12 Avril 2010
Elections régionales, Grand Paris, où est la question ?
Le Grand Paris est le grand absent du débat politique en Île-de-France.
Le silence gardé sur les enjeux de la métropole parisienne a de quoi étonner. Et ce n'est pas l'interview de Nicolas Sarkozy à Architecture d'aujourd'hui qui va changer quelque chose. En novembre, le projet de loi portant sur le Grand Paris était adopté par l’Assemblée nationale. Au printemps dernier, la consultation internationale sur le Grand Pari(s) a suscité des échanges passionnés. Mais surtout, depuis maintenant 4 ans, les élus de la métropole se sont engagés dans la construction d’une scène politique (Conférence métropolitaine, devenue Paris Métropole) où ils confrontent leurs visions de l’avenir, débattent de l’insertion dans la mondialisation, discutent de solidarité.
Alors que s’est-il passé pour qu’au moment où s’engage le débat des élections régionales on oublie d’en parler?
Je crois que faute de vouloir poser publiquement et ouvertement la question de la gouvernance, on a accepté de laisser la question de l’avenir de la métropole se fractionner en une juxtaposition de compromis locaux, négociés à la seule initiative de l’Etat.
Mettre sous le boisseau la question métropolitaine, c’est accepter une recomposition institutionnelle de l’Île-de-France indispensable mais qui, aujourd’hui, avance masquée et ne permet pas à l’ensemble des collectivités de répondre aux vrais enjeux.
L’Etat, qui depuis toujours redoute l’émergence d’une volonté efficace et légitime à la dimension réelle de la métropole parisienne, est depuis quelques mois à la manœuvre de manière habile et coordonnée. Projet de grand 8, négociation des contrats de développement territoriaux autour des futures gares du réseau, mise en œuvre de projets intercommunaux (autour de Roissy, Pleyel, le Bourget), Société du Grand Paris, élargissement des OIN, autant de petites touches qui lui permettent de recomposer le paysage institutionnel de la métropole sans affronter le débat public.
Ce nouveau paysage émergent a de quoi inquiéter. Il est, par construction, condamné à prendre acte des rapports de force locaux, à surfer sur les revendications catégorielles et à contourner la question des contradictions naturelles entre les territoires de la métropole tous aussi désireux d’accueillir les équipements et les activités les plus valorisantes.
Or dans le Grand Paris, la qualité de vie ne dépend pas seulement de la qualité de son quartier ou de sa ville, mais du bon fonctionnement global de la métropole. Les habitants qui fréquentent les transports en commun, travaillent et résident dans des communes différentes ou cherchent un logement accessible, ont déjà bien identifié qu’ils étaient pris dans un système d’intérêt collectif et interterritorial. Chacun doit admettre que la métropole n’est pas qu’une simple addition de villes et d’intérêts locaux juxtaposés ; une somme de négociations locales plus où moins discrètes ne permettra jamais de faire émerger cet intérêt général.
Face à l’Etat, naturellement impliqué dans le devenir de la région capitale, l’accélération du mouvement de fond vers l’intercommunalité est une bonne nouvelle, mais elle ne peut tout régler. Ces intercommunalités, nouvelles (Est ensemble, Plaine de France) ou consolidées (Grand Paris Seine ouest), frisent les seuils identifiés par la réforme des collectivités territoriales pour être retenus comme des métropoles. En se dotant de nouveaux moyens (agences d’urbanisme notamment), elles contribuent à l’émergence d’une communauté de destins.
Vue de Paris, l’émergence d’un polycentrisme efficace au sein de la métropole est une formidable opportunité, à condition que la place et la centralité parisienne soient reconnues. Nous avons devant nous la possibilité de construire une gestion efficace de la relation avec ces territoires et de ces territoires entre eux. L’efficacité passera ici encore par la compréhension profonde des mécaniques à l’œuvre que les géographes désignent sous le terme de métropolisation : renouvellement des populations, rupture du lien entre habitat et travail, spécialisation des territoires, logiques d’attractivité différenciée, généralisation de la mobilité, ouverture internationale…
Pendant que la campagne se déroule, la question métropolitaine reste cependant entièrement ouverte. Au nom d’une certaine idée de l’intérêt collectif, d’un intérêt métropolitain qui ne peut être totalement pris en charge par ces nouveaux ensembles territoriaux, et qui n’est pas au cœur des préoccupations des équipes de Ch. Blanc, je crois qu’il est temps de viser la mise en place de mécaniques de régulation claires et efficaces au sein de la métropole, plutôt que de s’en remettre à l’ajustement permanent sous la pression de l’Etat où de toute autre circonstance conjoncturelle.
La régénération de la gouvernance est la condition sine qua non de l’équité et de l’efficacité urbaine.
Après 10 ans d’expérimentation en vraie grandeur de la complexité métropolitaine, c’est donc au nom d’une triple exigence que je veux engager le débat, sans attendre, sur la question de la gouvernance.
Une exigence démocratique. Il n’est plus concevable que des décisions lourdes de conséquences pour les citoyens soient prises dans des instances politiques et techniques dont ils ignorent jusqu'à l’existence et qui échappent à leur contrôle.
Une exigence d’efficacité. Refuser de poser la question du gouvernement de la métropole est le plus sûr moyen de s’interdire de mener des politiques publiques correctrices à l’échelle où des solutions sont possibles.
Une exigence d’équité. Ne pas faire émerger un ensemble politique légitime et cohérent, c’est avaliser sans le dire où sans en être conscient la dynamique accélérée de séparation à l’œuvre depuis trop longtemps dans la métropole. Ne pas construire des liens entre les acteurs de la métropole, c’est accepter une hiérarchie des lieux, un morcellement préjudiciable aux territoires les plus faibles et à leurs habitants
Pour l’entreprendre, il faut de la modestie et de la décision.
Modestie et inventivité, car il est illusoire de penser qu’il existe une solution simple.
Décision, car on ne sortira pas du statu quo par des petits ajustements sans rupture, sauf à s’en remettre à l’Etat seul maître du jeu et des horloges.
Régénérer implique d’abord de penser autrement. Il faut se consacrer à la coordination du système et non plus au triomphe de telle ou telle de ses composantes. Il s’agit, contrairement à ce que l’Etat propose et réalise déjà, de manière continue et discrète, de partir de la volonté coordonnée des acteurs du territoire pour construire les conditions dans lesquelles les agencements des territoires pourront produire de l’action publique régulatrice.
Il existe dans la métropole parisienne un très grand nombre de territoires complémentaires et interdépendants. Il s’agit donc de viser des règles, des dispositifs, des moyens et des stratégies qui permettent de partager l’action publique entre territoires, pour servir la cohérence et l’effectivité de leurs actions respectives.
Mais la persistance des frontières administratives illisibles, l’existence de plusieurs centaines de maires, de 7 Conseils Généraux, de Paris, d’une centaine d’intercommunalités, de la Région doit amener tous ces acteurs politiques à apprendre à jouer collectif.
Régénérer c’est s’appuyer sur le lieu du débat démocratique, où s’expérimente l’élaboration collective par des élus : Paris métropole et lui donner de vraies compétences. Il s’agit donc d’identifier comment Paris Métropole peut se positionner comme l’outil d’approfondissement et de régulation des débats métropolitains. Comment Paris Métropole peut être investi de pouvoirs qui devront aller bien au-delà des études pour arriver à produire de la décision. Non plus selon un format unique, mais de manière variable en fonction des sujets. Paris Métropole doit devenir le lieu de proposition et d’action qui entreprend, développe des instruments de solidarité financière, porte des projets métropolitains. Paris Métropole dessine les contours d’une gouvernance innovante: elle est le lieu où, démocratiquement, doivent s’inventer de nouveaux rapports entre collectivités, assumant de rechercher une voie nouvelle qui dans notre région ne peut se réduire aux schémas institutionnels classiques déjà à l’oeuvre dans les métropoles régionales.
Régénérer, c’est enfin rendre aux citoyens les outils et syndicats techniques existants, ceux qui font vivre chaque jour la métropole. On n’a pas le système politique le plus intégré, mais au quotidien mille et un projets passent au travers des murs des différentes collectivités. Il y a des éléments de gouvernance qui fonctionnent dès aujourd’hui et qui assurent en continu la viabilité de la métropole. Il reste à les rendre aux citoyens, pour que la négociation et des jeux de pouvoirs politiques obscurs ne rendent plus possible une prise de décision sans rapport avec les vrais besoins.
Je suggère deux initiatives pour doper cette régénération :
Une conférence métropolitaine des projets destinés à faire apparaître au grand jour les petits et grands projets de dimension métropolitaine et leurs acteurs (singulièrement les acteurs économiques), avec un texte fondateur (: une charte).
> Initier des conventions entre collectivités membres de Paris Métropole pour porter et financer des opérations imaginées au sein de Paris Métropole, par exemple des événements, ou la coordination d’événements, contribuant à ancrer l’identité métropolitaine.
Et avec de nombreux amis, je lance le Club des Enfants Rouges *, un club dont l’ambition serait d’animer le débat métropolitain.
Pierre Mansat
*Du nom du lieu, où en sirotant les vins de Dany, le projet a émergé.