21 Octobre 2007
Beatrice Jérome dans un autre article : Les tours, un tabou depuis les années 1970, évoque l'initiative que j'ai prise comme président du CAUE de lancer une conférence citoyenne sur la forme urbaine et les hauteurs.( cf un billet précédent)
Elles sont galbées, élancées, déhanchées. Ponctuées de jardins suspendus ou surmontées de piscines ou de restaurants pour nager ou dîner en plein ciel. Certaines ont des reflets dorés, d'autres moirés. Onze cabinets d'architectes ont remis en juin à Bertrand Delanoë les esquisses de tours qu'ils rêveraient de construire en lisière de Paris. Là où elles ne gênent personne, où il y a de la place et où elles pourraient incarner les futurs totems urbains d'un "Grand Paris".
Désireux de faire sauter, s'il est réélu maire de Paris en 2008 - et en quelques endroits seulement -, le verrou réglementaire qui limite la hauteur des immeubles à 37 mètres, soucieux de réconcilier avec la hauteur les Parisiens, traumatisés par la tour Montparnasse, M. Delanoë a sollicité quelques-uns des plus grands noms de l'architecture français, allemands, espagnols et autrichiens. Ceux-ci ont réfléchi à l'utilité et à la possibilité de construire un ou plusieurs gratte-ciel sur trois sites : le quartier de Masséna-Bruneseau (13e), la porte de la Chapelle (18e) et la porte de Bercy (12e).
Le Monde a pu avoir accès à ces travaux qui devraient être présentés par le maire en novembre. "Tout n'est pas égal. Les projets n'ont pas la même force de conviction", confie Jean-Pierre Caffet, adjoint (PS) chargé de l'urbanisme auprès du maire. "Les images qui seront publiées ne seront qu'une illustration de ce que pourraient être ces quartiers si on prenait une décision", explique-t-il prudemment.
M. Delanoë caresse depuis longtemps l'idée d'ériger un bâtiment de grande hauteur sur la ZAC Paris-Rive gauche, au sud-est de Paris. Dans son esprit, il pourrait accueillir un grand équipement public tel que le nouveau palais de justice de Paris que les magistrats réclament depuis des années, mais qu'ils rechignent pour l'instant à voir s'implanter sur ce site.
Ce territoire, en partie vierge de tout bâtiment, est aujourd'hui strié par les voies de chemin de fer, mité par des infrastructures telles qu'un échangeur routier, flanqué du périphérique et du boulevard des Maréchaux. Mais en bordure de la Seine. "Nous avons voulu éviter le gonflage de muscles qu'on voit chez certains architectes dès qu'on leur parle de construire des tours", confie l'architecte Yves Lion, chargé de piloter l'atelier consacré au site Masséna-Bruneseau. "Pour ne pas perdre l'identité de Paris, il fallait veiller à ce que les bâtiments aient une assise très large au sol pour qu'on oublie presque qu'il s'agit de tours quand on est à leur pied", détaille-t-il.
Dans cet esprit, l'architecte Jacques Ferrier a imaginé trois tours dont deux sur le territoire parisien et une autre à Ivry-sur-Seine, de l'autre côté du périphérique. Elles culmineraient de 120 à 150 mètres - entre 30 et 40 étages - avec des équipements collectifs, des bureaux et des logements dans la partie haute pour que ceux qui y vivent soient éloignés du bruit des voitures et profitent de la vue. Selon le concept Hypergreen qu'il a mis au point avec des ingénieurs spécialistes d'environnement, M. Ferrier enveloppe ses tours d'une "résille" d'aluminium qui protège du soleil et soutient en même temps le bâtiment. Les trois bâtiments légèrement coniques seraient d'un brun doré "pour accrocher la lumière le soir avec le soleil rasant, comme le dôme des Invalides, qui culmine à 110 mètres", explique-t-il.
Sur le même site, Anne Demians a conçu une double tour : l'une de 210 mètres de haut, l'autre de 150, reliées par des passerelles qui abriteraient des espaces collectifs (restaurants, cinémas). Ce double édifice serait recouvert de paroi de verre. Blanc et gris clair, "il aurait l'apparence d'une peau de lézard ajourée par endroits", explique cette jeune architecte de 40 ans. Le bâtiment de 100 000 mètres carrés "pourrait aussi bien accueillir des bureaux, des logements, qu'un palais de justice", glisse-t-elle. Il serait en bord de Seine et entouré d'un jardin de 1,7 hectare.
"Les tours ne sont intéressantes que si elles libèrent de la place au sol", rappelle François Leclercq, l'architecte qui a animé l'atelier consacré à la porte de la Chapelle (18e). Sur ce site se trouve le plus grand échangeur routier de France, mais aussi des gares de fret, des rails en grand nombre et le périphérique. "Ce qui nous intéressait, ce n'était pas de construire une tour pour une tour, mais de penser et de panser grâce à elle le périphérique et ses nuisances : le bruit et la pollution", explique Xavier Gonzalez (agence Brenac et Gonzalez).
L'architecte a eu l'idée d'enfouir le périphérique sous un jardin de 5 hectares qui le recouvrirait tel un "pansement". Cette nouvelle colline végétale serait longée d'immeubles de six étages. Au milieu du terrain surgiraient trois tours entre 100 et 150 mètres de haut dont la plus basse abriterait des logements et les deux autres des bureaux. Leur forme "en spirale carrée" permettrait une circulation plus rapide du vent pour diluer la pollution et le bruit. Elles seraient recouvertes d'une "double peau de verre" qui tamiserait le soleil avec des jardins d'hiver. Dans la tour du milieu, les appartements auraient de larges terrasses. "Ce sont des tours qui rendent service, explique M. Gonzalez. Elles relient Paris et la banlieue, en finançant par la vente des droits à construire à des promoteurs les travaux de couverture du périphérique." Sur le même site, l'architecte Dominique Perrault propose de construire une seule tour de 131 mètres, côté Paris, en même temps qu'un nouveau quartier d'immeubles qui dépasseraient les 37 mètres, comme une "agrafe" de part et d'autre du périphérique. L'agence espagnole Abalos & Herreros a dessiné un seul monument surmonté de quatre petites tours qui pourraient abriter des lofts à 171 mètres du sol. Porte de Bercy (12e), l'architecte Claude Vasconi a imaginé quatre tours de 130 mètres, avec, sur leur façade sud, des logements, et au nord des bureaux. Son confrère Nicolas Michelin propose au même endroit deux tours de 171 mètres, sortes de cônes très dodus, comme des Esquimaux glacés.
Béatrice Jérôme Article paru dans l'édition du 30.10.07.