Certains élus et associatifs veulent tout de même essayer de mobiliser ces territoires

Ce sont les grands absents du débat national. Du moins pour l’instant. Les quartiers populaires sont à peine mentionnés dans la lettre aux Français d’Emmanuel Macron, ils ne sont pas évoqués par les membres du gouvernement, ni cités par les différents animateurs de cette grand-messe démocratique.

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », les habitants des territoires urbains fragiles sont eux-mêmes restés pour la plupart à l’écart, se sentant « trop éloignés des préoccupations et des revendications des manifestants », explique Zouhair Ech-Chetouani, leader associatif du nord des Hauts-de-Seine. « Comment se battre pour de meilleures conditions de travail quand on n’en a pas », résume-t-il. Inquiets face au « silence des plus précaires », certains associatifs et responsables politiques tentent malgré tout de mobiliser les quartiers afin qu’ils ne « passent pas à la trappe ». Tandis que nombre d’élus y voient un parfum de « déjà-vu » dont ils gardent un goût amer.

Leur grand débat national, ils ont l’impression de l’avoir tenu. Pendant des mois, l’an passé, associations et maires de banlieue ont réuni, consulté, écouté, diagnostiqué et proposé, pour finalement se faire rabrouer. C’était le 22 mai 2018, lors d’un grand rassemblement à l’Elysée, lorsque le chef de l’Etat a balayé le « plan Borloo » d’un revers de manche.

« Depuis, il ne s’est rien passé, ou si peu, souffle Catherine Arenou, maire (Les Républicains) de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), qui a choisi de ne pas ouvrir de cahier de doléances dans sa ville mais qui songe à installer une borne en mairie. On est déjà passé par là, les problèmes ont été identifiés, les solutions, on les connaît. Et on nous demande de recommencer comme si de rien n’était ? »

Lassé de ces grandes consultations « qui n’aboutissent à rien » et s’estimant avoir été « suffisamment déconsidéré »par l’exécutif, le président de l’association Ville & Banlieue, Marc Vuillemot, refuse, lui aussi, de prendre la main pour organiser localement les débats. « Une fois encore, la question des quartiers ne préoccupait personne », tempête le maire (ex-PS) de La Seyne-sur-Mer (Var).« Mais nous sommes prêts à faciliter les démarches de ceux qui souhaitent en mettre en place », précise l’édile, qui se dit par ailleurs « surpris » de voir la laïcité figurer parmi les thèmes listés par le chef de l’Etat « alors que personne ne le demandait ». « Voilà, une fois de plus, comment on va parler des quartiers, à quoi on va les réduire », se désole-t-il.

« Eternel angle mort »

Aux yeux de nombreux élus et associatifs, le thème des discriminations semblait plus opportun. Autre motif de réticence pour certains maires : « Le risque de raviver une guerre des pauvretés et des territoires », juge Catherine Arenou. Craignant que le mutisme actuel de ces territoires envoie le « mauvais »message et fasse des quartiers « l’éternel angle mort » de la politique gouvernementale, d’autres ont choisi de « tenter le coup », malgré la « douche froide » du « 22 mai ». « Même si on n’espère pas grand-chose de ce grand débat, il me semble que c’est une obligation de donner la parole à ceux qui souhaitent la prendre », explique Philippe Rio, maire communiste de Grigny (Essonne), qui a mis à disposition cinq urnes dans les maisons de quartier de la ville et va organiser cinq rencontres dans les prochaines semaines. Il hésite encore sur l’intitulé : les jeudis « de la colère », « des doléances »ou « de l’espoir ».

A Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, les discussions ont déjà commencé : le grand débat a été inscrit à l’ordre du jour des conseils de quartier, dont le premier s’est déroulé dans une école de la cité Derrière les murs, le 16 janvier. Contribution sociale généralisée (CSG) chez les retraités, droit de vote des étrangers aux élections locales ou inégalités fiscales ont figuré parmi les sujets abordés. « Les quartiers populaires sont restés très prudents vis-à-vis de ce mouvement dans lequel ils ne se reconnaissent pas, ou très peu, mais il ne faut pas passer à côté de cette opportunité, estime le maire (divers gauche) Jean-Louis Marsac. Les thématiques sont suffisamment larges pour que l’on puisse s’y retrouver. »

D’autant qu’il existe des « points communs » avec les « gilets jaunes », souligne l’humoriste Yassine Belattar, membre du Conseil présidentiel des villes (CPV). « Les quartiers ont beaucoup à dire », dit-il, tout en regrettant que les « violences policières » ne figurent pas parmi les thèmes à aborder.

La condition des travailleurs pauvres, la question des services publics dans les territoires « délaissés », les « inégalités » au sens large… Ces « convergences »ont été longuement évoquées lors de la dernière réunion de cette assemblée composée de vingt-cinq personnalités issues des quartiers ou y travaillant, lundi 21 janvier.

« Rappeler qu’on existe »

Le ministre chargé de la ville, Julien Denormandie, s’apprête par ailleurs à entamer une série de déplacements afin d’« encourager à faire des débats dans les quartiers », indique-t-on au ministère de la cohésion des territoires. Un peu moins de soixante-dix députés La République en marche, membres d’un groupe parlementaire dédié à la politique de la ville, ont aussi prévu de se réunir vendredi 25 janvier afin de « motiver les élus des quartiers » et « s’assurer, qu’à terme, les doléances recueillies soient transmises »,indique Saïd Ahamada, député LRM des Bouches-du-Rhône.

« Si les quartiers ne s’emparent pas de ce débat, Macron ne s’en préoccupera pas », s’inquiète Hassan Ben M’Barek, du collectif Banlieue Respect, qui rassemble une vingtaine d’associations et va organiser cinq débats au cœur des cités franciliennes. Pour Hassen Hammou, fondateur du collectif Trop jeune pour mourir, à Marseille, à l’origine d’un appel « Pour la France, pas de “Quartiers” ! », publié dans Le Parisien, le 14 janvier, pour « rappeler qu’on existe », « il faut passer aux solutions ».