18 Juillet 2007
Tribune libre - L'Humanité 2 juin 2005
Le pari métropolitain par Paul Chemetov, architecte.
II y a quarante ans, lors d’un survol en hélicoptère de la région parisienne, le général de Gaulle aurait ordonné à Paul Delouvrier - qui cumulait alors tous les pouvoirs d’aménagement - « Foutez-moi de l’ordre dans ce bordel ! ». Si cette anecdote est invérifiable, la suite est connue, nous la vivons. La disparition du département de la Seine, la création des huit départements actuels de l’Île-de-France, dont Paris à la fois capitale nationale, ville et département, n’ont pas créé le cadre du développement solidaire d’une agglomération centrale qui recouvre, pour l’essentiel, les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de Paris et correspond plus prosaïquement aux quatre premières zones de la carte orange. Comment définir, aux sens géographique, social et économique, cette métropole qui s’étend sur près de deux cents communes et concentre plus de cinq millions d’habitants, 60 % des emplois régionaux et près de 30 % du produit intérieur brut français et, ainsi définie, se place au troisième rang des agglomérations mondiales pour la création de richesses, dépassant même Londres sur ce point. L’incroyable densité et la diversité humaine de la métropole parisienne, la concentration des lieux de pouvoir, des entreprises, des commerces, des centres de recherche et d’enseignement supérieur, des lieux de culture, de loisirs ou de plaisirs expliquent cette performance. Comment, dans cette métropole, faire que les périmètres administrés ne masquent pas la réalité des territoires vécus, alors que la représentation du territoire régional et métropolitain est aujourd’hui mise en scène par les différentes échelles de leurs découpes institutionnelles ? Le destin de Paris métropole ne peut, aujourd’hui, se poser ni même se régler dans les termes imposés par le baron Haussmann annexant à Paris des faubourgs et des villages riverains. Les exigences de la démocratie, l’histoire et l’identité acquise et affirmée de chaque commune exigent d’autres moyens. Mais le temps nous est compté car le libre jeu du marché, si un projet politique ne venait le contraindre, tend à niveler toute différence : certains l’espèrent. Faudrait-il s’en remettre à ceux qui parlent déjà du grand Paris ? Depuis peu, on assiste à une évolution des points de vue. De nombreuses communes et deux départements ont signé avec la municipalité de la capitale des accords de coopération. II faut cependant aller plus loin et plus vite. En trente ans Paris a connu une profonde mutation, perdant des emplois et une partie de sa population, et court le risque de se muséifier dans son rôle de première destination touristique mondiale. Dans le même temps, ce qui fut la banlieue a profondément évolué. De grands projets territoriaux tels la Plaine de France, la Boucle Nord de la Seine, Boulogne, Seine Amont ou le Val de Bièvres, chacun à sa façon, sont autant de laboratoires où se recherchent de nouvelles échelles territoriales, de nouvelles formes de négociation urbaine. La question métropolitaine est aujourd’hui dans l’agglomération parisienne une question politique centrale. Mais ce qu’entend l’opinion publique ne semble exprimer que la correction de situations déjà anciennes, et pourtant ce que vivent les millions de personnes qui sont aussi chez elles à Paris, parce qu’elles habitent et travaillent au coeur de la métropole, est, chaque jour qui passe, marqué par de profondes inégalités, dans la desserte par les transports en commun, la localisation des équipements et services publics, l’accès à l’éducation, le soin apporté à l’habitat et au cadre de vie. Le maintien de ces insuffisances et de ses dysfonctionnements n’est pas plus accepté que les disparités fiscales entre Paris et les communes de banlieue qui ne sont plus le territoire servant d’un centre qui fut servi. Cette situation est datée, les évolutions en cours la mettent en question, mais il reste que la capitale et l’agglomération ne peuvent aller bien qu’ensemble. Comment y arriver pour que Paris, à l’échelle mondiale, ne soit pas ressenti comme un rêve nostalgique ? À l’heure où le schéma directeur de la région Île-de-France est à nouveau mis en chantier, c’est en renforcer l’utilité que d’inviter tous les citoyens à s’exprimer sur ces questions qui d’évidence les concernent. Un appel pour le pari métropolitain est paru, à l’initiative de personnalités de l’urbanisme et de l’architecture(1). II posait ces questions et soutenait l’idée - avancée par ailleurs - d’un cadre naturel de discussions et d’échanges entre les communes, les départements et la région. Comment coopérer, en pratique, sans avancer l’impossible préalable d’une nouvelle réforme administrative, comment impliquer les citoyens, les partis, syndicats ou associations qui les représentent, comment provoquer le travail et les idées non seulement des professionnels de l’aménagement, mais des chercheurs, des milieux de la culture et de la création ? Voilà des questions qui méritent des réponses urgentes. (1) parimetropolitain@yahoo.fr