Laurent : Un mot sur ce point des inégalités territoriales qui sont probablement actuellement plus fortes au sein de l'agglomération parisienne qu'en province et entre les différentes régions de province. Ceci est lié à la fois à l'histoire des peuplements et à des différences très importantes de ressources fiscales locales. Le point important est que toute péréquation d'une certaine ampleur exige une institution. Ou alors c'est la loi, ou l'État. Et on en arrive à un paradoxe : beaucoup d'élus ne veulent pas entendre parler d’une institution à l'échelle de l'agglomération, et d'un autre côté se plaignent que la loi vienne imposer une péréquation, comme le Fonds de solidarité de la Région Île-de-France; dont les critères, déterminés par le Parlement, ne sont pas toujours pertinents. Les élus ne savent pas ce qui est fait avec ce Fonds. Ou alors, l'État, par l'implantation de grands équipements, comme ce fut le cas pour le grand stade, fait de la péréquation. J'entends de grands élus de la région parisienne dire, d'une part, nous ne voulons pas du Grand Paris, parce que ça ne va pas du tout régler les problèmes, et d'autre part, nous voulons rester maître dans nos communes. Il y a donc un problème. Je suis convaincu qu’une péréquation importante et significative entre les différents territoires, entre le 93 et le 92 par exemple, ne peut passer que par une institution locale. Et la Région ne peut pas le faire dans l'état actuel de ses prérogatives, et même de ses légitimités. Je pense que cela doit venir des maires eux-mêmes.
Pierre Mansat : Je pense que nous avons un problème évident, c'est que nous sommes très loin d'avoir un langage commun – je ne parle pas seulement là de Paris-banlieue – et une compréhension partagée, même au minimum, de la constitution de cet ensemble-là. Dans cette absence, peuvent s'engouffrer les représentations les plus schématiques, les plus fausses, les plus caricaturales. Pour Paris, il y a bien une nécessité de travailler à une histoire commune, partagée, de l'ensemble de l'agglomération, de la région, des relations entre Paris et la banlieue. C'est ce qui nous a d'ailleurs amenés à lancer un séminaire avec Annie Fourcaut, en partenariat avec l’université Paris-I, sur l'histoire partagée, XIXe-XXe siècles, des relations Paris-banlieue pour surmonter cette histoire morcelée, parfois très fragmentée, très communale, ou bien la grande Histoire parisienne. Nous pensons que ce travail est nécessaire, pour réintroduire aussi dans la mémoire commune des pensées, peut etre critiquables, mais qui exprimaient des propositions autour d'un projet pour l'agglomération parisienne. Des pensées pour un vrai dessein. Je pense par exemple au manifeste 75021, Banlieue 89 mais il y en a bien d'autres. D'ailleurs les élus changent, ce ne sont plus les mêmes générations, ils n'ont pas la même mémoire historique et politique. Il est donc indispensable de faire ce travail pour penser la suite. Et je pense, comme cela a déjà été dit, qu'il y a un vrai trou dans la pensée, un déficit considérable. Et avec certainement des responsabilités politiques. Parce que tout le monde n'a pas un trou dans sa propre pensée ! Il y a bien des gens qui travaillent ! Je pense aux urbanistes par exemple. Mais il y a un trou politique manifeste : il n'y a pas d'espace démocratique correspondant à l'échelle à laquelle se posent les problèmes ou les défis. La loi a créé le conseil régional, qui est une instance reconnue, on peut certes discuter la pertinence au vu de la taille de la région Île-de-France, mais qui existe, qui a une politique, un projet. Mais cela ne répond pas à la question du trou de la pensée, surtout au cours des dix dernières années, concernant la spécificité de l'agglomération centrale. Je crois que l'irruption de cette question, le rôle de Paris dans son émergence amène les pouvoirs publics, les entreprises, à s'interroger et à s'organiser, ainsi que les élus ou les associations d'élus. Le point de vue parisien, que le maire, Bertrand Delanoë, a formulé à plusieurs reprises, est que nous ne souhaitons pas rentrer dans cette discussion par le biais institutionnel, puisque évidemment tout le monde nous attend au coin du bois : le Grand Paris, l'hégémonie, l'annexion, etc., ce qui empêcherait tout avancée du débat. Par contre, Paris entend bien être actif pour contribuer à combler, du moins réduire, le trou de la pensée, et faire émerger un vrai projet pour l'agglomération centrale, dans un cadre régional, dans une conception nationale et européenne bien évidemment, dans une bonne compréhension de ce qu'est la place d'une région comme l'Île-de-France dans le système mondial. Nous essayons donc de contribuer par des actions concrètes et des initiatives intellectuelles à l'avancement de ce débat sur l'agglomération centrale. L'APUR a publié, dans les années 1990, une étude sur l'anneau central de l'agglomération parisienne, qui n'a rien de ringard, qui mettait en évidence ce territoire-là. Depuis nous avons emmagasiné de la connaissance, nous avons donc des atouts.
Francis Godard : Je voudrais revenir sur l'idée de faire histoire commune et partagée qui est aussi une difficulté d'ordre symbolique. Annie Fourcaut a expliqué que Paris porte sa mémoire de ville mais aussi la mémoire nationale. Alors il y a certes des différentiels du prix du mètre carré, mais il y a aussi un différentiel de mémoire. On a des petites mémoires locales dans et hors de Paris. Chaque commune défend son histoire à elle. J’y vois des conséquences extrêmement concrètes, techniques. Par exemple, la signalétique du marché aux puces à Saint-Ouen. Il faut lui donner un nom : Saint-Ouen, Paris/Saint-Ouen, porte de Saint-Ouen…. On touche là au problème du partage de la mémoire. Je crois que nos problèmes se jouent à différentes échelons, sociaux, économiques, fonciers, symboliques. Mais le symbolique, en l'occurrence, ne vient pas en second plan. Paul Chemetov : C'est déjà pas mal que l'on puisse entendre ensemble, sans qu'il y ait de cris, l'idée qu'il y a un trou dans la pensée. Parce que jusqu'il y a peu, il y a avait de belles certitudes, qui passaient outre. Et ce trou de la pensée se trouve là, au milieu de la carte ! Pour aller un peu plus loin, je crois que cette histoire, cette prise en compte de la mémoire des histoires et ce récit que l'on se fait, qui a été violent au cours du dernier siècle, devrait aller de pair avec le récit des territoires de projet. Il faudrait encourager chacun des territoires de projet à se réciter et à accomplir le même travail – universitaire, de recherche, de confrontation, d'accumulation – que celui que la ville de Paris va entreprendre. Car il faut réfléchir à toutes ces déchirures, ces violences, ces annexions, cette découpe en trois départements qui ont fabriqué, concentré, institutionnalisé l'inégalité en quelque sorte. Et au début, avec un effet pervers, chacun était tout content de sa singularité, de sa richesse ou de sa pauvreté propre. Et c'est au bout d'un certain temps que l'on s'est rendu compte que chacun allait sur son aire. Il faut que, dans ce domaine, les territoires de projet constituent des groupes qui bouchent le trou de la pensée ! Ensuite, quand on regarde la carte du périphérique – et je vais proposer là une autre énormité – je me demande pourquoi certains arrondissements de Paris ne sont pas dans les territoires de projet. Pourquoi le 18e arrondissement n'adhère-t-il pas à Plaine Commune ? Pourquoi le 13e n'est-il pas dans Seine Amont ? Cela n'empêche pas qu'il est dans Paris et que la ville de Paris est déjà un territoire commun et un projet partagé. Puisqu'elle a déjà fait ce travail entre ses arrondissements. Mais ce qui est très frappant, c'est de constater le bien que cela fait aux services techniques – Jean-Baptiste Vaquin en parlait tout à l'heure – d'être confrontés à des questions communes, même si cela n'a aucun caractère institutionnel, de redistribution de la taxe professionnelle (TP) ou autre, pour l'instant. Mais déjà, la redistribution des idées pourrait précéder celle de la TP, et la préparer.
Bertrand Ousset : Paris et l'agglomération parisienne constituent une entité en contradiction complète avec toute notion de polycentrisme alors qu'un certain nombre de métropoles européennes ont entrepris un travail de longue haleine pour organiser un polycentrisme structuré tenant compte, justement, des problèmes sociaux que l'on retrouve dans beaucoup de périphéries de grandes agglomérations. Je pense en particulier à Barcelone qui a engagé des actions assez fortes dans ce sens-là. Or, c'est difficile à concevoir dès lors que l'on n'a pas un territoire institutionnel, démocratique, légitime, qui permette de penser cette question du polycentrisme en dehors des limites du Paris intramuros. Le seul cas de polycentrisme que l'on ait en Région parisienne, et on le retrouve dans les mots, ce qui est extrêmement intéressant, c'est La Défense, dont l'adresse postale, chacun le sait, est Paris-La Défense. La Défense étant un pôle puissant est parvenu a s'approprier le nom de Paris, et c'est assez symbolique du système. Pour moi, à l'échelle de la région Île-de-France, il y a plusieurs systèmes d'agglomération. Il y a une agglomération centrale, et des agglomérations sur les grands axes, pour reprendre ce que disait Francis Godard. À Marne-la-Vallée, et ailleurs, nous sommes en train de constituer des agglomérations. Mais elle s'inscrivent, essentiellement, dans un système de grande couronne. Et la petite couronne justifie d'une logique de l'agglomération qui n'existe pas. Bien sûr, le travail tout au long du périphérique est le seul que l'on puisse faire dans le contexte institutionnel actuel pour de créer des passerelles, mais, conceptuellement, cela ne permet pas de traiter les mêmes problèmes. On traite à la marge. Et une pensée du polycentrisme à l'échelle de l'agglomération centrale ne peut pas se produire au travers de relations simplement bilatérales.
Philppe Laurent : Sceaux se considère tout à fait dans l'agglomération centrale en question, ne serait-ce que parce qu'il y a une facilité de transport. Alors que les villes nouvelles sont dans une logique plus classique d'intercommunalité. Le mot ville nouvelle est surtout lié au fait que c'était une urbanisation qui a été concentrée sur quelques années, avec l'idée d'une concomitance du développement économique et de l'habitat – le premier finançant le second. Mais en réalité, sur le plan du fonctionnement, je pense que c'est différent, un peu comme Melun ou Meaux ou Mantes. Même Versailles d'ailleurs, qui n'est probablement pas dans l'agglomération. On parle essentiellement des trois départements de petite couronne, et pas de tous les départements. Antoine Loubière : Mais comment inventer un rapport nouveau entre votre communauté des Hauts de Bièvre et Paris ? Philppe Laurent : Le vrai territoire de projet est bien celui de la vallée technologique et scientifique de la Bièvre, qui rejoint Paris, et qui concerne 500 000 habitants, ce qui est à mon avis une échelle pertinente. Sceaux avait proposé une communauté d'agglomération de près de 500 000 habitants, avec tout le sud des Hauts-de-Seine. Cela n'a pas été possible pour des raisons purement politiques, de pouvoir. Il reste donc six communes qui sont là au milieu, hors structure, et cela est un peu ridicule, car les habitants de Sceaux par exemple ont des liens très forts avec ceux de Fontenay. Dans la communauté des Hauts de Bièvre, nous sommes donc six actuellement, avec une commune qui va sans doute nous rejoindre, Verrières-le-Buisson. Cela ne marche pas si mal. Nous mettons en commun pas mal de choses, et, surtout, les responsables se voient, ce qui est tout à fait nouveau. Parce qu’autant les gens de la mairie de Paris et des mairies des communes périphérique ne se voyaient pas beaucoup, si ce n'est dans les congrès des partis politiques, et encore, autant les gens des mairies de banlieue ne se voyaient pas non plus entre eux. Nous avons la chance d'avoir des communes qui sont toutes plus ou moins équipées, même si elles ne sont pas toutes équivalentes en termes de structures. Il y a donc une espèce de discussion d'égal à égal. Et je resitue tout le temps le projet de développement communautaire dans le cadre de la vallée technologique et scientifique de la Bièvre. Là on peut tenir un vrai discours. Jean-Baptiste Vaquin : Vous êtes là en train de dire, finalement, que les élus vont dans le même sens et par-delà les institutions. C'est ce que j'essayais de dire tout à l'heure. Quand je rencontre, par exemple, la directrice de l'urbanisme de Saint-Ouen, quand je l'entends me parler de sa ville, je me dis que tout nous rapproche. Chaque commune défend son histoire et son territoire. Nous défendons tous de meilleurs déplacements par exemple. Nous avons les mêmes objectifs et nous sommes tous prêts à travailler ensemble. On parlait tout à l'heure de l'histoire. Mais, par-delà les fortifs, les chemins s'étaient recréés. Et je pense aujourd'hui qu’avec les élus, leurs contacts de proche en proche, et avec nous, les responsables de l'urbanisme, les chemins se sont vraiment rapprochés. C'est ce que l'on montrera à travers l'étude que l'on est en train de faire à l’APUR : la proximité des réflexions urbaines des différentes communes autour de Paris. Et même si les institutions ne suivent pas, ce sera tout de même quelque chose d'extrêmement positif.
Antoine Loubière. Saint-Ouen est aujourd’hui hors de toute communauté d’agglomération. Pourquoi ?
Francis Godard : Effectivement, nous avons une difficulté, parce que, pour l'instant, Saint-Ouen n'est incluse dans aucune intercommunalité. Nous sommes situés à l'intersection de deux axes de développement, la Plaine Saint-Denis et la Boucle d'Or. Nous nous sentons donc des rapports essentiels et privilégiés avec Paris. Mais notre grande difficulté vient de la loi telle qu'elle existe actuellement, qui fait que si l'on se raccroche à la Plaine Commune, cela risque de nous éloigner, d'un point de vue institutionnel, de Paris. Or, si l'on rêve un instant – je reprends le souhait fou de Paul Chemetov – intercommunaliser avec des arrondissements de Paris, ce serait pour nous une solution extrêmement intéressante. Ce n'est pas possible, mais la question est quand même là. Deuxième remarque. Nous nous ressemblons beaucoup et nous avons beaucoup à faire ensemble. Ceci dit, il reste que notre problème – que nous partageons avec d'autres communes de première couronne, est que nous sommes aussi à la croisée des chemins en terme de l'évolution démographique de population, et que les prix de terrain commencent à exploser. Et dans la mesure où à l'Ouest, on bloque plutôt le développement pour préserver le cadre de vie, la pression se porte vers nous. Et comme nous avons, beaucoup plus qu'à Paris, des populations très modestes, les différentiels des prix de mètre carré de terrain comptent et pèsent très lourds. Il faut donc faire en sorte que nous ne glissions pas dans la logique foncière parisienne – faire Levallois – et que les gens qui habitent Saint-Ouen et qui ont le droit d'y habiter se retrouvent en deuxième ou troisième couronne. C'est là une question grave. Alors, comment faire pour pouvoir travailler avec Paris et travailler le plus possible, et comment faire pour ne pas être pris dans la spirale d'augmentation du prix du foncier ?
Pierre Mansat : D'abord, une réaction sur arrondissements et Paris. Un des premiers gros chantiers de la municipalité parisienne a été la déconcentration et la décentralisation, parce que l'on ne peut pas penser une gestion moderne et démocratique d'une ville de deux millions d'habitants d'une manière totalement centralisée et autocratique. Cela a donc été le grand chantier des deux premières années, qui arrive à sa concrétisation, avec des pouvoirs nouveaux dans les mairies d'arrondissement, des organisations de services différentes, qui rapprochent du terrain les habitants et les services publics municipaux. Mais en même temps, nous tenons plus que jamais à l'unité parisienne. Elle a son caractère unitaire pour des raisons, là aussi, profondément démocratiques : la mairie centrale et le conseil de Paris sont des lieux où se forge l'intérêt collectif de l'ensemble des Parisiens à partir de ressources qui sont celles de l'ensemble de la collectivité parisienne, et c'est là que se décident les priorités et les choix qui vont dans le sens de l’intérêt général. À cette étape, il est bien évidemment impossible de penser pour nous « intercommunaliser « les arrondissements. Je pense d'ailleurs que ce serait un danger, non seulement pour Paris mais pour tout le monde. Nous irions vers un éclatement de ce qui est à la fois une très grande richesse et un atout pour tout le monde. Parce que c'est quelque chose que l'on ne dit pas assez : Paris a parfois été un poids pour ses voisins mais aussi un atout. Et l'attractivité, la richesse, le dynamisme parisiens, qui ont subi des accrocs depuis les années 1990, avec notamment la perte de 200 000 emplois, ne devraient pas être mis à mal. Parce que personne n'en profiterait. Il n'y a pas de vases communicants de ce point de vue-là. Ce qui ne veut pourtant pas dire qu'il n'y ait pas d'évolutions de spécialisations, de localisations, mais ce n'est pas le débat d'aujourd'hui. Concernant la première partie de la discussion, nous avons choisi de rétablir un dialogue “normal” avec nos voisins, avec ce qui est la plus proche, ce qui est mitoyen. D'abord, parce que cela nous semble tout à fait naturel, d'un point de vue démocratique, de se parler d'égal à égal. Et puis parce que se jouent là beaucoup de problèmes. Si on le voit d'un point de vue très parisien, ce n'est pas seulement de la bonté d'âme. C'est parce que c’est sur ce que l'on appelle maintenant la couronne de Paris – tous les quartiers qui bornent le périphérique, parfois même des quartiers qui entrent en profondeur –, que se joue l'avenir du développement parisien. C'est là d'abord que se cumule le plus grand nombre de problèmes : d'emploi, de dégradation des espaces publics, de pollution, de violence ou d'insécurité. Les projets parisiens sont donc pour beaucoup sur la couronne, même s'ils n'oublient pas les quartiers centraux. Ce sont le tramway et les Maréchaux sud, le grand projet de renouvellement urbain (GPRU) sur huit grands sites d'habitat social autour de Paris : porte Pouchet, de Clignancourt, de Montreuil, de Vincennes, de Vanves, etc. Tout ce qui concerne ces espaces essentiels que sont les portes et les bois parisiens utilisés par tout le monde. Cela nous a menés à une politique effectivement bilatérale – c'est-à-dire d'essayer de travailler, et nous y arrivons, avec les voisins, à des échelles différentes, car les problèmes ne sont pas forcément les mêmes, les enjeux ne sont pas de même nature ou de même importance. Il y a parfois des propriétés de la Ville de Paris importantes ches les voisins, des cimetières ou des terrains, à Saint-Ouen ou Clichy par exemple, des grandes emprises foncières qui appartiennent à la Ville de Paris et dont l'avenir est évidemment essentiel pour le projet de la collectivité concernée. Notre principe est gagnant-gagnant. Gagnant pour Paris, gagnant pour la collectivité locale concernée, et ce sera une bonne base d'accord. Ce qui nous amène à la fois à travailler très précisément et très concrètement – je pense à Plaine Commune qui participe très activement à la définition des projets sur le nord-est parisien, sur les 200 hectares qui sont mutables dans le 18e et le 19e arrondissements – ou par la signature de chartes de coopération – 6 communes ont signé, nous en avons 4 dans les tuyaux et d'autres en projet – ou par des accords collectifs – je pense à la charte pour le développement et l'aménagement durable du bois de Vincennes qui a été signée par l'ensemble des communes limitrophes du bois et le conseil général du Val-de-Marne – ou alors ce qui est moins connu et que Bertrand Delanoë va signer, en novembre 2003, avec le président du conseil général du Val-de-Marne, Christian Favier : la mise en place d'une conférence interdépartementale Paris-Val-de-Marne, une forme institutionnelle qui essaie de projeter une vision à une échelle territoriale bien plus large que la mitoyenneté ; et nous allons faire la même chose avec la Seine-Saint-Denis, et nous voulons le proposer au Département des Hauts-de-Seine. Parce que nous pensons que les conseils généraux sont des partenaires très actifs. Et nous avons pris notre temps et nous avons réussi à signer avec le conseil régional d'Île-de-France un contrat particulier Région-Paris. Cela a été un peu difficile à obtenir, mais nous pensons que cela traduit aussi ces nouvelles relations que nous entendons développer; Nous avons la faiblesse de penser que cela ne suffit pas, mais que ce sont des actes indispensables pour nourrir d'autres projets. Paris peut aider, par cette politique-là, et être un passeur d'un certain nombre d'idées. On parle beaucoup de la mitoyenneté ou de ses voisins immédiats, nous essayons également d'établir les mêmes relations avec les communes qui sont très loin de Paris. Comme dans la plaine d'Achères par exemple, où nous avons des emprises foncières qui sont très importantes, nous travaillons dans le même esprit. Avec des actes qui traduisent l'absence d'égoïsme parisien. C'est ce qui s'est produit avec le tramway T2, qui va de La Défense à Issy-les-Moulineaux et qui va rejoindre la porte de Versailles. Nous avons trouvé un accord assez rapide sur le parcours de ce tramway, et en plus Paris contribue financièrement à son développement : nous y mettons 6 millions d'euros et, spécifiquement, 1,2 million d'euros sur le rallongement des quais à Issy-les-Moulineaux puisque ce tramway a un très grand succès. Et cela vaut pour les Parisiens qui travaillent à La Défense comme pour les gens des Hauts-de-Seine qui veulent venir à Paris. Nous sommes aussi actifs dans le partenariat avec les communes , ou interco inscrites dans un territoire de projet . Je pense à la vallée de la Bièvre, même si c'est un peu plus lointain pour le moment. Je souligne que notre premier acte à Paris a été de signer un partenariat avec la première ORU en Île-de-France, celle d'Arcueil-Gentilly. Paris est en effet partenaire, de façon modeste mais réelle, notamment à travers la réouverture de la passerelle du Cambodge, qui relie la cité universitaire à Gentilly. Tout comme nous sommes très actifs avec l'ACTEP, pour concevoir la définition d'un projet à l'échelle de l'est parisien, puisque les objectifs de la municipalité parisienne sont le rééquilibrage au nord et à l'est de Paris. Et cela se traduit par des choses très concrètes, notamment par un travail très important sur une cartographie partagée entre Paris, l'ACTEP et les communes de la façade est de Paris.
Jean-Baptiste Vaquin : Effectivement, nous sommes en train de mettre au point une cartographie partagée. Parce qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, les communes dans Paris et hors de Paris n'ont pas de cartographies homogènes.
Philippe Laurent : Il est important de souligner les évolutions de ces dernières années, qui sont liées à plusieurs choses. D'abord une attitude différente de la municipalité parisienne actuelle par rapport à la précédente, que ce genre de démarche n'intéressait pas, et ensuite, l'essor de l'intercommunalité, pour laquelle je suis persuadé qu'il ne faut pas demander de loi spécifique à l'Île-de-France. parce que ce serait un bon moyen pour l'ensemble des parlementaires non Île-de-France de faire en sorte que les intercommunalités parisiennes soient moins bien dotées que celles de province. À mon sens, mieux vaut essayer de se débrouiller avec ce qui existe. En tout cas, plus sérieusement, je crois que la vraie nouveauté est que les élus locaux de cette agglomération s'intéressent au territoire et en discutent les uns avec les autres et montent des opérations ensemble. Je n'ai pas l'impression que les communautés d'agglomérations soient destinées à s'auto-protéger, à se refermer sur elles-mêmes. Il y a une espèce d'envie – qui est peut-être à la mode mais e n'est pas plus mal – de travailler sur un territoire plus large. Je crois que c'est aussi lié à l'évolution de la sociologie des élus : moins “notables”, plus développeurs ; comme on a pu avoir des élus dans certaines agglomérations de province, qui ont été très moteurs depuis longtemps. Et on a aussi assisté à un décloisonnement politique. La ceinture rouge, c'est terminé. C'est important, ce pragmatisme – sans pour autant renoncer à ses appartenances politiques – ainsi que l'ancrage sur le territoire. Il est maintenant important de poursuivre ce mouvement.
Paul Chemetov : J'espère que nous nous rendons bien compte qu'une telle discussion était absolument impossible dans le courant des années 1990. Ce qui va certainement contribuer à meubler le trou de la pensée. Ensuite, pour ne pas apparaître comme un fanatique de l'organisation qui veut tout précéder, il est intéressant de noter que, dans la mathématique moderne, il y a des recoupements. Et la question qui est posée par cette carte de l'Île-de-France est : comment trouver, dans le plan de la pensée tout d'abord, puis de l'action, de la rencontre, des modes de recoupement qui échappent à la simple institution. Parce que je suis très sensible à ce qu'a dit Pierre Mansat : si on avait fait le choix de la simple institution, on bloquait le système au départ. Parce que tout le monde n'étant pas dans ce type de discussions, certains auraient vu les prérogatives anciennes et n'auraient pas vu les avantages. Donc, au fond, c'est le grand débat sur la forme de représentation de la démocratie. Il n'y a pas que des modes d'organisation qui sont de légitimité élective. La loi de 1901, qui a 102 ans, permet d'autres modes. Et je me demande s'il n'y a pas, pour encourager le comblement du trou de la pensée, à inventer des associations, selon la loi de 1901, plus souples, qui permettent d'impliquer dans des réflexions et des actions communes, des territoires de projet. Je ne voudrais pas opposer les périphériques aux camemberts, mais il y a quand même des réalités : les bois, les rivières et les canaux, les nationales et les portes, le périphérique sont des territoires réels de projet et de continuité. Parce qu'ils fonctionnent comme tels historiquement et pratiquement.. Et je reviens à mes velléités organisationnelles : l'APUR (atelier parisien d’urbanisme), si on l'appelait l'APURP (atelier d’urbanisme de la région parisienne) ? Si quelques maires de banlieue venaient siéger dans ce conseil, l'APURP pourrait réellement faire une carte commune, même s’ils devaient donner quelques sous, car Paris ne peut pas payer pour tous. Ne pourrait-on pas, au travers de cette association loi de 1901, appuyer d'autres instances plus politiques ? Parce que les actions doivent viser l'équilibrage des prix du foncier. Il est bien certain que la force de la Région parisienne est à la fois son cœur central, national et dense, et le distendu de la couronne. Et cela marche dans les deux sens. Alors, étendre à l'infini les densités, les valeurs foncières du cœur central, c'est tuer l'agglomération parisienne dans son fonctionnement de systole.
Philippe Laurent : Je suis tout à fait d'accord avec Paul Chemetov : il y a dix ans, ces discussions ne seraient venues à l'idée de personne. Mais le mouvement intercommunal national a joué un rôle là-dedans. Parce que les gens ont eu envie de bouger dans l'Île-de-France, y compris dans la petite couronne. Mais il est clair que si Paris en parle ouvertement, cela ne se fera jamais. C'est beaucoup trop tôt. Mais il est important que le mouvement se crée, même si on ne sait pas très bien pour le moment quelle forme il va prendre. Vous parliez du Grand Londres, où il y a quand même une vingtaine de districts, c'est-à-dire un schéma évoquant un peu les communautés. Bertrand Ousset : Je trouve également que c'est une bonne idée. Et l'APUR est un lieu où l'on pense un peu. Et s'il y avait un lieu où l'on pouvait penser avec un minimum de légitimité, au-delà de la périphérie immédiate, sur une ceinture un peu plus large, ce serait certainement efficace. Et je pense qu'il faut effectivement un instrument permettant de réfléchir sur des questions de ce type, mais jusqu'à présent, c'était impensable. Il y a deux ans, j'ai eu une discussion avec Jean-Pierre Duport, alors préfet d’Ile-de-France, qui m'a quasiment chassé de son bureau parce que j'évoquais des choses comme celles-là. Pierre Mansat : Les élus régionaux siègent au conseil d'administration de l'APUR et l'APUR a largement dépassé les frontières du périphérique, les limites administratives parisiennes, et c'est d'ailleurs un gros morceau de son programme de travail de 2004. Pour rebondir sur la proposition de Paul Chemetov : que Paris ait choisi de ne pas rentrer dans la voie institutionnelle le confirme, parce qu'en plus nous n'avons pas d'arrières-pensées . Ce qui ne veut pas dire que l'on s'abstient ou que l'on s'abstiendrait de se mêler d’un débat de cette nature-là. Je pense donc qu'il faudrait tendre vers l'émergence d'un lieu qui soit au moins un lieu de dialogue, de confrontation, de connaissance des élus de l'agglomération centrale, se dotant des outils nécessaires. Cela devient une nécessité. On peut l’appeler conférence métropolitaine, forum… Peu importe le terme. Il y a de très bons exemples dans plusieurs métropoles régionales. Francis Godard. Je pense qu’il s’agit de l’émergence de deux lieux, au pluriel. Car on risque d’arriver à une sorte de décalage entre ce que peuvent être les projets des politiques et des hommes de l’art, des urbanistes notamment, et la manière dont ces projets sont ressentis par les habitants, dans les comités de quartier. Il serait intéressant de savoir ce qu’on peut faire en direction de ces comités, trop souvent considérés comme des instances où on porte des considérations locales, des problèmes de coin de rue. Il faudrait réfléchir à des relations entre les comités de quartier de tel arrondissement et de telle commune de banlieue de façon à ce que l’idée fasse son chemin. Les processus que l’on évoque sont de long terme. Il faut donner du temps au temps. Mais il faut savoir ce que pensent les gens. D’où cette nécessité d’un second lieu qui servirait à mettre ensemble les comités de quartier. Pour que les questions urbaines de l’agglomération ne s’arrêtent pas à la limite de son quartier, de sa commune ou du périphérique.
Propos recueillis par Antoine Loubière et Annie Zimmermann.
Revue Urbanisme n°333 – novembre-décembre 2003 – Dossier “ Grand Paris ” - table ronde du 10 octobre.