29 Juin 2021
Moment décisif pour le droit d’accès aux archives publiques avec la discussion de l’article 19 de la loi PATR au Sénat le 29 et le 30 juin. Pour la première fois, pourrait être votée une loi visant à fermer les archives.
Paris, le 28 juin 2021. Le Sénat examine à partir de demain l’article 19 de la loi PATR qui est consacré aux archives. L’enjeu est considérable : c’est une fermeture sans précédent de l’accès aux archives publiques qui se dessine avec l’article 19.
De véritables « trous noirs » historiques sont créés, et c’est le cas, en particulier, pour ce qui concerne les archives des services de renseignement, littéralement exfiltrées hors du droit commun des archives. Il aurait été impossible de travailler sur des pans entiers de notre histoire, aujourd’hui bien connus, si une telle loi avait été en vigueur.
On peut citer les 17 500 dossiers de la direction de la surveillance du territoire (DST) ayant servi à retrouver et à juger des collaborateurs, qui comprennent de multiples informations sur les procédures opérationnelles, tant de la DST, que des services nazis. On peut également citer aussi les archives des services secrets à Alger (1942-1944) et Paris (1944-1945) de ce qui deviendra le Gouvernement provisoire de la République française. Sans même parler des archives des renseignements généraux qui ont permis à des historiens comme Denis Peschanski d’écrire l’histoire des résistants étrangers et des camps d’internement.
Les archives des renseignements généraux sont une source fondamentale pour écrire l’histoire des partis, des syndicats, des associations, des réseaux politiques, de toutes tendances politiques confondues, du gaullisme au communisme, en passant par le socialisme et la démocratie-chrétienne. Ou encore l’histoire des groupes et mouvements contestataires dont la compréhension est pourtant fondamentale pour la vie de notre République et de notre société. Si le projet de loi est voté en l’état, Philippe Buton ne pourrait plus écrire sa magistrale « Histoire du gauchisme ». Les archives des renseignements généraux permettent aussi d’écrire l’histoire des groupes illégaux ayant menacé la République. Des livres aussi importants sur l’histoire de la Ve République que celui de Jean-Noël Jeanneney « Un attentat. Petit Clamart, 22 août 1962 », ou encore celui de Maurice Vaïsse « Le putsch d’Alger » n’auraient pas pu être écrits.
Contrairement aux députés, les sénateurs disposent des conclusions du rapporteur public M. Lallet devant le Conseil d’État qui sont très sévères pour le gouvernement.
Dans une lettre aux membres de la commission culture du Sénat le collectif « Accès aux archives publiques » a dénoncé les escobarderies1 du SGDSN, de la direction des Affaires juridiques du Ministère des Armées, de la ministre F. Parly. Est également pointée l’absence complète lors des débats de R. Bachelot, ministre de la Culture pourtant chargée des Archives.
L’article 19 de la loi PATR ne vient pas combler un défaut d’articulation entre le code pénal et le code du patrimoine. Le rapporteur public du Conseil d’État, M. Lallet, l’a rappelé avec une rare fermeté dans ses conclusions du 16 juin 2021, ce défaut d’articulation « n’exist[ant] que dans l’esprit du SGDSN » et relève d’un « subterfuge » qui laisse « un arrière-goût désagréable ».
L’article 19 de la loi PATR ne représente, sur aucun point, une « loi d’ouverture », dans la mesure où, comme l’a rappelé le rapporteur public du Conseil d’État, la prétendue « ouverture » n’est que le rappel du droit d’ores et déjà applicable et malmené par les administrations, tandis que la fermeture, elle, est réelle et inédite.
Contrairement à ce que soutient la direction des Affaires juridiques du ministère des Armées, « l’immense majorité des historiens et des archivistes » ne considère pas que le texte arrive à un bon équilibre. L’association des archivistes français [AAF] et l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche [AHCESR] sont les deux associations les plus représentatives, et de loin, des deux professions, et elles pensent le contraire.
Le nombre de documents concernés par l’allongement des délais de communication n’est pas marginal : de l’avis de tous les archivistes, les masses sont, au contraire, considérables pour ce qui concerne les services de renseignement. En outre, dès lors que les services auront la possibilité de garder les archives pour une durée indéterminée, le risque est fort qu’ils se soustraient à l’obligation de versement dans les services d’archives publiques. Le danger de perte de mémoire administrative et historique est particulièrement renforcé.
Cette loi ne sera pas facilement applicable. Un archiviste sera évidemment incapable d’apprécier quels documents intéressent les « procédures opérationnelles », et encore moins s’ils ont perdu leur « valeur opérationnelle ». Il n’aura donc pas d’autre choix que de saisir le service de renseignement producteur, pour qu’il lui dise s’il peut communiquer, en espérant obtenir une réponse. De ce point de vue, ce dispositif aura des effets en tout point identiques à ceux qui procédaient de l’application de l’IGI 1300, et que le projet de loi entendait précisément surmonter.
Nous le disons donc sans détour, nous sommes très inquiets des effets pratiques de ce texte et, plus largement, de ce qui se joue avec ce projet de loi. L’accès aux archives publiques n’est pas seulement un enjeu pour le travail scientifique des historiens d’aujourd’hui et de demain. Très au-delà de cela, c’est un enjeu démocratique : le droit des archives publiques est l’un des terrains sur lequel s’exprime le principe de responsabilité – certes différée mais néanmoins bien réelle – de l’action du pouvoir exécutif et de ses administrations.
Les conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État doivent permettre d’amender le texte afin d’éviter que la loi PATR ne soit la première loi de fermeture des archives de l’histoire et que ne soit créé un régime dérogatoire au droit commun pour les services de renseignement !
1 Subterfuge, action ou parole équivoque, simulation ou dissimulation adroite destinée à tromper sans mentir précisément