Macron, vous ne pouvez pas soutenir la loi immigration et en même temps panthéoniser Missak Manouchian, tribune de Pierre Ouzoulias

Pierre Ouzoulias, Sénateur des Hauts-de-Seine

Le 21 février prochain, Missak Manouchian, accompagné de son épouse Mélinée, fera son entrée au Panthéon, haut lieu de notre histoire républicaine. Installés dans le caveau numéro XIII aux côtés de Maurice Genevoix et de Joséphine Baker, ils y représenteront leurs camarades exécutés au Mont-Valérien, leur chef, Joseph Epstein, ainsi que tous ces étrangers morts pour la France afin de reprendre notre liberté des mains de ceux qui nous l’avaient confisquée.

Sans conteste, cette décision a été rendue possible par la volonté du président de la République, qui a entendu et compris les demandes formulées en ce sens par notre comité, constitué de Jean-Pierre Sakoun, Denis Peschanski, Katia Guiragossian et moi-même. Mieux que son prédécesseur, Emmanuel Macron a perçu la force symbolique de cette panthéonisation, dans un moment singulier de notre histoire où les velléités identitaires d’une extrême droite dévergondée se font de plus en plus pressantes.

Ce constat valait pour hier. A cette heure, encore sous le choc du vote de la loi immigration, je m’interroge, en mon nom seul, sur la signification que le chef de l’Etat entend donner à cette cérémonie. Est-il possible de célébrer l’action de ces étrangers morts pour la France au nom de la haute idée qu’ils se faisaient de nos principes républicains, tout en rédigeant, selon les desiderata des descendants de Vichy, une législation qui instaure de facto la préférence nationale dans l’attribution de certaines prestations sociales ?

Il a mené cette action de résistance en dépit de la méfiance raciste

Je ne le crois pas. Nous touchons ici aux limites du «en même temps» consubstantiel à la philosophie macronienne. Je reste persuadé que le sacrifice de nos valeurs humanistes sur l’autel d’un marchandage politicien est indigne de l’action de nos glorieux aînés.

Communiste, Arménien et de surcroît apatride comme tous les Arméniens chassés de la Turquie après le génocide, Missak Manouchian s’est engagé dans l’armée française, puis dans la Résistance patriotique, au nom d’un idéal révolutionnaire et d’une République universelle qui reconnaîtrait à chaque humain une citoyenneté et le droit au bonheur.

Cette action, il l’a menée en dépit de l’accueil qu’il reçut à Marseille en 1925, comme tous les étrangers, selon cette méfiance raciste qui se manifestait alors contre les Orientaux qu’ils fussent juifs, arabes ou arméniens. Quelques années plus tôt, le maire de Marseille envoya une missive au préfet pour lui demander de prendre des mesures contre ces envahisseurs venus de la mer. Il lui écrivait, je le cite : «On annonce que 40 000 de ces hôtes sont en route vers nous, ce qui revient à dire que la variole, le typhus et la peste se dirigent vers nous, […], dénués de tout, réfractaires aux mœurs occidentales, rebelles à toute mesure d’hygiène, immobilisés dans leur indolence résignée, passive, ancestrale.»

Ainsi pensait et parlait une certaine élite politique française. Ainsi pensent et parlent les élus et les cadres frontistes et zemmouristes dont je rappelle qu’ils ont été les seuls à ne pas réagir à l’annonce de cette panthéonisation.

C’est bien normal. A travers leurs actions, Missak Manouchian et ses camarades ont montré de manière éclatante que notre nation, héritée de la Révolution française, réunit des citoyennes et des citoyens de toutes les provenances, autour de principes républicains universels. Une nation ouverte et fraternelle. Une nation aux antipodes de celle prônée par les tenants d’une nation ethnique, obsédés par la «race» et la religion de celles et ceux qui la fondent.

L’amour de la patrie se manifeste dans les actes seuls

Hélas, depuis quelques jours, je ne peux plus m’empêcher de penser qu’en votant un texte dont Marine Le Pen revendique la tutelle idéologique, Emmanuel Macron et les siens ont durablement annihilé ce qui distingue les républicains de ceux qui ne le sont pas.

C’est pourquoi j’appelle au sursaut pour que nous fassions de cette panthéonisation un événement populaire au cours duquel nous rappellerons que l’amour de la patrie ne se manifeste ni dans le patronyme ni dans la couleur de peau, mais dans les actes seuls.

Autour de Missak Manouchian, célébrons la fraternité humaine et dressons des perspectives pour l’avenir, dégagées de cette infâme toile tissée par l’extrême droite et ses compagnons de route. Soyons à la hauteur de cette histoire qui nous regarde avec l’acuité de ceux qui ont donné leurs vies pour notre bonheur. C’est ce qu’écrivit Missak Manouchian dans sa dernière lettre à Mélinée : «Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté́ et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté́ sauront honorer notre mémoire dignement.»

#Manouchian #ManouchianauPantheon