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Pierre Mansat et les Alternatives

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Miyazaki, roi de l'animation japonaise : un article très fouillé sur les Inrocks.fr

Hayao Miyazaki, le roi de l’animation japonaise

Clément Arbrun 

- 18/08/18

Avec "L’œuvre de Hayao Miyazaki" (Third Éditions), Gaël Berton s’attaque aux mondes aériens d’un conteur sans concessions, tour à tour écologiste inquiet et esthète de la destruction, poète humaniste et artiste cruel, aussi populaire qu’ombrageux. L’apanage des génies en somme.

Figure mondialement reconnue du cinéma japonais, décoré d’un Lion d’or à la Mostra de Venise et d'un Oscar honorifique pour l’ensemble de sa carrière, cité parmi les cent personnalités les plus influentes de la planète par le magazine Time, sujet - de son vivant - d'un Musée tokyoïte accueillant près de 70 000 visiteurs par an...Que peut-on ajouter à propos d'un cinéaste aussi reconnu qu'Hayao Miyazaki ? Beaucoup de choses, comme le démontrent les études de L'oeuvre d'Hayao Miyazaki, focus amoureux sur les films grisants du Kurosawa de l’animation nippone.

Guerre(s) et Paix 

Loups géants, sorcières, créatures fantasmatiques, totoros kawai jouant de l'ocarina aux sommets des arbres, esprits millénaires des terres boisées...Le bestiaire de "Miyazaki-san" est d'une richesse inouïe. C'est cette imagerie que le passionné Gaël Berton, marqué au fer rouge par les visions de Porco Rosso et Mon Voisin Totoro, s'est évertué à défricher. Décomposant le mille feuille miyazakien une tranche après l'autre, l'auteur pose le doigt sur l'atmosphère si propre à ces chocs culturels  : cette constance entre l'apaisement et la vitesse, le calme et la tempête. Logique, car la filmographie de Miyazaki est une vaste épopée faite de guerre(s) et de paix.

"Dans la vie idéale de Miyazaki, les humains, la nature, les robots et les esprits tentent, peut être sans le savoir, de simplement vivre en harmonie" analyse l'exégète. Comme à la guerre, ni gagnants ni perdants dans ces fables conflictuelles. Le diamant noir Princesse Mononoké le démontre -  Gaël Berton l'envisage en allégorie sur la nature humaine où s'entrelacent "idéalisme, fanatisme, extrémisme". Gamin passionné de mécanique, Hayao grandit dans le bruit et la fureur de la Seconde Guerre mondiale. Sa famille fuit les bombardements sur Tokyo. Ingénieur aéronautique, son père Katsuji participe à la construction d'avions de chasse pour l’armée japonaise et revendique une vision très cynique du conflit. Miyazaki en témoigne lui-même en 1995 : "Pour lui, la guerre était quelque chose dans laquelle seuls les idiots s’engageaient. Il n’avait aucun intérêt pour les causes justes ou le sort de son pays. La seule problématique était comment sa famille allait survivre".

De quoi inspirer le garçon de quinze ans, qui trouve sa voie en découvrant Le Serpent blanc, premier long-métrage d’animation japonais en couleurs. Inspirés par la philosophie paternelle, ses films révolutionnaires seront des oeuvres de survie, les fresques anachroniques d'un monde déclinant. La maison de production qu'il créé le 15 juin 1985 en compagnie d'Isao Takahata et Toshio Suzuki s'appelle Ghibli, du nom d’un avion de l’armée italienne utilisé pendant les années quarante. Preuve en est que la guerre ne s'est jamais vraiment achevée dans l'esprit d'Hayao Miyazaki.

Une personnalité ambivalente

Mais chez le cinéaste, le conflit est avant tout intérieur. L'ingénieuse narration de l'essai - par décennie, films puis thématiques - permet d'explorer de plus en plus finement des films à la fois accessibles et complexes. Quitte à dévoiler la part d'ombre derrière l'éclat d'une filmographie foisonnante.

Aussi emblématique que Walt Disney, créateur d’œuvres familiales sensibles, le cinéaste est surtout une bête de travail aux deux visages. D'un côté, Miyazaki, le roi du film d'animation dont les fables enfantines ont bouleversé le monde, de l'autre, Hayao, le père de famille froid et distant. La conception des Contes de Terremer, premier film de son fils aîné Goro, est très houleuse. Cela fait vingt ans que le père souhaite transposer à l'écran la saga de fantasy d'Ursula K. Le Guin. Le producteur privilégie finalement son fils, alors âgé de trente neuf ans. Père et fils ne se parlent pas durant les dix mois de tournage. Une première projection du film a lieu en juin 2006. Hayao s'y rend, mais, mécontent, quitte la salle au bout d'une heure de métrage. Malgré la contribution de Goro à son empire (il restera des années à la direction du musée Ghibli), cette tension à couper au cordeau persiste. Ainsi Les contes de Terremer s'introduit-il...sur un parricide ! L'inconscient n'est jamais loin chez Miyazaki, capitaine à bord et meneur d'hommes colérique "souvent adulé et parfois détesté par ses pairs, portant un regard à la fois naïf et cynique sur le monde".

Si la figure paternelle est imposante, elle est aussi écrasante. La réception critique des Contes le démontre : père et journalistes jugent à l'unisson que le fiston Miyazaki n'est pas légitime. Il faudrait dès lors une belle thèse de psychanalyse pour bien cerner ce fils aîné "qui porte un rôle difficile à assumer, coincé entre ses propres aspirations, le regard d’un père parfois cruel, l’orientation non désintéressée du producteur et les attentes inatteignables du public élevé à la cuillère Hayao" achève Gaël Berton.  "J’ai essayé d’être un bon père, mais en réalité je ne l’ai pas été. Ce que j’entends de mes enfants c’est “Père ne nous grondait pas avec des mots, mais en nous tournant le dos" confessera de son côté le cinéaste avec amertume. On comprend dès lors que Miyazaki sacrifie tout à son art. Quitte à paraître cruel, sous les atours flamboyants de ses poèmes lyriques. Ainsi forcera-t-il son épouse Akemi Ota à abandonner sa carrière d'animatrice. Quatre ans après la naissance de leur premier fils, cette dernière devient femme au foyer afin de s'occuper pleinement de ses enfants. Hayao Miyazaki veut tout contrôler, jusqu'à l'existence de son entourage. De fait "la vie d’Akemi est-elle particulièrement discrète voire secrète : personnage quasiment sorti de la vie publique après son passage en tant que femme au foyer, on n’en connaît que ce que Hayao Miyazaki veut bien en livrer" ajoute le cinéphile.

Une culture japonaise "respectable"

La recette Ghibli est celle du succès. Princesse Mononoké propulse l'auteur sur la scène internationale en attirant plus de quatorze millions de spectateurs au Japon, surpassant le hit E.T. Avec vingt-trois millions d’entrées cumulées sur le territoire national, l'ouragan Chihiro devient le film le plus rentable de l’histoire japonaise, devant Titanic et La Guerre des étoiles. Il semble loin le Hayao des années cinquante, dont les milliers de pages de mangas envoyés à des éditeurs aboutissaient systématiquement à des refus. Puisque fracassant, rappelle Gaël Berton, son succès est puissamment sociologique. Aux yeux de l'intelligentsia occidentale des années 80, il personnalise une culture japonaise "respectable", contrastant avec les séries cultes mais contestées de notre enfance - Goldorak, Les Chevaliers du Zodiaque, Ken le survivant, Sailor Moon, Dragon Ball. Face aux divertissements des générations Récré A2 et Club Do, condamnés pour leurs prétendues perversions, ses superproductions incarnent la "bonne" animation japonaise, exigeante et forcément "adulte".

Il faut dire que le rang des collaborateurs de Miyazaki se compose de personnalités particulièrement grandioses de la japanimation, du regretté Isao Takahata (Le tombeau des lucioles) à Hideaki Anno, à qui l'on doit l'univers des Evangelion - influence majeure de James Cameron et Guillermo Del Toro. Pour l'auteur, le succès de Nausicaä au Japon (près d’un million de spectateurs) "a relancé la démarche de conception du long-métrage d’animation japonais, délaissé au profit des séries animées déclinées à échelle industrielle". L'ingestion progressive des fantaisies miyazakiennes en France va de pair avec la reconnaissance critique des mangas.

«Hayao Miyazaki a durablement contribué à balayer cette image difficile traînée par la japanimation en Occident, lui permettant de pivoter élégamment vers une approche plus artistique. Sa capacité à livrer des oeuvres à tiroirs, à la fois pour les enfants et les adultes, n’y est sans doute pas étrangère" détaille en ce sens Gaël Berton.

Ce "pivotage" tient aussi à sa capacité à bâtir des ponts entre les cultures. Admirateur du Roi et l'Oiseau, classique de l'animation française signé Paul Grimault, Miyazaki conçoit son Cagliostro en se référant au roman éponyme de Maurice Leblanc et puise dans L'Odyssée d'Homère pour imaginer Nausicaä, Là où Le château dans le ciel s'imprègne des Voyages de Gulliver de l’Irlandais Jonathan Swift, Ponyo évoque tour à tour La Petite sirène du danois Hans Christian Andersen et La Walkyriedu compositeur germanique Richard Wagner. Quant aux péripéties oniriques de Chihiro, elles nous immergent dans un rêvé éveillé qui n'a rien à envier aux vertiges nonsensiques d'Alice au pays des merveilles. Gigantesque carte du monde, ces imaginaires englobent légendes japonaises, mythes, contes étrangers et fulgurances émanant de l'esprit de Miyazaki lui-même. Une véritable salace macédoine.

Un auteur féministe 

Mais s'il fait du neuf avec du vieux, Miyazaki est avant tout un auteur absolument progressiste. Humanistes, mélancoliques, écologistes, ses créations originales sont surtout celles d'un féministe. C'est tout du moins ce qui ressort de cette réflexion érigeant en icônes la femme-louve Mononoké, l'intrépide Chihiro et la valeureuse Nausicaä. La féminité, cette "sobre force vive" est partout chez Miyazaki, et pas seulement à l'écran. Ainsi apprend-t-on que "la conception de Porco Rosso a ceci de particulier que des femmes se trouvaient à tous les postes clés de l’équipe principale qui le réalisa". Son monde est celui des guerrières, des gamines fortes tetes, des commandantes des armées. Ce sont des héroïnes multifacettes, complexes, indépendantes et ambiguës, qui incarnent le présent - dynamique - et l'avenir d'hommes absents, angoissés, infantilisés ou tout simplement stupides.

«Dans une société japonaise contemporaine où la plupart des femmes quittent encore leur emploi à la naissance du premier enfant pour devenir mères au foyer, dans un couple pourtant initialement progressiste où Miyazaki lui-même a finalement demandé à son épouse de quitter son emploi d’animatrice contre son gré, dans une japanimation où la femme a longtemps été cantonnée à des rôles stéréotypés de femme fatale, voire de vulgaire objet sexuel ou de demoiselle en détresse, l’artiste fait figure de paradoxe en offrant aux filles et femmes une position et un statut déterminants" s'enthousiasme ainsi l'auteur.

Derrière ces personnages virevoltants c'est un fantôme qui hante le cinéma de Miyazaki : celui de sa mère, atteinte d'une tuberculose alors qu'il n'avait que six ans. Ce mal intérieur vient bouleverser sa sérénité d'enfant. L'artiste en rend compte à demi mot Mon voisin Totoro, conte nostalgique d'une rare douceur.

Une ombre qui perdure

Septembre 2013 : à 73 ans, Miyazaki annonce sa retraite lors d'une conférence de presse à Tokyo. Son crépusculaire Le vent se lève est accueilli comme un chant du cygne. Alors, envolé, Miyazaki ? Jamais. Sa silhouette plane sur les écoles maternelles de l'Archipel, où la chanson d'ouverture de Mon Voisin Totoro fait office d'hymne. De plus, si affligé par une baisse de vue il délaisse sa posture de réalisateur, son regard n'en quitte pas moins Ghibli, où il se rend encore quotidiennement. Son retrait apparaît comme un coup de bluff lorsque l'on connaît son besoin organique de créer et le désir de possession qui l'anime à chaque production marquée de son seau. Le 28 octobre dernier, le cinéaste teasait d'ailleurs son retour imminent à la mise en scène.

Par-delà les murs de sa maison mère, son ombre impérieuse survole l'ensemble du paysage artistique. On aime ainsi à rappeler que Le Château de Cagliostro (1979) est l'un des films favoris de Steven Spielberg, cet autre explorateur d'imaginaires populaires. D'aucuns s'exercent à suggérer ses héritiers : Hiroyuki Okiuri, auteur de Lettre à Momo, Makoto Shinkai, le prodigue du spleen contemplatif, Mamoru Hosoda, brillant créateur d'univers reconnu pour La Traversée du temps et Summer Wars (par ailleurs recruté par Ghibli en tant que réalisateur sur Le Château ambulant, avant de partir suite à un différent artistique). L'influence de Miyazaki se fait sentir jusque dans les domaines de l'illustration - le génial Jean Giraud, alias Moebius, décidera d’appeler sa fille Nausicaä. L'apparition de Totoro chez Pixar (dans Toy Story III) est à ce titre l'une des plus fines déclarations d'amour adressées au maître.

Adoptés par les nouvelles générations, les Rubiks Cube de Miyazaki attisent aujourd'hui les théories les plus folles sur le web. L'une d'elle nous suggère "que les fillettes de Mon Voisin Totoro décèdent au cours du film (dans la dernière scène, leurs ombres ne sont pas très visibles). Totoro serait alors une sorte de dieu de la mort qui les accompagnerait vers l’au-delà" nous apprend Gaël Berton. Mais au travers des paysages enchantés et villes flottantes de Miyazaki, puisqu'il n'y a jamais vraiment d'happy end, il n'y a jamais vraiment de fin tout court. Son art comme sa vie pourraient se résumer par le nom poétique du prince de Princesse Mononoké : "Ashitaka". Cela signifie "demain ?". Le point d'interrogation laisse rêveur.

L’œuvre de Hayao Miyazaki. Le maître de l’animation japonaise, par Gaël Berton (Third Éditions). Sortie le le 10 juillet 2018

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