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Pierre Mansat et les Alternatives

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Un portrait fin et politique d'Aurélien Rousseau dans Le Monde

Un portrait fin et politique d'Aurélien Rousseau dans Le Monde
Aurélien Rousseau, le cerveau gauche d’Elisabeth Borne

Le directeur du cabinet de Matignon est moins dans l’ombre que ses prédécesseurs et donne de la chair à la fonction. Son passé communiste et son style « rad-soc », peu communs dans le camp macroniste, maintiennent un fil ténu avec les réseaux sociaux-démocrates.

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Publié le 11 octobre 2022
Aux côtés d’Elisabeth Borne, Aurélien Rousseau paraît son contraire. A 46 ans, silhouette imposante, lunettes rondes et léger accent rocailleux des Cévennes, il flanque la première ministre à l’allure plus austère. Dans son vaste bureau du premier étage de Matignon, le directeur du cabinet réfute l’effet « yin et yang ». Mais il apporte du liant au quatuor qui dirige la France, dont les trois premiers protagonistes sont connus – Emmanuel Macron, son secrétaire général, Alexis Kohler, et la première ministre. Ce quatrième membre, d’ordinaire invisible, tient le rôle de « vice-premier ministre », selon l’ancien premier ministre Edouard Philippe et le député européen Gilles Boyer dans Impressions et lignes claires (JC Lattès, 2021). A lui de « conseiller, mettre en œuvre, rassurer, relancer, et le cas échéant protéger ou recadrer » la cheffe du gouvernement.

Aurélien Rousseau est à la fois plus apparent et plus politique que ses prédécesseurs. Natif d’Alès et enraciné dans le Gard, il s’est engagé à gauche dans les pas d’une grand-mère élue communiste et d’une mère directrice d’un foyer de jeunes travailleurs, militante du Parti socialiste unifié de Michel Rocard. « Je suis avec mes femmes », rit l’heureux père de deux filles, lorsqu’il accueille ses invités dans la maison familiale cévenole, entre pêche à la truite et interprétation mémorable des Lacs du Connemara, de Michel Sardou. Jeune membre du Parti communiste français (PCF), il a fait ses armes il y a vingt ans au cabinet du communiste Pierre Mansat, l’un des adjoints au maire de Paris Bertrand Delanoë. Là, Nicolas Revel, directeur du cabinet adjoint de Delanoë et futur directeur du cabinet de Jean Castex à Matignon, l’encourage à passer l’ENA. Aurélien Rousseau suit son conseil, et rejoint le Conseil d’Etat en 2009. « Revel est la bonne fée qui s’est penchée sur Aurélien », résume Pierre Mansat.

En mai, l’Elysée le place à Matignon sous l’influence du tout-puissant Alexis Kohler. Le Cévenol, qui a dirigé l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France en pleine crise sanitaire due au Covid-19, manque même d’être ministre de la santé. « Je ne doute pas qu’il ferait cela très bien un jour », glisse Nicolas Revel, aujourd’hui patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Rousseau et Borne n’étaient pas proches, mais le futur « dircab » avait croisé la future première ministre dans la « bande de Delanoë » – il était revenu diriger le cabinet du maire de Paris en 2012, elle était directrice de l’urbanisme de la ville. Ils se trouvent des atomes crochus. Benoît Ribadeau-Dumas, ex-directeur du cabinet et ami de vingt ans d’Edouard Philippe, constate que « leur attelage marche très bien : elle est exigeante et déterminée ; il est rond, sentimental, calme sous la pression ».

« Une extrême sensibilité »

Aurélien Rousseau avait déjà exercé rue de Varenne. Directeur adjoint du cabinet et conseiller social de Manuel Valls en 2015-2016, il est taquiné comme le « coco de Matignon ». D’anciens « hollandais » brocardent la légende de l’ex-communiste qui n’a pas hésité à servir un premier ministre réformiste et admirateur de Clemenceau. Eux se souviennent d’un « M. Social » plastique, à l’aise avec la ligne libérale en plein bras de fer sur la loi « travail », passée par le 49.3 en 2016, alors que les frondeurs et CGT-FO rejetaient l’inversion de la hiérarchie des normes. « L’accord pour l’accord faisait qu’on ne faisait rien, rectifie Aurélien Rousseau. La CFDT s’était engagée à nos côtés, on ne la lâche pas à la dernière minute. J’ai un petit côté ancien combattant, comme Aurélien, d’Aragon, une fois qu’on a fait un truc ensemble, on va jusqu’au bout. » A son pot de départ de Matignon en 2017, devant un aréopage socialiste d’où se détachent Bernard Cazeneuve, Marisol Touraine, Myriam El Khomri, il ose l’humour noir : « Quand le Komintern m’a donné pour mission de détruire la social-démocratie, je ne pensais pas y arriver aussi vite. »

Il pousse la première ministre à se montrer telle qu’elle est, cash et caustique. « N’hésite pas, les gens sont comme ça », encourage-t-il

Sous le second quinquennat Macron, le voilà qui tamise les dossiers d’Elisabeth Borne, prend le relais des réunions de ministres, échange en direct avec Emmanuel Macron et prolonge la convivialité lors des déjeuners « PR-PM », où Alexis Kohler et lui rejoignent les deux têtes de l’exécutif au dessert. Il organise du team building à la résidence secondaire de Souzy-la-Briche (Essonne) et pousse la première ministre à se montrer telle qu’elle est, cash et caustique. « N’hésite pas, les gens sont comme ça », encourage-t-il. Lui manie l’autodérision et la blague potache qui font rire aux éclats Elisabeth Borne et son entourage. « Il sait bousculer le protocole par ses mots d’esprit, qui sont l’expression d’une extrême sensibilité, raconte son ami Pierre Mansat. Ce qui est marrant, ce n’est pas l’humour en soi, c’est l’impact de cet humour sur les puissants. » Un peu gêné, Aurélien Rousseau explique que « c’est un moyen de gérer le stress, sinon le poste est trop rude… Ici, c’est le terminus des emmerdes ».

Tout remonte à Matignon. Un jour de 2016, une alerte arrive des Antilles : sur la petite île de Saint-Martin, partagée entre la France au nord et les Pays-Bas au sud, un plagiste néerlandais a étendu ses transats de l’autre côté de la frontière. Aurélien Rousseau, directeur adjoint du cabinet, prend l’air grave et dit au général Lecointre, chef du cabinet militaire du premier ministre : « Mon général, on a le cul dans les ronces, c’est une invasion. » Fou rire, lorsque François Hollande passe une tête. « Ne vous inquiétez pas, M. le président, nous avons rétabli nos frontières », disent-ils au chef de l’Etat qui reste coi.

« Fin connaisseur du monde social »

Six ans plus tard, la guerre sévit aux portes de l’Europe et la crise énergétique menace. Aurélien Rousseau doit gérer d’autres « emmerdes », dont la très sensible réforme des retraites qu’il revient à Elisabeth Borne de mener à bien avant la fin de l’hiver, sans faire imploser la majorité. Il pianote des SMS à son attention sous la table du dîner, à l’Elysée, le 28 septembre, le soir où Emmanuel Macron renonce à la réforme par amendement au budget social. « Moi qui déteste les fruits de mer, je me suis dit que ce dîner allait être très très long, ironise Aurélien Rousseau. Mais j’ai vu des gens qui pouvaient manger des centaines d’huîtres d’affilée… c’était fellinien et un peu angoissant. » Le directeur du cabinet est de ceux qui sont mal à l’aise avec l’idée de réformer les retraites à la va-vite.

« Il sait redescendre à hauteur de femmes et d’hommes, c’est fondamental dans cette période » Laurent Berger, patron de la CFDT

Au point qu’il est perçu comme un rare allié par les syndicats réformistes. « C’est un fin connaisseur du monde social, à qui on peut dire les choses et qui connaît bien la contrainte des organisations collectives, ce qui est parfois en perte de vitesse dans ce gouvernement, apprécie Laurent Berger, patron de la CFDT, opposé au recul de l’âge légal de départ. Il est loyal à ses chefs, mais il accepte la contradiction. Il n’est pas dans le dogme. Ce n’est pas un être froid qui vous glace. Il sait redescendre à hauteur de femmes et d’hommes, c’est fondamental dans cette période. C’est quelqu’un de touchant, pour qui j’ai de l’estime. »

Du marxisme, Aurélien Rousseau a gardé la conviction que les individus sont peu de chose par rapport aux mouvements de fond. Le mythe de l’homme providentiel ne parle guère à ce haut fonctionnaire chargé de mettre en musique le compromis prôné par Elisabeth Borne. Il tient aussi au « besoin d’idéologie » dans une machine à trancher sur parapheurs. Après une énième heure penchés sur les paramètres des pensions, Elisabeth Borne et lui s’arrêtent, lèvent la tête : « Bon, qui sont les perdants et les gagnants ? Les plus pauvres ou les plus riches ? » Surtout ne pas se laisser « embringuer par la machine »… ce que ses camarades lui rappellent par SMS, à coups de « qu’est-ce que vous foutez ? ». Un vieil ami de l’époque communiste, le leader gardois Vincent Bouget, croit savoir que « quand les communistes ont perdu le Val-de-Marne [bastion du PCF depuis 1976] en juin 2021, ça lui a fait quelque chose ».

Une « fragilité » assumée

Des années Hollande, Aurélien Rousseau garde ses amitiés socialistes. L’énarque, qui réveillonne souvent à Noël avec François Hollande et Julie Gayet, a invité à son mariage cet été – avec Marguerite Cazeneuve, ex-conseillère sociale d’Emmanuel Macron et numéro deux de l’Assurance-maladie – toute la palette de la gauche sociale-démocrate, mélange d’artistes et de hauts fonctionnaires, d’anciens ministres et de députés des ères Delanoë, Hollande, Macron… dont les « copains », Boris Vallaud et Najat Vallaud-Belkacem. « Je n’en dirai que du bien, je distingue l’homme de son œuvre », rit le député PS des Landes et patron du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

Alors que la première ministre avait enfoui son passé familial douloureux sous une carapace, cet arrière-petit-fils de résistant à Alès se plaît à conter son histoire pour donner de la chair à la fonction. « J’assume le “je” », écrit-il dans son livre La Blessure et le Rebond (Odile Jacob, 320 pages, 21,90 euros), rédigé avant son arrivée à Matignon pour raconter son expérience aux rênes de l’ARS d’Ile-de-France. « Les hauts fonctionnaires doivent assumer que, par moments, il faut prendre des décisions, et qu’il y a un espace pour ça », confie-t-il en rejetant l’archétype de l’énarque neutre et désincarné. Ce qui l’a poussé à prioriser les doses de vaccin en Seine-Saint-Denis, département qui compte le plus de morts du Covid-19, en lien avec l’Elysée, était sa « conviction politique » – pourquoi ne pas le dire ?

Avant de devenir conseiller d’Etat, Aurélien Rousseau était professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis, spécialiste de la sainteté dans l’Empire byzantin. C’était l’époque des festivals de théâtre ambulant, des spectacles montés avec sa première épouse, Marion Rousseau, puis de l’épreuve de la maladie, un syndrome de Guillain-Barré qui l’a paralysé à ses 30 ans, et dont il a tiré un roman (Boucle d’Or, Le Passage, 2016). A la Monnaie de Paris, qu’il dirige de 2017 à 2018, il ne se passionne que pour les expositions d’art contemporain. A l’ARS francilienne, il tweete librement au point de dérouter ses homologues, et s’approche des projecteurs médiatiques. Une année et demie d’extrême tension, nuit et jour, le mène à la dépression à l’été 2021. Une « fragilité » qu’il relate sans se dérober, après avoir vu « trop de gens tenir longtemps puis craquer ». Il préfère « prendre le risque de l’intime » ; l’Etat n’est pas un monstre froid.

« Structuré » par son ancrage territorial

Le lyrisme d’un Aurélien Rousseau fait parfois lever un sourcil à ses interlocuteurs, lorsqu’il leur montre les bureaux d’époque et les tapisseries, témoins de la continuité de l’Etat. Un soir, il capture l’hôtel de Matignon avec son smartphone, publie la photo sur Twitter en songeant que « ce doit être cela la définition d’un personnage historique, quand on a le sentiment de vivre un moment universel et que l’on est aussi saisi d’une forme d’intime tristesse ». Il ne dit pas quel personnage l’inspire. Mais il nous désigne, dans un coin de son bureau, à côté du coffre, un jeune homme cheveux au vent devant la pointe bretonne de Pen-Hir, à Crozon (Finistère). Une photo de Jean Moulin à l’été 1930, du temps où le plus jeune sous-préfet de France collectionnait l’art et se rêvait peintre, sous le pseudo de Romanin.

 

Rappelé par le tintement de l’horloge, le directeur du cabinet retourne à sa fonction, qu’il revendique très politique. « Son ancrage territorial, sa culture du communisme et de la résistance, ça l’a structuré pour toujours, même s’il est au service de la Macronie, veut croire Mansat. Quand j’entends que la politique, c’est Borne, et qu’il est là pour que ça passe bien, ça me fait rigoler. Il peut jouer un rôle important sur le fond des choses. »

Elu municipal de Saint-Hilaire-de-Brethmas (Gard), commune de 5 000 habitants dirigée par un maire socialiste, Jean-Michel Perret, Aurélien Rousseau participe toujours aux conseils municipaux – sauf « emmerde » de dernière minute. Il confie avoir longtemps eu l’envie de planter deux pieds dans l’arène. Puis, rappelle que « la responsable politique se trouve de l’autre côté de la porte », en désignant le mur qui sépare son bureau de celui d’Elisabeth Borne.

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