14 Mai 2010
Le secrétaire d’Etat présente son plan pour le développement de la région capitale. Déjà contesté, il répond aux attaques.
Cet homme a une chance de fer à cheval. On ne lui a jamais confié que des choses qu’il ne savait pas faire : la RATP, Air France, la Nouvelle-Calédonie... Et il en est toujours sorti avec les honneurs. A Nouméa, la paix est revenue ; la compagnie aérienne nationale a échappé à la faillite qui semblait promise ; le dialogue social s’est enfin noué dans le métro. Christian Blanc est verni. Aux législatives de 2002, passé en politique, il a même été élu dès le premier tour dans les Yvelines. C’est simple, pour illustrer le mot « dialogue », le Larousse s’apprêtait à mettre sa photo. Dès qu’un syndicaliste CGT d’Air France ou de la RATP reçoit la Légion d’honneur, il invite l’ancien boss.
Mais, soudain, l’image semble écornée. Chargé d’orchestrer le chantier présidentiel du Grand Paris, Christian Blanc serait devenu autiste, n’écoutant que ses intuitions, ne suivant que ses idées. Evidemment, il proteste. La discrétion est une méthode de travail et le chantier est énorme, mais il tient compte de tous les avis. En tout cas, son projet est exaltant. Il entend faire de Paris une des cinq ou six villes-monde des années 2020. Et, pour cela, il va faire en sorte que les atouts de la capitale française soient lisibles sur les cinq continents.
Paris sera grande, technologique et multiethnique mais aussi, et surtout, agréable à vivre. Son objectif est simple : sur les bords de la Seine s’étendra le centre mondial de l’art de vivre. Alors un cadre de vie exceptionnel attirera à nous les meilleurs chercheurs des meilleurs laboratoires dont les travaux irrigueront toute la métropole. Pour cela, pas question de se passer des gestes architecturaux apparus pendant la consultation publique. Il faudrait une centaine d’yeux pour les fermer sur toutes les propositions enthousiasmantes.
Seulement, pour en profiter, Christian Blanc entend créer la première cité de 10 millions d’habitants dotée d’un système de transports publics ultramoderne, confortable et efficace. De sorte que Paris ne soit pas un palais dont les habitants ne connaissent que les couloirs. C’est la première étape d’un défi énorme, mais elle est incontournable et il nous l’a expliquée sans glisser sur les chiffres comme un patineur.
Paris Match. Cela ne vous fatigue pas d’être toujours, pour les élus de la région, le grand méchant Blanc, celui qui travaille tout seul et pique les prérogatives des autres, Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, en particulier ?
Christian Blanc. Je n’ai pas voulu polémiquer jusqu’à maintenant et j’ai de l’affection pour lui. Mais il faut quand même savoir que cela fait deux ans que François Fillon lui a écrit pour lui dire que son schéma directeur “manquait d’ambition”. Or, il n’a toujours rien modifié. Il est invraisemblable qu’un projet pour une région capitale ne comporte aucune articulation avec les aéroports, ni jonction avec les futures gares TGV d’interconnexion – dont le projet avance bien – et encore moins avec la mer... Une véritable hérésie pour une grande capitale mondiale !
Mais en quoi votre super métro va-t-il changer la vie dans trente ans, c’est-à-dire à une époque où Huchon, aussi bien que vous, aurez disparu de la circulation ?
Je me projette dans le livre en 2024. J’ai fait un rêve... Celui de Paris capitale des JO, cent ans après avoir hébergé les Jeux en 1924. C’est plausible, j’en ai parlé avec des membres du CIO... Nous disposerons alors du métro le plus performant du monde : la double boucle, un système entièrement automatisé – sécurisé, donc –, roulant à 60 ou 80 km/h sur 130 kilomètres en desservant 40 gares (un peu plus, avec celles de la ligne Météor, l’ossature de sa ligne radiale qui traverse Paris) : aucune capitale au monde n’aura l’équivalent. Dans trente ou quarante ans, Paris sera une plate-forme majeure pour les activités économiques mondiales.
La compétitivité c’est bien, mais la vie des gens ?
Paris est une ville-monde. Il n’y en a que quatre sur la planète, selon ce nouveau concept défini par l’OCDE. Les autres sont New York, Londres et Tokyo, elles affichent toutes un taux de croissance supérieur à leur moyenne nationale. Sauf Paris, qui a toutefois un atout formidable dans cette lutte pour l’attractivité : son art de vivre. Dans l’économie de la connaissance qui est celle du XXIe siècle, Paris a cette capacité à libérer de la matière grise. Et si elle relève ce défi, tous les créateurs, dans tous les domaines, y viendront. Le Grand Paris, ce ne sera pas seulement sa grande boucle. La cohésion sociale ne sera pas oubliée. Savez-vous pourquoi nous avons découvert tant de créativité, de “champignons”, dans le secteur Pleyel, Saint-Denis, Saint-Ouen... au nord de la capitale ? Parce qu’il y coexiste plus de 120 cultures et origines ethniques. Les chefs d’entreprise ne s’y trompent pas quand ils disent que c’est dans ces quartiers qu’on trouve des travailleurs qui ont la niaque.
La zone Saint-Denis-Pleyel, c’est ce que vous appelez un “cluster” ?
Les clusters sont des territoires de création où toutes les compétences se conjuguent sur une même activité. Pleyel, c’est le carrefour de l’innovation, dans l’audiovisuel ou le numérique. La Défense est déjà la deuxième place financière européenne, ça ne se sait pas, elle manque d’une visibilité mondiale... Il faut peut-être la spécialiser encore davantage et y adjoindre les sièges des grandes institutions financières, comme l’Autorité des marchés financiers ou la Cour des comptes. Sait-on que Le Bourget, autre pôle, est le deuxième aéroport d’affaires au monde ? Le premier Européen ? Non. Il faut réaliser un cadre urbain valorisant autour de ce secteur d’activité. Avec La Courneuve et son parc, il y a un potentiel incroyable, totalement sous-utilisé. Je rêve du “Bourget porte du ciel”, concentrant tout le savoir sur l’espace et les galaxies...
Et l’architecture ? Vous parlez d’art de vivre, mais vous semblez évacuer toutes les idées formidables, terrasses sur les toits, transports “poétiques” et autres monuments emblématiques qui ont été imaginés par les architectes à la demande de Nicolas Sarkozy...
Au contraire, il y en a déjà qui travaillent : Christian de Portzamparc dans le secteur du Bourget, Michel Desvigne, grand architecte paysagiste, à Saclay, ou Finn Geipel sur l’axe Montfermeil-Clichy-Sevran. Tous les architectes de la consultation seront dans le conseil scientifique de l’Atelier international du Grand Paris. Mais on ne va pas faire de l’architecture avant l’urbanisme. C’est ce qui me différencie de Jean Nouvel...
... qui demandait carrément votre départ !
Je respecte son talent, c’est un génie du dessin architectural, mais il ne passe pas vraiment pour un urbaniste auprès de ses collègues.
Et la Société du Grand Paris, y aura-t-il un nouvel Haussmann à sa tête ? Vous ?
Le président de la Société du Grand Paris s’apparentera plutôt à un Fulgence Bienvenüe, le créateur du métro de Paris ! Quand on lui demandait quand s’achèveraient les remboursements, il répondait : “En 1973 !” J’ai vérifié : la dernière échéance a été payée dix ans plus tôt. Notre emprunt pour la grande boucle s’étalera sur environ quarante ans. La Société du Grand Paris aura pour mission de le gérer, d’assurer la maîtrise d’ouvrage dans les délais impartis par la loi qui sera votée à la fin de ce mois, c’est-à-dire pour 2023, d’effectuer, enfin, à la demande des communes, des opérations d’aménagement urbain.
Et comment comptez-vous rembourser ce coût faramineux de 21,4 milliards d’euros ? D’où proviendront les recettes ?
De la valorisation foncière, des redevances provenant de l’activité commerciale des gares, qui deviennent de véritables entreprises, et du péage reversé par la société d’exploitation, l’autorité des transports d’Ile-de-France, à qui sera remise l’infrastructure dans treize ans.
Elle desservira des lieux de vie ou des “champs de patates” ?
Mais c’est une bêtise monstrueuse de colporter ça, comme le fait Huchon ! Dans un rayon de
1,5 kilomètre autour des futures gares, il y a 5 millions de personnes. Ce sont des patates ? Je l’ai dit un jour à l’Assemblée. Depuis, je n’ai plus entendu cette expression. Autour des 2 millions de Parisiens intra-muros il y a 7 millions d’habitants. Ce chiffre correspond à la population additionnée des 14 premières villes françaises, de Marseille à Toulon en passant par Nice. Elles ont toutes ou presque un stade, une gare TGV, un opéra, etc. Et des transports de proximité. Si on arrive à mutualiser dans une très grande agglomération tous ces types d’équipements – dans des “hauts lieux”, comme les dessinent certains architectes, ou autour de “polarités” –, on maximise la qualité de vie. Et on s’aperçoit de l’absolue nécessité d’un réseau très efficient, très rapide, fonctionnant 24 heures sur 24. La grande boucle sera le réseau sanguin du Grand Paris.