8 Juillet 2008
La création d'une entité intercommunale, indispensable au Paris d'aujourd'hui, peine à se mettre en route. A commencer par le choix de son périmètre géographique.
SERAFINI Tonino
Coup de force. Habitué à bousculer les situations, Nicolas Sarkozy a décidé de précipiter la création d'un «Grand Paris». Rien ne se fera bien sûr avant les élections municipales de mars 2008. Mais l'empressement du président de la République inquiète. La création d'une entité regroupant la capitale et les communes alentour est impensable sans une concertation, nécessairement longue, avec les élus locaux. Les questions à discuter sont nombreuses : quel périmètre géographique pour ce Grand Paris ? Quel mode de gouvernance ? Quelles compétences ? Quel partage de la richesse au coeur d'une agglomération où se côtoient villes prospères et villes pauvres ?
Longtemps cantonné aux colloques de spécialistes, le débat a été mis sur la place publique par le chef de l'Etat lors d'une visite à Roissy, fin juin. Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de revoir l'«organisation des pouvoirs publics en Ile-de-France», déplorant que «Paris [soit] la seule agglomération de France à ne pas avoir de communauté urbaine». Il est revenu à la charge à l'occasion de l'inauguration de la Cité de l'architecture, le 17 septembre.
A la mairie de Paris, Pierre Mansat, adjoint (PCF) au maire chargé des relations avec les collectivités territoriales, s'étonne : «Nicolas Sarkozy, quand il était président du conseil général des Hauts-de-Seine [entre avril 2004 et mai 2007 ndlr], n'a jamais fait la moindre déclaration en faveur d'une communauté urbaine.» Sans doute n'entendait-il pas alors partager les 150 millions d'euros de taxe professionnelle générés par le quartier d'affaires de la Défense. Cet énorme magot tombe dans les caisses des Hauts-de-Seine et des communes de Puteaux et de Courbevoie.
L'exemple de Vélib'
Couvrant grosso modo Paris et les trois départements de la petite couronne (Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis), le centre de l'Ile-de-France est la seule agglomération française dépourvue de toute entité intercommunale cohérente organisée autour de la ville-centre. Le pouvoir municipal y règne en maître. Cet émiettement des centres de décision ne permet pas de traiter à la bonne échelle des problèmes tels que l'habitat, les déplacements ou le développement économique. L'anecdote Vélib' est révélatrice de cette absence de gouvernance. Le système de bicyclettes en libre-service s'arrête aux portes de la capitale, le marché ayant été passé par la ville de Paris avec la société Decaux.
Pas de Vélib' donc pour les habitants des vingt-neuf communes limitrophes. Pour étendre quand même le système au-delà du périphérique, la mairie de Paris et les communes frontalières sont en train d'échafauder une solution aux contours juridiques alambiqués. Mais Vélib' est un sujet mineur. Faute d'une communauté urbaine, la plus importante des métropoles de l'Hexagone ne parvient ni à construire des logements en nombre suffisant, ni à maîtriser un trafic automobile chaotique, ni à promouvoir un développement économique profitant à toutes les collectivités locales.
«Le Paris existant n'est pas durable à l'intérieur du périphérique», considère Georges Sarre, ancien ministre et maire (MRC) du XIe arrondissement, qui avait déposé dès 1999 une proposition de loi pour créer un Grand Paris. Pour Laurent Davezies, professeur à l'université Paris-XII-Créteil, la «gouvernance actuelle du coeur de l'agglomération» et l' «émiettement extrême de ses territoires» sont devenus un handicap pour l'économie francilienne tout entière. Il observe que Paris ne cesse de perdre des emplois. «J'ignore à quoi ressemblera un Grand Paris. En revanche le bilan du petit Paris est accablant», juge-t-il. Pour sa part, Pierre Mansat pointe : «Cette région, c'est les émeutes urbaines, les inégalités de richesse, les bidonvilles, les gens qui vivent sous des tentes. Il y a des choses qui ne peuvent plus durer.»
«Arrogance parisienne»
Malgré ces constats, l'idée du Grand Paris peine à avancer. D'abord en raison des enjeux de pouvoir et de partage de la richesse fiscale qui se cachent derrière. Mais aussi du fait d'un climat de méfiance qui prévaut depuis longtemps entre Paris et les communes de la petite couronne.
Au XIXe siècle, la capitale a purement et simplement annexé quelques villes alentour (Belleville, Vaugirard, Petit-Montrouge.). Pendant longtemps, elle s'est aussi déchargée de ses corvées sur ses voisins. Sous les mandatures de Jacques Chirac, la capitale se servait des logements de son office HLM situés à La Courneuve ou à Champigny pour y reloger les familles pauvres virées des quartiers populaires parisiens en rénovation. Pourtant, la réalité est plus contrastée. La banlieue compte aussi des villes riches. Et Paris a des quartiers pauvres. Bertrand Delanoë rappelle régulièrement que «plus de 60 % des places d'hébergement pour SDF de l'Ile-de-France se trouvent dans la capitale», pointant en creux l'absence d'effort de certaines communes de la périphérie dans l'accueil des exclus.
Elu maire de la capitale en 2001, Delanoë s'est attaché à renouer les fils du dialogue avec les communes voisines «après des décennies d'arrogance parisienne». Dès décembre 2001 est organisée une première réunion entre élus de la capitale et de la proche couronne dans la seule maison commune que se reconnaissent les Franciliens : le siège de la RATP. Puis, en 2005, naît la Conférence métropolitaine : une instance dépourvue de tout pouvoir décisionnel qui permet aux élus d'une soixantaine de collectivités toutes étiquettes confondues, dont six UMP, de se parler. «Sarkozy a pu faire ses déclarations sur le Grand Paris parce que la Conférence métropolitaine avait intellectuellement préparé le terrain, estime Pierre Mansat. Ses débats ont acté le fait qu'il existe des problèmes et des enjeux communs pour les villes du coeur de l'agglomération.»
Un périmètre incertain
La création d'un Grand Paris bute d'abord sur la question de son périmètre géographique. Partant du centre de la capitale, jusqu'où s'étendrait-il ? Pour Philippe Laurent, maire UDF de Sceaux (Hauts-de-Seine), le «critère de la continuité urbaine doit servir de repère à la fixation du périmètre». Si l'on suit ce raisonnement, le Grand Paris comprendrait la plupart des villes des départements de la banlieue dense (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) mais aussi des communes situées au-delà «comme Argenteuil (Val-d'Oise) ou Massy (Essonne)». Soit 100 à 120 communes, regroupant près de 6 millions d'habitants.
La plupart des élus, dont Roger Karoutchi, président du groupe UMP au conseil régional et secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, ont en tête un territoire analogue. Un schéma que conteste Manuel Valls, député-maire (PS) de la ville nouvelle d'Evry (Essonne), située à 30 kilomètres au sud de la capitale. «Dans ses prérogatives, la métropole parisienne doit intégrer la question du développement économique. Et donc les villes nouvelles qui sont des pôles d'activités. C'est le périmètre juste pour créer une agglomération pertinente», dit-il, citant en exemple le Grand Londres, les métropoles de Madrid ou de Barcelone, qui embrassent des territoires très larges. Un point de vue partagé par l'architecte Roland Castro. Il faut «construire un Paris véritablement métropolitain et passer ainsi d'une capitale de 10 kilomètres sur 10 à une métropole de 30 kilomètres sur 30», prônait-il dans les colonnes de Libération en juillet 2007. D'autres, enfin, comme Patrick Braouezec, député PCF de Seine-Saint-Denis, critiquent le principe même d'une communauté urbaine de forme circulaire autour de Paris. Président de la communauté d'agglomération Plaine-Commune, Braouezec défend des intercommunalités multipolaires organisées en forme de pétales autour du centre.
A la mairie de Paris, Pierre Mansat relève que le périmètre dépend avant tout des prérogatives confiées à la nouvelle entité. «Si c'est pour résoudre les questions de l'habitat ou de la circulation, elle peut se limiter à la banlieue dense, souligne-t-il. Si on y ajoute le développement économique, il n'est pas absurde d'aller jusqu'aux villes nouvelles.»
Le choix du périmètre fera certainement émerger quelques paradoxes. Dans la petite couronne - creuset naturel d'un Grand Paris -, des maires jaloux de leur pouvoir vont tenter de résister à l'intercommunalité. A contrario, des élus de villes plus éloignées feront le forcing pour en être, de peur d'être confinés aux marges d'une communauté d'agglomération d'envergure mondiale.
Quid de la région et des départements ?
La création d'un Grand Paris pose enfin la question du devenir des autres collectivités territoriales. Certains élus comme Philippe Laurent, maire de Sceaux, ou Philippe Dallier, sénateur-maire (UMP) de Les Pavillons-sous-Bois, sont favorables à la suppression des quatre départements centraux (75, 92, 93 et 94) si le périmètre du Grand Paris devait recouvrir leur aire géographique. «On ne va pas rajouter une couche au mille-feuille», plaident-ils. Pas d'accord, rétorque Roger Karoutchi : «La structure centrale ne doit pas se faire au détriment des départements ou de la région.» A la région justement, son président, Jean-Paul Huchon (PS), a longtemps été hostile à l'idée d'un Grand Paris. Aujourd'hui, il est plus nuancé. «J'ai constaté le souhait de Paris et des communes alentour de travailler ensemble. Je n'ai pas voulu rester en dehors du mouvement.» Au conseil régional, Huchon a chargé une commission de plancher sur le sujet. «Mais la région ne se laissera pas se dépouiller de ses prérogatives, prévient-il. Avec le Stif [Syndicat des transports d'Ile-de-France, ndlr], le conseil régional est au coeur de la problématique et des financements en matière de transports, par exemple.» Pour le coeur de l'Ile-de-France, il imagine une intercommunalité a minima, avec des syndicats de communes travaillant sur des problématiques particulières, comme le logement. Il existe déjà des syndicats de ce type chargés du traitement des eaux ou des ordures ménagères. Mais pour Huchon, le forcing de Sarkozy n'est qu'une «manoeuvre politicienne». «L'objectif du gouvernement est de casser Paris et la région tenus par le PS et de dessiner une intercommunalité qui donnerait le pouvoir à la droite.» Mais cette thèse du clivage droite-gauche ne résiste pas vraiment à l'analyse : à l'UMP comme au PS, on trouve des partisans et des adversaires du Grand Paris.
Empressé, Nicolas Sarkozy a promis un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (Ciadt) consacré au Grand Paris après les municipales. Un délai très court pour un dossier si complexe. Sauf si l'Etat voulait s'affranchir d'une discussion longue avec les collectivités, qui ne manqueront pas de s'écharper sur la question du partage de la taxe professionnelle. Toute tentative de passage en force par le gouvernement ferait certainement capoter le projet qui en est au stade du balbutiement.
Et comme si les sujets de discorde n'étaient pas assez nombreux, le Grand Paris s'offre le luxe d'une brouille sémantique. «Ce nom ne convient pas. Il laisse entendre que la capitale va avaler les communes alentour, pointe Roger Karoutchi. Il faut trouver autre chose pour que les maires des villes de banlieue aient l'impression que leur identité est respectée.» Cette querelle du nom ne sera pas le problème le plus ardu à résoudre.