Jean Nouvel
Des tours au coeur de la ville
Propos recueillis par Bertrand GRECO
Le Journal du Dimanche
Jean Nouvel réfléchit, avec dix autres équipes d'architectes-urbanistes, à l'avenir de la capitale dans le cadre de la réflexion lancée par le président Nicolas Sarkozy. Il se veut radical et pragmatique dans ses orientations: "
Il faut d'abord renforcer ce qui est positif et améliorer ce qui ne l'est pas" confie-t-il au
JDD.
Vous êtes à la tête d'une des dix équipes d'architectes-urbanistes qui réfléchissent au Grand Paris à la demande de Nicolas Sarkozy. Quelles sont vos motivations?
Cette consultation est exceptionnelle: c'est la première fois qu'on demande à des équipes internationales de mener une réflexion stratégique sur le devenir d'une métropole. C'est un signe des temps. Cela prouve qu'on a pris conscience du développement chaotique des villes. On ne sait pas trop où l'on va. On a besoin de règles plus claires. L'idéologie architecturale de la charte d'Athènes, autrement dit tous ces principes portés par Le Corbusier, basés sur les villes distendues, la dissociation des voitures et des piétons, des zones résidentielles et des quartiers de bureaux..., on s'est rendu compte que ça ne marchait pas.
Pourquoi avoir refusé de répondre au premier volet de cette consultation sur "
la métropole du 21e siècle de l'après-Kyoto"?
Ne comptez pas sur moi pour vous faire une thèse sur ce que doit être la ville post-Kyoto. Il n'y a pas une ville idéale type. Les solutions ne sont pas les mêmes selon qu'on est au bord de la mer ou non, selon qu'on peut utiliser la géothermie ou pas, qu'on est sous l'équateur, au Nord, au Sud... J'ai refusé d'aborder la question sur le plan des généralités. Chacun doit analyser sa propre situation. Les réponses sont sur notre territoire et dans notre histoire, elles ne sont pas extrapolables. La question avait un côté trop théorique, universitaire. Je crois que ça fera quelques beaux livres, c'est bien...
Quelle est votre définition du Grand Paris?
La ville de Paris a tout simplement grandi. Des noms restent liés à des entités historiques ou administratives, à des communes. Mais la réalité urbaine est là. Aujourd'hui, on peut dire que le Grand Paris, c'est une ville d'environ 12 millions d'habitants.
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On dispose d'un potentiel extraordinaire et inexploité à Paris"
Pour vous, les frontières s'arrêtent à la ville?
Je l'espère. On a trop fonctionné par addition, par juxtaposition, on a créé des zones les unes à côté des autres, sans relations entre elles. Dans ces zones, les immeubles eux-mêmes n'avaient pas de relation entre eux. On a ainsi consommé beaucoup de territoire. Et on est maintenant confronté aux conclusions liées à l'évolution de notre planète, aux conséquences des gaz à effet de serre. Cela conduit à une ville dense et concentrée, qui tend à réduire les déplacements. On n'a donc pas intérêt à étendre la tâche d'huile, cette prolifération autour des centres historiques.
Dans votre réflexion, intégrez-vous des questions institutionnelles?
Il est beaucoup plus intéressant de regarder ce que la ville devrait être avant de savoir comment on doit l'administrer. Il ne faut pas partir d'un mode de gouvernance pour définir la ville de demain. D'autant que les exemples sont très contradictoires. Marseille et sa banlieue ne forment qu'une seule et même commune. Paris et sa banlieue, une seule et même ville, mais des dizaines de communes différentes. Prenons-le comme une chance: chaque territoire a sa structure démocratique de représentation, avec une légitimité, un pouvoir politique propre. Ce quadrillage administratif a des côtés positifs. Ensuite, qu'il faille créer les instances intermédiaires de dialogue, une sorte d'intercommunalité qui permette de travailler ensemble, c'est évident.
Puisque la ville forme un tout, pensez-vous que les communes de la petite couronne - Saint-Ouen, Montreuil, Montrouge, Levallois... - doivent devenir des arrondissements de Paris?
Pas forcément. On ne peut pas raisonner par additions radio-concentriques vis-à-vis de Paris. A partir du moment où une ville devient aussi grande, il y a des phénomènes de congestions, d'engorgement, on le voit bien dans les rythmes de circulation. Et on ne peut pas uniquement raisonner en termes de première, deuxième, troisième couronne autour du Paris historique, comme les stries d'un tronc d'arbre. Vu l'échelle, on est obligé de considérer qu'il y a d'autres pôles à créer au-delà de la seule attraction centrale.
En quoi vous distinguez vous des vos confrères dans cette consultation?
On ne part pas des mêmes préalables. Moi, je pense qu'il faut mettre en cause radicalement le système de planification. Si l'on reste sur des règles aussi simplistes et absurdes, on continuera l'absurdité de la ville. En revanche, je crois qu'on dispose d'un potentiel extraordinaire et inexploité à Paris. Commençons par regarder tout ce qui va bien et tout ce qui va mal. Certains de mes confrères partent sur d'autres idées de territorialité, comme Antoine Grumbach qui travaille sur le développement de la ville le long de la Seine jusqu'au Havre. Ce n'est pas du tout un point de départ qui me convient.
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J'aime l'esprit du métro aérien"
Quel est votre "point de départ"?
Pour moi, il faut d'abord renforcer ce qui est positif et améliorer ce qui ne l'est pas. On vit dans une période historique fabuleuse: on est à un moment où on doit prendre les grandes décisions qu'on aurait dû prendre il y a quelques décennies. On sait que le problème écologique est colossal. D'ailleurs, aux Etats-Unis, Barack Obama a déjà annoncé qu'il veut baser sa révolution économique sur l'énergie et sur la mise en place d'une économie verte. On va voir changer radicalement les modes de transport automobiles. C'est le moment où les grandes décisions doivent être prises. Profitons-en pour vivre la ville avec un peu plus de plaisir.
Des exemples de "
ce qui va bien" et "
ce qui va mal"?
Ce qui ne va pas d'abord, c'est le côté monofonctionnel de la ville. On ne peut pas dire que les grands ensembles, symboles de la ghettoïsation sociale, soient une réussite. Chacun de ces quartiers est une caricature. Et quand je vois qu'on repart sur des maisons à 15 euros, ce qui veut dire qu'on va encourager la maison individuelle, c'est exactement le contraire de ce qu'il faut faire à l'échelle d'une aussi grande agglomération; c'est contradictoire avec les conclusions élémentaires de Kyoto ou du Grenelle de l'environnement. Il faut revoir la façon de se déplacer et la façon de concentrer les habitations à proximité des modes de transports. Une de mes grandes préoccupations, c'est la mixité. Je suis à la recherche de toutes les différences qui vont jouer comme autant de complémentarités pour créer un caractère commun.
A quoi devraient ressembler les transports de demain dans l'agglomération parisienne?
J'aime bien les tramways, qui ne sont pas novateurs mais permettent se promener dans la ville pour la découvrir. Je préfère ce qui est en surface. J'aime l'esprit du métro aérien, même si je ne suis pas insensible à la poésie du métro parisien: entrer dans le sol pour en ressortir ailleurs. Mais je redoute par-dessus tout l'uniformisation des moyens de transport dans toutes les villes, avec des systèmes mécanisés, déshumanisé, comme dans les aéroports. Il faut maintenant considérer que les transports ne sont pas uniquement une fonction, ce sont des moments de notre vie, voire des plaisirs de notre vie.
Imaginez-vous des modes de transports futuristes pour les décennies à venir?
Dans dix ou quinze ans, la plupart des véhicules privés ne seront vraisemblablement plus polluants, à base électrique. Cela va changer beaucoup de chose. Il n'y aura plus de poussière, plus de bruit. Toute l'industrie automobile va s'engager dans cette voie. C'est une révolution. Le futur est déjà là.
Vos confrères semblent vouloir privilégier la banlieue, son développement, sa densification, ses transports, dans une logique de contrepoids par rapport à Paris intra-muros...
Je ne voudrais surtout pas que l'on oppose l'un à l'autre. Ce n'est pas le moment de créer des portes. Au contraire, il faut jouer sur les interférences, les continuités, les contrastes et les complémentarités. Quand on hérite d'un joyau comme Paris, il faut savoir être à la hauteur de l'histoire qui précède, sans être inhibé et sans considérer que cette ville est finie. Nous avons-là une des plus belles, voire la plus belle métropole du monde. Ne l'oublions pas.
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Une tour, c'est un élément d'identité, qui peut contribuer à l'embellissement de Paris"
Paris est une ville à laquelle vous êtes particulièrement attaché?
D'abord, j'y vis. Je ne vivrais pas dans une ville qui ne me plaît pas. Ensuite, quand on connaît, comme moi, l'essentiel des grandes villes mondiales, Paris est une exception notoire. En termes de patrimoine conservé, de structure urbaine, de stratifications, c'est un exemple unique, d'une richesse incroyable. Il existe très peu de ville qui ont un caractère aussi fort. Manhattan a aussi un caractère très émotionnel, mais lié à une histoire beaucoup plus courte, sur un territoire très limité, presqu'insulaire. Je crois que les Parisiens ne se rendent pas compte de leur chance.
Des "
gestes architecturaux" sont-ils nécessaires au rayonnement de Paris?
Ce mot a toujours un côté péjoratif: on a l'impression qu'un geste a quelque chose de gratuit, fait par vanité, pour en jeter plein les yeux. Ce n'est pas ça. Est-ce que Paris a besoin de nouveaux monuments? On a sûrement besoin d'architectures qui aient une monumentalité. Si on parle de densité, cela se traduira par des bâtiments d'une certaine échelle, dont qui sont lus comme des monuments. Paris s'est endormi en matière d'architecture. Depuis des décennies, les logements et les immeubles de bureaux sont systématiquement des bâtiments célibataires et brutaux. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les Parisiens n'aiment pas les immeubles de grande hauteur - à part la tour Eiffel, qui n'est pas un bâtiment mais un belvédère - quand on voit ce qui a été fait.
Que pensez-vous de l'idée du maire de Paris d'implanter des tours dans cinq ou six sites répartis autour du périphérique?
Je crois que ce n'est pas une bonne idée d'assiéger Paris avec des tours. Le périphérique n'a pas cette vocation. On ne construit pas une tour simplement parce qu'il y a un terrain libre. Personnellement, je ne réclame pas des tours pour des tours. Une tour, c'est un élément d'identité, qui peut contribuer à l'embellissement de Paris. Mais quand je vois des projets sans relation avec ce qui est autour, qui ressemblent à ce qui se construit à Dubaï ou à Shanghai, je pense qu'on marche sur la tête.
Y a-t-il un site dans le coeur de Paris qui pourrait accueillir une tour?
Oui, il y en a. Et pas seulement dans le Paris historique. Vous comprendrez mieux dans quelques temps... Je ne peux pas tout dévoiler de nos futures propositions.
Vous êtes très critique aussi à l'égard du projet des Halles (la canopée) retenu par Bertrand Delanoë...
J'avais proposé un projet qui aurait pu être lu comme un élément de centre-ville, au sens d'une ville de 12 millions d'habitants. Certains équipements de centralité y auraient eu tout à fait leur place. Les théories écologistes selon lesquelles il faudrait que le coeur de Paris, au centre des circulations, soit vide, est une énorme bêtise. Maintenant, je ne vais pas polémiquer. Les choses sont en train de se faire. Je serais très triste si le jardin n'est pas à la hauteur de ce que doit être un grand jardin de Paris. Et j'espère que la sortie du métro et l'entrée du centre commercial seront bien meilleurs que ce que prévoyait la première version.
Quel regard portez-vous sur le fiasco de l'île Seguin qui traîne en longueur, à Boulogne-Billancourt?
Dans le cadre de cette étude sur le Grand Paris, je vais faire des propositions précises. C'est un point stratégique.
Comment jugez-vous le Schéma directeur (Sdrif) de Jean-Paul Huchon, voté par le conseil régional?
Je critique fondamentalement ses limites et les limites de la planification. On peut être d'accord avec 95% de ce qui est écrit. Quant à savoir où et comment on va construire, là je crains de ne pas être tout à fait d'accord. Ce Schéma directeur s'inscrit dans la continuité de ce qui a été fait avant, par Delouvrier, qui avait créé des villes nouvelles et mis en place toute la logique transport que l'on connaît, basée sur le radioconcentrisme.
Où en est votre projet de tour Signal à la Défense? Est-il menacé par la crise? Avez-vous réussi à convaincre les élus locaux réticents, comme la maire de Puteaux?
J'ai parlé avec Mme Ceccaldi-Raynaud et je crois que les évolutions du projet, si elles doivent avoir lieu, peuvent aller dans le sens de ce qu'elle souhaitait. Il n'y a pas de problème de ce côté-là. Quant à la crise économique, les discussions entre les investisseurs et l'Epad sont un peu plus complexe que prévues. Les investisseurs changent. A part ça, tout va bien. Le projet n'est absolument remis en cause. La tour doit être livrée en 2013 ou 2014. Si la crise dure, il peut y avoir des décalages de quelques mois ou d'un an.
Et vos deux autres projets parisiens: la Philharmonie de la Villette et la gare d'Austerlitz?
Pour la Philharmonie, on a obtenu le permis de construire et on commence les travaux de terrassement l'année prochaine. Le projet avance bien. Il sortira de terre normalement en 2012. C'est un calendrier très serré. Nous somme partis pour tenir les délais. Ce sera un des grands équipements parisiens, un monuments parisien, conçu à l'échelle du Grand Paris. Il va renforcer l'attraction de tout le quartier de la Villette. Quant au quartier d'Austerlitz, nous sommes sur un calendrier un peu plus lointain, en 2015. Il s'agit d'établir délicatement la relation entre la gare, l'hôpital, le métro aérien. C'est un projet urbain qui doit montrer les qualités d'un quartier de Paris.
Comment jugez-vous, a posteriori, vos réalisations parisiennes?
Je n'ai construit que trois projets jusqu'à maintenant: l'Institut du Monde arabe, dans les années 1980, la Fondation Cartier, dans les années 1990, et le musée du Quai-Branly, dans les années 2000. Je ne suis pas toujours très satisfait de la gestion de certains bâtiments, en particulier l'Institut du Monde arabe. Sinon, je considère que ces architectures correspondent à des témoignages positifs et clairs de ces trois décennies.
Le Grand Paris de Nicolas Sarkozy est il conflictuel vec le Grand Paris de Bertrand Delanoë, qu'il préfère appeler Paris Métropole. Le projet du Grand Paris de Christian Blanc, le secretaire d'état au développement de la Région Capitale sera publé bientôt. Jean Paul Huchon est un adversaire du Grand Paris.Pierre Mansat, l'adjoint de Bertrand Delanoë ne rechigne pas à utiliser le terme Grand Paris. Il est un des membre actif de la consultation internationale des architectes Jean Nouvel, Christian de Portzemparc, Rodgers.