24 Septembre 2021
Le roman noir du Grand Paris
Béatrice Jérôme
Un gouvernement à l’échelle du Grand Paris pour « s’attaquer aux inégalités » : Bertrand Delanoë, maire de la capitale de 2001 à 2014, en a rêvé. En 2016, alors président de la République, François Hollande crée la Métropole du Grand Paris. L’outil politique existe donc depuis. Les disparités sociales et territoriales n’ont pourtant jamais été aussi béantes au cœur de l’Ile-de-France. La crise sanitaire l’a rappelé, à travers la surmortalité liée au Covid-19 en Seine-Saint-Denis. Pierre Mansat, adjoint de Bertrand Delanoë pendant ses deux mandats, fait l’amer constat de l’échec « des gauches » à créer une collectivité réellement redistributrice de richesses au sein de l’agglomération.
Seules des politiques publiques à l’échelle du Grand Paris pourront être efficaces pour « maîtriser, réguler, encadrer la métropolisation, qui sinon produit de la ségrégation », écrit-il dans un livre cosigné avec Christian Lefèvre, politiste, professeur à l’école d’urbanisme de Paris et spécialiste de la gouvernance des métropoles dans le monde.
Ancien membre du Parti communiste français (PCF) et élu du 20e arrondissement, Pierre Mansat livre un témoignage à cœur ouvert de ses dix-sept années à l’Hôtel de ville consacrées à jeter des ponts entre la capitale et ses voisins. « Missionnaire » du Grand Paris, investi pour cette tâche par Bertrand Delanoë, il raconte les torpillages des élus municipaux, départementaux et régionaux contre toutes ses tentatives d’aller vers une profonde évolution institutionnelle.
Les premiers à lui mettre des bâtons dans les roues ont été les élus communistes. « Tu dois arrêter, tu mets en danger nos bastions, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne », lui assène Marie-George Buffet, alors secrétaire nationale du PCF, au début des années 2000.
Meurtri par le « mépris » de la plupart des communistes parisiens pour ses travaux, il finira par quitter le parti en 2010. Patron socialiste de l’Ile-de-France à l’époque, Jean-Paul Huchon s’oppose de toutes ses forces à ce qu’il appelle, à l’allemande, un « Gross Paris ». Quant aux maires de gauche, ils se liguent tacitement avec ceux de la droite et du centre contre tout échelon territorial supérieur qui les priverait de leurs prérogatives et de leurs moyens.
Le blocage des élus n’est pas qu’un refus de perdre « une parcelle de pouvoir ». La gauche comme la droite continuent de voir la commune comme « le socle exclusif de la démocratie locale », analysent les auteurs. Cette « sacralisation » les empêche de se forger « une vision métropolitaine ». Hormis une poignée de « maires modernisateurs », rares sont les édiles qui ont développé une « pensée du fait métropolitain », déplorent-ils. Le débat intellectuel sur les enjeux urbains a été foisonnant sous les deux mandats de Bertrand Delanoë. Pierre Mansat l’a encouragé à travers colloques, débats et publications, espérant provoquer une prise de conscience des solutions à mettre en œuvre. Les plus grands architectes mondiaux ont produit des travaux sur l’avenir de l’Ile-de-France au sein de l’Atelier international du Grand Paris, qu’il anime en 2011. Le décalage est pourtant resté abyssal entre la réflexion et la réalisation politique.
Ce « vide » a permis à Nicolas Sarkozy de commettre un « hold up », sur le Grand Paris. Président de la République, il lance en 2011 le projet d’un métro du Grand Paris – l’actuel Grand Paris Express – et évacue la question institutionnelle. Voyant la droite et l’Etat se réapproprier la paternité d’un dossier qu’il avait lancé en 2001, Bertrand Delanoë reprend l’offensive sur le terrain politique en proposant la création d’une « confédération métropolitaine » qui serait chargée notamment des politiques du logement. Confédération financée par un fonds d’investissement alimenté par les collectivités les plus riches.
Mais le Parti communiste fait échouer au Sénat ce scénario. C’est la Métropole du Grand Paris, dans sa forme actuelle, qui est finalement votée au Parlement en janvier 2014, puis modifié en août 2015. Elle ne voit le jour, décryptent Pierre Mansat et Christian Lefèvre, que « parce qu’elle ne remet en question ni les départements ni les maires ». La nouvelle métropole évite « tous les sujets qui fâchent : la place du logement social, la lutte réelle contre les inégalités sociales et territoriales », insistent les auteurs.
Le livre restitue sa dimension politique à un sujet souvent cantonné aux controverses d’experts. Pour lui donner plus de chair, les deux auteurs, grands amateurs de romans noirs, alternent leur chronique des tribulations politiques avec un récit romanesque qui a pour décor l’Hôtel de ville de Paris. Le personnage principal, Paul Métro, est chargé par le maire, Maximilien Cordelier, de l’aider à « prendre le contrôle de la métropole ». A travers ce polar sanglant, l’histoire de la gauche et de la métropole apparaît sous son vrai jour, celui d’un funeste drame.
Ma vie rouge. Meurtre au Grand Paris
de Pierre Mansat et Christian Lefèvre Presses universitaires de Grenoble,
180 pages, 19 euros