17 Février 2021
Le rapport rendu par Benjamin Stora suscite de nombreuses réactions. Comment s’en saisir pour avancer sur la voie de la réparation ?
GILLES MANCERON
Historien, membre de la Ligue des droits de l’homme
La République doit reconnaître que la colonisation contredisait le principe de
l’égalité de tous les êtres humains proclamé lors de la Révolution française. La
repentance est un mot écran destiné à faire obstacle à cette reconnaissance. Il
a été inventé par des nostalgiques de la colonisation pour discréditer la demande de désigner
pour ce qu’elles sont les injustices et les violences coloniales ponctuées de crimes contre
l’humanité.
Ce qui a fait échouer le « traité d’amitié » annoncé par Jacques Chirac avec l’Algérie, c’est le «
grand écart » qu’il a tenté entre ce projet de traité et la loi sur les « aspects positifs de la
colonisation » de février 2005, qui résultait d’une promesse faite en 2002 au lobby « nostalgériste »
pour le dissuader de voter Le Pen au second tour de la présidentielle. L’inscription demandée par
l’Algérie dans le préambule du traité des « regrets » de la France pour « les torts portés à l’Algérie
durant la période coloniale » ne pouvait se concilier avec la vision « civilisatrice » des « bienfaits »
de la colonisation.
La remise du rapport de Benjamin Stora à Emmanuel Macron le 20 janvier a été l’objet d’une
manipulation de la part de l’Élysée. Annoncée à 17 heures, elle a été précédée, dans la matinée,
par la diffusion à la presse par le « conseiller mémoire » de la présidence des « éléments de
langage » qu’il fallait tenir à son sujet : « Colonisation et guerre d’Algérie : ni excuses, ni
repentance. » Même si on ne trouve pas ces mots dans le rapport, ce sont eux qui s’y sont trouvés
accolés alors que les préconisations de Benjamin Stora ouvrent sur la perspective non d’une «
réconciliation », mais d’un apaisement des mémoires.
À l’entrée dans le XXIe siècle, les articles de Florence Beaugé publiés en juin 2000 dans le Monde,
« l’appel des douze » paru dans l’Humanité en octobre et la thèse de Raphaëlle Branche soutenue
en décembre à l’université ont marqué une prise de conscience de l’horreur de la torture
pratiquée par l’armée française dans la guerre d’Algérie. Ce moment a été suivi par des
événements importants : les inaugurations par le maire de Paris Bertrand Delanoë, en 2001, d’une
plaque au pont Saint-Michel commémorant le massacre de manifestants algériens du 17 octobre
1961, puis, en 2004, d’une place Maurice-Audin dans le 5e arrondissement et enfin, en 2011, d’une
stèle à la mémoire des victimes françaises et algériennes de l’OAS. Ils ont coïncidé avec la
reconnaissance par la presse des travaux de Jean-Luc Einaudi après le fiasco de la plainte en
diffamation de Maurice Papon contre lui, en mars 1999, pour ce qu’il avait écrit sur le massacre
des Algériens par des policiers sous ses ordres quand il était préfet de police.
Des reculs sont advenus depuis. Il faut une décision politique, qui ne peut relever du terme
religieux de repentance, faire un effort de vérité qui s’adresse à l’ensemble de la nation. Les plus
hautes autorités de la République doivent reconnaître l’implication première et essentielle de la
France dans tous les traumatismes engendrés par la colonisation de l’Algérie.