21 Avril 2008
Une tribune de Nicolas Floreal sur Betapolitique
Nicolas Floreal | 18 avril 2008
Braudel nous a appris combien l’histoire était marquée par la puissance de quelques villes monde. Au moment où la réflexion s’engage (enfin !) à Paris, que peut on tirer de l’observation de Londres et de New-York ?
I - Pour le passé, les enseignements paraissent pour une part paradoxaux
1 – les dimensions mondiales et les dimensions locales ne sont pas liées : la réussite mondiale de Londres et New-York ne s’est pas accompagné d’un essor de l’économie locale ; les différences socio-économiques sont même plus élevées qu’ailleurs (ce qui résulte sans doute de l’attractivité de ces capitales tant vers les emplois les plus qualifiés que vers les populations en difficulté).
2 – la dimension économique mondiale ne repose que sur quelques secteurs, notamment les activités financières et d’assurances, et sur un arrière plan national attractif et robuste, très favorable aux entreprises (fiscalité, réglementation, financement…). La suprématie mondiale renvoie de ce fait aussi à des éléments plus culturels, voire psychologiques.
3 – aucune mesure spécifique d’appui à l’implantation et au développement de l’économie internationale ne parait avoir été prise par ces villes. En tout état de cause les firmes ne s’y sont pas installées pour ce type de raison, mais parce qu’elles y ont trouvé leurs homologues, un micro- marché de cadres internationaux : le phénomène de cluster parait l’avoir emporté sur les autres dimensions (par ex l’informatique du marché financier du NYSE était bien moins performante que celle d’Euronext, ce qui n’a pas suffit à déplacer le cœur du marché financier international à Paris).
4 - Dans le même sens on doit constater une absence de liens entre l’attractivité internationale de ces métropoles avec les infrastructures de service : l’insuffisance des transports et des infrastructures publiques dans le cas de L et de NY ne parait pas avoir pesé sur le développement de l’économie internationale ; les problèmes et le coût du logement y sont plus élevés qu’ailleurs ; si les loisirs y sont plus fréquents, la qualité de la vie y est moindre
5 – le développement économique international de ces métropoles s’est accompli sans que l’organisation et la cohérence territoriales ne paraissent avoir joué un rôle : GLA a disparu pendant des années, NY est institutionnellement très morcelée
On pourrait conclure de ce regard sur le passé que le statut de métropole internationale résulte davantage des « forces du marché » que du volontarisme institutionnel.
En réalité on doit relever plusieurs éléments qui ne permettent pas de s’en tenir à cette vision apparente, mais qui tiennent davantage au fonctionnement qu’aux structures :
Ces métropoles ont connu une période de crise et de difficultés dont elles sont sorties et qui parait les avoir renforcé en ce que les milieux économiques et politiques se sont étroitement rapprochés pour définir une stratégie coordonnée.
La force unificatrice de l’Etat ( ?) et son soutien financier
Le leadership politique ( ?)
Les processus et les instances de régulation ( ?)
Cette gouvernance « informelle et spontanée » dans une économie mondiale marquée par quelques économies dominantes et une inégalités dans le développement des nations parait avoir suffit à maintenir la suprématie de ces métropoles – même si elle ne visait pas véritablement le rang de métropole mondiale comme Tokyo. Et d’une certaine manière on pourrait même supposer un lien inverse entre l’inconsistance de la gouvernance locale – dans un cadre national favorable – et le développement économique international.
II - Toutefois, comme le montre l’analyse de la situation récente et des perspectives, ces « facteurs » ne pourront jouer de la même façon dans l’avenir, car « les temps ont changé » : la mondialisation et surtout l’émergence des nouvelles économies bouleverse les situations acquises et met désormais en concurrence un très grand nombre de villes dans le monde. Les classements internationaux montrent s’il en était besoin que des agglomérations intermédiaires concurrencent désormais les capitales internationales, et la complexité de l’économie transforme les facteurs de prééminence. Dans une économie du savoir –pour simplifier – la valeur repose désormais sur les hommes, sur leur éducation et sur les possibilités qui leur sont données d’exprimer leur créativité.
Dans ces conditions, la façon dont les territoires sont gouvernés, la qualité des services et des opportunités qu’ils offrent aux chercheurs, aux ingénieurs, aux créatifs, la cohérence d’administration et la cohésion sociale qu’ils parviennent à instaurer, deviennent des éléments décisifs dans la compétition mondiale (l’enrichissement des questionnaires adressés aux entreprises en sont le témoignage).
Les facteurs déterminants pour l’avenir qui se manifestent encore incomplètement dans les situations actuelles sont :
La capacité à comprendre le contexte mondial et le sens des évolutions : à cet égard la visite de Ken Livingstone en Inde est symbolique de la compréhension des données du monde de demain. En France on repousse les étrangers…
Le communauté des enjeux qui réunit les forces politiques et les forces économiques qui défendent ensemble – ou en tout cas qui tirent dans le même sens – la position de la métropole dans l’économie mondiale.
Une direction, une visibilité, un leadership : tous ces éléments contribuent dans un cadre de concurrence accentuée, à créer et à rendre visibles des différences et des spécificités et à développer des avantages perçus comme uniques - ce que l’on nomme en économie une concurrence monopolistique - L comme NY se placent au dessus de la mêlée et tentent de marquer que la comparaison n’est simplement pas possible. Dans un univers de communication, il n’est pas surprenant que les métropoles jouent de cet instrument, ce qui exige des gouvernances communicantes, et donc actives et légitimes (puisqu’elles doivent parler pour tout leur territoire).
Une qualité de services urbains, une cohésion sociale, un respect des exigences du développement durable, indispensables pour attirer les élites du monde de demain : aujourd’hui les agglomérations moyennes rivalisent pour séduire les entreprises et les créateurs, demain si les métropoles veulent ne pas voir fuir les cadres de la mondialisation économique, elles devront leur proposer un cadre de vie respectueux des principes nouveaux du développement, un environnement apaisé, des équipements publics performants et des logements accessibles…
Désormais on peut avancer que développement urbain, développement économique, développement social et développement durable, sont intimement liés, et qu’ils constituent les conditions indispensables de la suprématie dans la compétition mondiale entre les métropoles. Mais pour ce faire la gouvernance, son intelligence, ses capacités deviennent des éléments déterminants et stratégiques. Quelles seront alors les métropoles mondiales de demain ? Y en aura-t-il encore d’ailleurs ? les hiérarchies ne sont elles pas appelées à évoluer plus rapidement dans l’avenir ? Ou au contraire les avantages ne vont-ils pas devenir tellement cumulatifs que la fluidité des communications et des déplacements engendrera des positions inexpugnables ? Une seule chose apparaît certaine : la gouvernance des territoires métropolitains va (re)devenir la clé du développement tout court.
http://www.betapolitique.fr/Grand-Paris-et-metropoles-04243.html