8 Mai 2009
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Et d'une manière générale, tous les élus locaux de droite, de gauche, comme du centre sont appelés en renfort de l'ambition présidentielle, à l'image de la foule anonyme dans la diversité du RER.
Suprême habileté politique ou vraie intuition des logiques de la ville, la gouvernance urbaine et ses subtils montages de découpages administratifs et de géométrie institutionnelle sont renvoyés après l'élaboration, voire la mise en oeuvre, du projet. Les crayons des architectes ne sont pas rangés, mais les stylos des constitutionnalistes restent fermés, au moins pour l'instant.
Le champ est désormais libre - et pourquoi bouder son plaisir ? - à un vibrant hommage à l'urbanisme du beau, du juste et du grand, qui placera enfin l'homme au centre du dispositif de la cité, pour faire de Paris un modèle de la métropole du XXIe siècle, pour la France et le monde. Qui ne souscrirait à ces envolées lyriques et à cet enthousiasme communicatif ?
De façon plus raisonnée, on adhère à cette pédagogie intelligente de la rente foncière, qui peut créer pour tous, à travers des mobilités et des accessibilités considérablement améliorées, de la valeur qualitative et quantitative, pour multiplier les logements, les vocations économiques des territoires et les pôles différenciés de compétitivité et d'excellence. Et on admet même l'urgence et la nécessité de faire passer au Parlement dès l'automne une loi libérant les usages du sol et les initiatives des acteurs, pour réinvestir la ville de façon efficace, équitable, esthétique et écologique.
Parce que l'imagination est au pouvoir, que la crise est un ferment d'innovation, que sont finalement les 35 milliards d'euros d'investissements sur les transports en une décennie dans une région qui produit annuellement 500 milliards de richesse ? Dans un pays démocratique, la règle ne doit pas manquer à l'utopie.
Pourquoi faut-il dès lors s'inquiéter ? Parce que le chef de l'Etat, comme beaucoup de nos compatriotes, paraît ignorer le jeu des échelles géographiques et les inerties de la démographie. Reconnaître - enfin, après un demi-siècle d'errements d'aménagement du territoire à la seule aune nationale du "désert français" - que Paris est une métropole-monde, qui s'inscrit dans les logiques d'urbanisation dense de l'Europe occidentale de Londres à Milan, que Le Havre et Marseille sont dans cette perspective les portes de la capitale, est une chose. En faire la colonne vertébrale de l'organisation "ordinaire" d'une agglomération compacte de 11 millions d'habitants en est une autre.
Dans la traversée de Paris, le fleuve est une scénographie vivante à ressusciter. De Montereau à l'estuaire, la Seine est un axe de circulation à renforcer. Parce que techniquement les vitesses peuvent être équivalentes, ne confondons pas les TGV et les trains de banlieue. Ni les distances ni les rythmes de vie ne le supporteraient. C'est l'échelle de l'agglomération métropolitaine qu'il faut d'abord féconder, enrichir et transformer. Le retour de la poésie n'exclut pas la reconnaissance des matérialités.
De la même façon, la démographie parisienne est désormais assagie, les mobilités résidentielles - et c'est un présage heureux révélé par les résultats des recensements successifs des années 2000 - montrent que ce sont maintenant les banlieues les plus proches de Paris qui progressent à un rythme plus élevé que les périphéries. C'est donc une faute d'appréciation majeure de prévoir des boucles de transports rapides pour urbaniser le plateau de Saclay ou les confins de Marne-la-Vallée. Ce serait une fois de plus privilégier l'urbanisation périphérique au détriment de la reconquête de la ville, et s'inscrire finalement en contradiction de neuf sur dix des équipes d'architectes dont on dit vouloir s'inspirer. Au-delà de l'irrévérence intellectuelle, ni le développement durable, ni le désir de nos contemporains, ni les forces vives de notre économie et de notre population n'autorisent ce gaspillage d'espace programmé.
Sans négliger les franges de l'agglomération actuelle, c'est au coeur de la banlieue dense - pour aller vite, à l'intérieur de l'A86 - qu'il faut faire porter l'essentiel de l'effort d'imagination et d'investissement, parce que c'est là que se situent les plus grandes masses démographiques et les plus fortes potentialités. Rocade périphérique, prolongation des lignes de métro, épaississement du réseau de tramways, devraient rapidement y constituer une trame de transports collectifs à la hauteur des enjeux métropolitains.
Dépassant les logiques fonctionnelles de la simple mobilité, elle soulagerait la congestion du centre de la capitale (la ville de Paris) et améliorerait les rythmes de vie des habitants de grande banlieue, bien plus qu'une ligne rapide unique, nécessairement isolée et créatrice de nouveaux déséquilibres.
Elle créerait en outre les conditions, par la valorisation d'un foncier plus accessible, d'une lutte efficace contre l'exclusion sociale par le développement d'un emploi, y compris productif, plus diversifié, pour une offre de logements abondante et équitable, et finalement pour une ville véritablement écologique. Plus que jamais ici, le combat se gagnera par la conquête de l'accessibilité et de la centralité en zone dense. Reconstruire la ville sur la ville est un beau projet métropolitain.
Au total, la fenêtre d'opportunité pour Paris que l'on croyait refermée s'est à nouveau ouverte. La faute politique s'éloigne, mais l'erreur stratégique pointe. Rien n'est perdu, mais tout est à faire. Les élus régionaux - président de l'Ile-de-France et maire de Paris en tête - seraient bien inspirés d'échanger leur adhésion au projet de Nicolas Sarkozy par une négociation de son application territoriale, plus encore que financière ou institutionnelle. Dans ses grands moments, l'histoire reste toujours incertaine et imprévisible.