Gilles Carrez revient sur les propositions de son rapport sur les ressources de la Société du Grand Paris. Le député du Val-de-Marne explique pourquoi il est logique que la fiscalité économique finance le projet, et estime que la Société du Grand Paris doit se concentrer sur l’édification du réseau de transport.
Comment jugez-vous l’hostilité du Medef au lendemain de la présentation des propositions de votre rapport ?
Il est tout à fait légitime que la fiscalité économique soit appelée en priorité pour compléter le financement du Grand Paris express. Tout simplement parce que ces infrastructures ferroviaires ont été dimensionnées en fonction du trafic aux heures de pointe, c’est-à-dire lors des pics de trafic liés aux déplacements domicile-travail, au service des entreprises, avant le loisir ou le tourisme. Des salariés bénéficiant d’une mobilité de qualité, sur un large bassin d’emplois, dans de bonnes conditions de confort et de sécurité constituent un élément majeur de l’attractivité et de la compétitivité de la Région.
Vous proposez de taxer la plus-value qui sera réalisée autour des gares ?
Il s’agit d’un sujet complexe, de long terme. La plus-value, comme son nom l’indique, se taxe lorsqu’elle se réalise. Or elle se réalise de façon progressive ; elle est partagée entre de nombreux intervenants, entre le propriétaire du terrain, le promoteur, etc. Ce que je préconise, c’est, en résumé, d’utiliser des instruments qui soient réellement opérationnels. Et non pas d’inventer une taxe, comme on l’a fait lors de la loi de 2010, que l’on a dû annuler un an après parce qu’elle ne fonctionnait pas.
Le premier moyen, c’est la constitution de réserves foncières publiques. L’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif), comme je l’indique dans mon rapport, a d’ores et déjà conventionné avec 80 % des communes qui accueilleront les nouvelles gares du Grand Paris express. Je plaide, c’est notre première considération à ce sujet, pour une politique de réserve et d’acquisition foncière publique active. Il faut inciter toutes les collectivités concernées à contractualiser avec l’EPF d’Ile-de-France.
Vous évoquez une contribution d’aménagement ?
Autour de grandes gares, celles d’interconnexion notamment, je plaide en effet pour des opérations d’aménagement structurées, avec des aménageurs bien identifiés. Je préconise, d’ailleurs, que la Caisse des dépôts intervienne là où il n’y a pas d’aménageur identifié. Dans le cadre de ces opérations d’aménagement qui peuvent être publiques, privées ou menées en partenariat public-privé, il sera possible de dégager des contributions d’aménagement, sur le modèle des contributions de ZAC, pour financer des équipements publics, des écoles, des crèches.
Il va falloir mener, c’est tout l’intérêt de ce réseau, en parallèle de l’édification des gares, une politique d’aménagement et de logements cohérente. Les collectivités locales, dont chacun connaît l’état des finances, auront besoin de ces contributions si elles souhaitent accompagner l’accueil des populations, en termes d’équipement. Il ne s’agit pas là d’infrastructures de transport stricto sensu.
Vous évoquez également la taxe d’aménagement ?
Il existe en effet un autre instrument, qui ne joue qu’une fois, et qui s’appelle la taxe d’aménagement. Je pense que l’on pourra, à terme, mettre en place une surtaxe d’aménagement de nature à récupérer une partie de la plus-value.
Enfin, il existe un outil récent, qui est très intéressant : il s’agit de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Autour de certaines gares puissantes, les loyers (activités, logement) vont augmenter. Or les hausses peuvent être prises en compte par l’actualisation régulière des valeurs locatives des impôts locaux comme c’est le cas depuis la réforme des valeurs locatives professionnelles. Il n’existe donc pas un instrument unique, une taxe sur les plus-values dont on parle dans des colloques un peu abstraits et qui ne fonctionne pas. Il existe une boîte à outils qu’il convient d’utiliser de façon rationnelle et que mon rapport décrit.
Vous militez pour la densification des quartiers de gare ?
Sur certaines gares, pas sur toutes. Sur celles d’interconnexion, par exemple la future gare de Val-de-Fontenay ou de Saint-Denis Pleyel, il faut bâtir de véritables quartiers de ville. Lutter contre l’étalement urbain suppose de bâtir les logements là où il y a les transports. Même si je connais l’hostilité de nombreux maires pour la densification. C’est la contrepartie. On ne peut pas avoir une gare dotée de plusieurs lignes et tout autour une zone seulement pavillonnaire.
Vous évoquez les risques liés au coût d’exploitation du réseau ?
Ce sujet est identifié depuis 2009. Mon rapport de l’époque mettait en garde sur les défis financiers de l’exploitation. Le budget d’Ile-de-France mobilités s’élève déjà aujourd’hui à 9 milliards d’euros. La contribution demandée aux usagers ne cesse de faiblir : on est aujourd’hui à moins de 28 %. Pour des raisons électorales, parce que les municipales approchent, la maire de Paris vante l’idée selon laquelle les transports pourraient être gratuits. Mais les transports gratuits n’existent pas. Il y a toujours quelqu’un qui paie. Que ce soit par le biais du versement transport (VT) ou par le biais des subventions publiques, accordées par la Région et les Départements.
Aujourd’hui, le VT en région parisienne, je suis d’accord sur ce point avec les entreprises, a atteint un niveau record, on doit donc d’ores et déjà savoir comment on va , terme, les 650 millions d’euros que représentera l’exploitation du Grand Paris express, le matériel roulant, le personnel, l’électricité et l’ensemble des frais de fonctionnement, hors redevances et hors budget des gares. Si vous ajoutez la redevance d’infrastructure prévue par la loi de 2010, et dont la Région n’a jamais voulu – le décret à ce sujet n’est jamais sorti -, s’ajoutent 200 millions d’euros. Et 200 millions également pour financer l’exploitation des gares. On arrive ainsi à un milliard d’euros. Pour IDF mobilités, cela ne passe pas. Il faut donc regarder les choses de près. Cela va venir très vite avec des premières mises en service en 2024. Il faut rechercher des consensus sur les solutions à apporter à ce défi financier.
Vous estimez que la SGP n’est pas outillée pour gérer les gares ?
Ce que je dis surtout, c’est que dans le paysage déjà suffisamment complexe, où une gare est gérée par le gestionnaire d’infrastructure, la RATP ou SNCF réseau, mais également par l’exploitant, l’opérateur – je rappelle que l’exploitation de ces nouvelles lignes sera soumise à la concurrence -, on ne va pas ajouter un intervenant supplémentaire, à savoir la SGP. Si l’on veut réussir, il vaut mieux ne poursuivre qu’un seul objectif. Or la SGP a un objectif pharaonique : réaliser le plus grand réseau du monde de métro automatique souterrain, dans un minimum de temps, 2024 pour les JO et 2030 pour avoir terminé et en tenant absolument le budget alloué de 35 milliards d’euros.
De même, la SGP ne doit pas faire de l’aménagement, au risque de se disperser. La SGP a bien travaillé sous l’autorité de Philippe Yvin, elle a par exemple su sortir l’ensemble des DUP dans les temps. Les équipes de la SGP ont fait, jusqu’à présent, un travail remarquable.