21 Avril 2009
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L'hypothèse - de bon sens apparent - visant à "simplifier le millefeuille" semble en effet davantage relever d'une réparation des erreurs passées que d'une adaptation à la nouvelle donne de la société et des territoires. Elle suggère qu'il existerait un niveau pertinent - la région davantage que le département, l'agglomération plutôt que la commune - pour que la puissance publique pèse sur les réalités socio-économiques. Est-ce pourtant adapté à une société aujourd'hui marquée par l'explosion des mobilités de tous ordres, affectives, économiques, résidentielles ?...
Lorsque chaque individu pratique la multi-appartenance territoriale et que les liens entre territoires deviennent plus importants que les territoires eux-mêmes, peut-on encore espérer identifier le niveau à même d'appréhender globalement les réalités territoriales ? Le probable échec de la tentative de constitution d'une institution intégrée pour le Grand Paris, au périmètre introuvable, démontre l'inanité de cette hypothèse et souligne en revanche l'exigence d'une régulation des "conflits d'échelles", c'est-à-dire des divergences d'intérêts entre niveaux territoriaux, entre le global et le local en quelque sorte.
En second lieu, l'hypothèse de la simplification repose sur la proposition d'une mise en oeuvre effective du principe originel de la décentralisation autour de la spécialisation des compétences respectives : aux uns le social, aux autres l'économique... Le taylorisme territorial ainsi réactivé est-il encore d'actualité à l'heure du développement durable ? Peut-on simultanément faire du développement durable une injonction à maîtriser les contradictions entre développement économique, solidarité et protection des ressources, et spécialiser les collectivités locales sur l'un ou l'autre de ces champs de compétences ?
En réalité, l'expérience de la construction européenne montre que les compétences ne se partagent pas, que l'"agir global" est une exigence, mais qu'en revanche les responsabilités politiques des uns et des autres - celles de la délibération collective, ou celles de l'organisation de la prestation de service par exemple - sont de plus en plus différenciées.
Avant de relancer un Meccano institutionnel dont l'issue, eu égard aux objectifs affichés de simplification et de rationalisation, est plus que douteuse, il faudrait peut-être tenter de répondre à des questions de base : dans un univers caractérisé par une forte mobilité des personnes, l'accroissement des inégalités de proximité, et une concurrence européenne, voire mondiale, des territoires, quelles sont les fonctions que doit remplir un système de gouvernement local ? Que doit-on en attendre ? Sur quelles ressources doit-il se fonder ? Et comment en mesurer la performance ?
Organiser l'interterritorialité davantage que l'ajustement des périmètres, penser le partage de la souveraineté territoriale davantage que la spécialisation fonctionnelle des pouvoirs, trouver des formes de redistribution financière inédites, certes cela signifie faire le deuil du fétichisme institutionnel qui aiguise en permanence les appétits réformateurs et accepter qu'il n'existe pas de bon système institutionnel répondant à l'ensemble des problèmes posés par le gouvernement local.
Mais un tel changement de perspective ne permettrait-il pas de sortir de la logique gagnant-perdant induite par l'hypothèse de la simplification et de proposer un horizon mobilisateur pour un véritable débat national quant aux fonctions attendues de la gouvernance territoriale ?
Daniel Behar est professeur associé à l'Institut d'urbanisme de Paris ;
Philippe Estebe est professeur à Sciences Po Paris ;
Martin Vanier est professeur à l'université de Grenoble.
Tous les trois sont consultants à la coopérative Acadie.