27 Janvier 2021
Par Gilles Pinson
[Un texte de Gilles Pinson, professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux, ses conclusions sont convergentes avec mes propositions développées dans ma tribune " Grand Paris, une indispensable audace démocratique" publiée dans l'Humanité Pierre Mansat]
Dans la décennie qui vient de s’écouler, la question métropolitaine a fait une entrée fracassante dans le débat public. Peu connue pour sa passion pour les questions urbaines et territoriales, la France a reconnu le fait métropolitain à la faveur de deux lois qui ont permis la transformation de structures de coopération intercommunale existantes en « métropoles ». Parallèlement, une inquiétude diffuse s’est faite jour autour des mutations territoriales travaillant le pays : désertification rurale, difficultés des villes petites et moyennes, envolée des valeurs immobilières et ségrégation croissante au sein des métropoles, etc. Certaines analyses du mouvement des Gilets Jaunes ont d’ailleurs fait la part belle à ces déséquilibres territoriaux comme facteurs explicatifs du phénomène.
Le télescopage de ces deux dynamiques fait des métropoles nouvellement créées les coupables idéales. À Paris comme dans les grandes villes de région, les métropoles nouvellement créées et leurs projets d’aménagement sont pointées du doigt non seulement comme bénéficiaires mais comme responsables de ces déséquilibres. Dans une tribune récente, une cinquantaine de personnalités faisaient de la métropole du Grand Paris (MGP) et de la Société du Grand Paris (en charge de la construction du Grand Paris Express) les responsables d’un véritable « écocide » et d’une conversion des politiques urbaines à l’impératif néolibéral de compétitivité, d’attractivité et de course à la taille critique.
Ces propos ne sont pas isolés. On a vu çà et là se multiplier publications savantes et discours militants faisant de la métropolisation mais aussi des métropoles en tant qu’entités institutionnelles, les parangons d’un urbanisme néolibéral. On peut même affirmer que le mot a créé la chose : l’invention juridique et politique de la métropole a permis la cristallisation d’une critique diffuse qui a enfin trouvé un vocable-cible subsumant tous les maux qui affectent l’organisation des territoires.
Peut-on et doit-on encore défendre la métropole ? Pour nous, la réponse ne peut être que positive. Car si la métropolisation néolibérale est une réalité indéniable et un projet politique à combattre, les « grands territoires » ne peuvent pas relever de l’impensé et de l’ingouverné au nom d’une fétichisation du proche et de la sédentarité.
Qu’il y ait un lien entre la métropolisation et la mondialisation, cela ne fait aucun doute. Selon la formule canonique de l’économiste Claude Lacour, « la métropolisation est la traduction urbaine de la mondialisation ». Quant à la mondialisation, elle est elle-même le résultat de changements idéologiques et institutionnels intervenus à l’échelle des États et des relations internationales sous la pression d’entreprises politiques inspirées par le néolibéralisme et allant toutes dans le sens de la levée des entraves à la circulation des biens et des capitaux, de la dérégulation et du relâchement du contrôle des États sur les activités économiques.
La mondialisation néolibérale a de fait eu un impact direct sur les systèmes urbains et territoriaux nationaux. La migration des activités manufacturières vers les pays émergents a privé certains territoires – zones rurales, villes moyennes – d’une de leurs fonctions vitales. Les effets de cette désindustrialisation ont parfois été amplifiés par la réorganisation des services de l’État, elle-même inspirée par les principes néolibéraux.
Par ailleurs, la spécialisation des économies du Nord dans les activités situées en amont et en aval (recherche et développement, design, commercialisation, etc.) des processus de production a elle aussi induit des transformations spatiales majeures. Ces activités étant la plupart du temps opérées dans le cadre de relations de sous-traitance et nécessitant une certaine proximité spatiale entre donneurs d’ordre et prestataires, on a vu se renforcer dans les métropoles des écosystèmes associant les sièges des entreprises privées, ceux des autorités et établissements publics et une myriade d’entreprises de services aux entreprises et d’assistance à l’exercice des fonctions publiques (banques, finance, assurances, conseils, etc.).
La statistique française parle d’ailleurs d’emplois métropolitains supérieurs pour qualifier les emplois générés par ces écosystèmes productifs dont la part n’a cessé d’augmenter dans la population active et qui, comme leur nom l’indique, se concentrent dans la fraction supérieure de la hiérarchie urbaine française.
Le chaînage logique entre mondialisation néolibérale, désindustrialisation et tertiarisation des économies du Nord et métropolisation est donc évident. Une fois enclenché, le processus de métropolisation s’auto-entretient et peut produire des effets délétères. À mesure que les métropoles concentrent les fonctions et les emplois rares, à mesure que leur sol et leur air sont débarrassés de la présence de l’industrie, elles deviennent des lieux attractifs pour les catégories sociales supérieures, ce qui génère emballement des marchés immobiliers et gentrification.
Les logements, les bureaux, le sol et les équipements urbains ont toujours été des marchandises échangées sur des marchés, mais la concentration des hommes et des activités dans les villes rendent ces marchandises encore plus convoitées et rend l’investissement dans ces biens urbains plus profitable que l’investissement dans l’industrie ou la finance. C’est ce que certains géographes critiques appellent l’urbanisation du néolibéralisme.
La ville n’est plus ce « marché secondaire », comme pensait Henri Lefebvre dans les années 1970, où l’on investit des capitaux excédentaires sans en espérer des rendements faramineux. Au contraire, les profits générés par les marchés urbains en font des destinations essentielles pour les intérêts de la finance. Ce qui explique la ruée des fonds de pension sur les stocks de logements et de bureaux ou encore la fusion de conglomérats associant activités bancaires et de promotion immobilière.
Bien sûr, la mondialisation néolibérale n’est pas le seul facteur explicatif de la métropolisation. Il faudrait aussi évoquer les changements technologiques, la grande vitesse notamment, et ses « effets tunnel ». Il faudrait aussi parler des transformations des modes de vie et des aspirations qui privilégient la grande ville. Reste que la mondialisation néolibérale a été un facteur essentiel d’accélération de ce processus et de déchaînement de ses dimensions les plus délétères.
La métropolisation ne se limite pas à des phénomènes économiques, sociaux et morphologiques. C’est aujourd’hui, en France notamment, une réalité politique et institutionnelle : l’émergence de puissantes structures dont l’ambition est de gouverner et de promouvoir les grands territoires métropolitains. Ici, deux précisions s’imposent. D’abord, la création des « métropoles » par les lois de « réforme des collectivités territoriales » de 2010 et de « modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » (dite loi MAPTAM) de 2014, n’a rien d’une révolution. Elle ne fait que poser un nouveau jalon d’un processus à la fois lent, discret et inexorable de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la coopération intercommunale, cette forme de gouvernance métropolitaine fondée sur le respect de la souveraineté municipale.
Ensuite, l’affirmation de ces pouvoirs d’agglomération est très inégale. La puissance politique, technique et financière acquise par les métropoles de Lyon, Nantes ou Rennes n’a rien à voir avec la faiblesse des métropoles parisienne et marseillaise créées par la loi MAPTAM contre l’avis d’un grand nombre d’élus locaux. Pour 2020, le budget primitif de la métropole de Lyon avoisinait les 3,5 milliards d’euros. Le budget du Grand Paris est à peu près équivalent pour une population cinq fois supérieure. Par ailleurs, la MGP reverse l’essentiel de ce budget aux communes et sa capacité d’investissement est très limitée : 157,5 millions comparés au milliard d’euros d’investissement de la métropole de Lyon. Surtout, le « Grand Lyon » est l’institution porteuse des grandes orientations en matière de politique urbaine depuis les années 1980 alors que la MGP peine à exister dans un paysage institutionnel déjà occupé par les communes, les territoires, la Région Île-de-France et la Société du Grand Paris.
Malgré ces fortes disparités, c’est l’ensemble des institutions métropolitaines qui est soupçonné aujourd’hui d’orchestrer la conversion néolibérale des politiques urbaines. Plus précisément, deux reproches leur sont faits. Le premier c’est de porter des agendas dominés par les enjeux de compétitivité et d’attractivité territoriales. De fait, comme l’indique Neil Brenner, alors que, dans les années 1960, ceux qui défendaient la création de structures de gouvernance métropolitaine avaient à cœur de régler de rationaliser les services publics et d’organiser une solidarité fiscale entre communes riches et communes pauvres, les réformateurs métropolitains des dernières décennies ont davantage des objectifs de rayonnement et d’attractivité en tête.
Le discours prononcé à Roissy par Nicolas Sarkozy en 2007 et considéré comme le point de départ de la construction de la métropole du Grand Paris, témoigne de ce renversement de perspective : « Il n’y aura pas de France forte et ambitieuse si l’Île-de-France se recroqueville sur elle-même. Si elle renonce à construire les plus hautes tours d’Europe. Si elle renonce à attirer les meilleurs chercheurs du monde. Si elle renonce à son ambition d’être une place financière de premier plan. […] Les grandes villes de province ont pris un élan démographique, économique, culturel extraordinaire ces dernières années. Je ne vois pas de honte à ce que la métropole parisienne les imite. Mais j’en verrais une à ce qu’elle se laisse distancer par Shanghai, par Londres ou par Dubaï. »
De fait, les agendas portés par des institutions métropolitaines plus installées dans le paysage institutionnel, comme le Grand Lyon, témoignent de cette obsession des leaders politiques et technocratiques qui gouvernent la structure du positionnement de la métropole dans les classements de villes qui ont prospéré depuis plusieurs décennies.
Un second procès fait à ces instances de gouvernance métropolitaine cible leur caractère anti-démocratique. Là encore, le contraste avec les années 1960 est frappant. Prenons le cas britannique. En 1965, à Londres, et en 1972 dans six autres agglomérations, des gouvernements métropolitains dotés de conseils élus au suffrage universel direct sont mis en place. En 1986, Margaret Thatcher les supprime. Depuis, hormis le cas de Londres où une Greater London Authority a été recréée et dotée d’un conseil élu, les autres grandes villes ont été pourvues de structures de gouvernance métropolitaine gouvernées par des aréopages composés d’élus désignés par les conseils municipaux ou encore de représentants cooptés des forces vives locales (chefs d’entreprises, responsables syndicaux et associatifs, représentants d’agences gouvernementales ou de grandes entreprises de services urbains).
C’est le cas de la Greater Manchester Combined Authoritycréée en 2011, gouvernée par un conseil de 11 élus municipaux délégués et assistée de commissions dont les membres sont cooptés dans le monde de l’entreprise et des agences. Iain Deasvoit dans ces arrangements l’expression parfaite d’une logique de gouvernance urbaine post-politique caractérisée par « la colonisation du processus de décision par les élites [policy elites], l’inclusion très limitée d’acteurs étrangers à ces élites et le strict bornage des débats par un consensus présenté comme fondé sur une expertise strictement technique ».
La France n’est pas en reste en termes d’opacité démocratique de la gouvernance métropolitaine. Les lois successives visant à renforcer la coopération intercommunale n’ont jamais remédié au déficit démocratique qui l’affecte. Les conseils métropolitains sont toujours élus au suffrage indirect. En dépit du pansement sur une jambe de bois que constitue le système du fléchage, les conseillers métropolitains tirent encore leur légitimité des élections municipales et ces dernières ne sont que très rarement le cadre d’un débat sur les enjeux métropolitains. Les décisions métropolitaines sont prises au sein de cénacles opaques réunissant les maires, rabaissant les conseils métropolitains au statut de chambres d’enregistrement.
Ainsi, l’érection de la compétitivité et de l’attractivité en valeurs cardinales des politiques métropolitaines s’accompagne-t-elle de nouvelles technologies de pouvoir qui prennent tantôt la forme de réseaux associant acteurs politiques, bureaucrates et représentants du monde économique agissant en marge des arcanes formels de la démocratie représentative, tantôt de cénacles de grands élus gouvernant en marge des logiques d’assemblée et s’affranchissant des principes majoritaires et de publicité. Ces technologies de pouvoir néolibérales fonctionnent à la dépolitisation. L’expression du conflit et du clivage y est dénoncée comme pathologique, comme l’expression d’un « populisme » aveugle aux enjeux supérieurs de compétitivité et d’attractivité.
Pour le géographe Erik Swyngedouw, sous l’emprise du néolibéralisme, la gouvernance métropolitaine aurait pris un tour « post-politique ». Le conflit opposant des visions idéologiques portées par des partis politiques est remplacé par la collaboration entre élus et technocrates autour d’objectifs « raisonnables ». Ce « consensus post-politique, selon Swyngedouw, empêche la conception et l’expression de visions divergentes, conflictuelles et alternatives du futur de la ville ».
La forclusion du conflit, le refus de l’idée même de clivages internes à la société urbaine a une conséquence directe : celle d’exclure du cercle des citoyens ceux qui contestent les agendas urbains dominés par les enjeux d’attractivité en recourant au répertoire de la politique agonistique (la manifestation, l’occupation voire tout simplement la prise de parole critique). On le voit à travers le refus d’accorder toute teneur politique aux expériences des ZAD. Le refus de l’idée que la politique urbaine relève de la confrontation entre projets alternatifs conduit les tenants du consensus néolibéral à rejeter ceux qui osent exprimer le dissensus en dehors de la communauté politique métropolitaine.
Alors, faut-il se débarrasser de la métropolisation et des métropoles ? Doivent-elles prendre une place de choix au panthéon des ennemis des forces progressistes ? Sûrement pas !
Commençons par le plus compliqué : défendons la métropolisation. Que la mondialisation néolibérale ait nourri la métropolisation, c’est indéniable et nous l’avons montré plus haut. Qu’elle soit à l’origine de ses aspects les plus détestables – financiarisation, éviction des catégories moyennes et populaires, etc. – c’est sans doute aussi vrai. Toutefois, dans certains réquisitoires contre la métropolisation, c’est parfois la grande ville qui est pointée, et les procureurs qui en font le procès s’embarrassent rarement de distinguo entre ce qui fait l’expérience métropolitaine à Bordeaux, Paris, Wuhan ou São Paulo.
Il faut pourtant rappeler quelques faits simples. Si la métropole est parfois génératrice de contraintes et d’aliénation, elle est aussi promesse d’émancipation et de créativité. Par ailleurs, on est toujours frappé de voir que les critiques véhémentes de la métropolisation viennent de milieux qui privilégient massivement une localisation dans les très grandes villes. Et puis, au-delà des contraintes, il y a bien une attraction métropolitaine chez certains groupes – jeunes diplômés, médecins, métiers de la culture et de la création, etc. – qui doit s’analyser comme le produit d’une transformation des modes de vie et des aspirations.
Plus profondément, il est frappant de voir que le procès fait à la métropolisation pointe sans distinction l’élévation de la région parisienne au rang de métropole globale d’une part, et la montée en puissance des plus grandes des villes de région. D’abord, il faut rappeler que toutes les grandes villes de France n’affichent pas la santé économique et la frénésie immobilière de Bordeaux, Nantes ou Toulouse. Ensuite, on peut aussi voir comme une bonne nouvelle que ce que l’on appelait jadis « les villes de province », et que les pires tares – médiocrité, ennui, entre-soi – affligeaient, atteignent aujourd’hui enfin une taille et accueillent des activités et des emplois qui leur permettent de s’offrir comme contrepoids crédibles à l’hydrocéphalie parisienne et que cet essor rende possible pour des jeunes diplômés de « vivre et travailler au pays » pour paraphraser le slogan des régionalistes des années 1960.
Les critiques légitimes de la métropolisation « telle qu’elle se fait » n’invalident pas tous les efforts consentis depuis plusieurs décennies pour gouverner les territoires métropolitains. C’est pourtant une tendance assez fréquente chez les contempteurs de la métropolisation de jeter le bébé de la gouvernance métropolitaine avec l’eau de la métropolisation. Pourtant la nécessité de gouverner les grands territoires, d’adapter les territoires de l’action publique aux territoires des flux et métabolismes urbains concrets n’est pas née avec la mondialisation. La démolition des enceintes ou encore l’annexion des paroisses ou communes jouxtant les villes-centres procédaient déjà de cet impératif. L’explosion des mobilités et l’étalement des villes qui ont marqué les décennies récentes le rendent encore plus prégnant.
Nos vies s’organisent désormais selon des schémas complexes articulant territoires et échelles variés et il n’est pas sûr que la pandémie, le confinement et les appels là aussi légitime à reconsidérer nos pratiques de mobilité changent résolument la donne. Nous sommes et resterons plus mobiles que nos ancêtres l’étaient au temps où furent délimitées les communes. Ce fatum mobilitaire oblige à des arrangements institutionnels pour gouverner les grands territoires.
Il faut aussi rappeler qu’historiquement, la volonté d’instituer des formes de gouvernance métropolitaine n’est pas l’apanage des néolibéraux, loin s’en faut. Comme le rappelle Christian Lefèvre, c’est dans les rangs des progressistes – démocrates états-uniens et travaillistes britanniques – que se recrutent les réformateurs favorables à l’institution de gouvernements métropolitains. Leur objectif est clair : limiter les effets sociaux et fiscaux des égoïsmes municipaux en organisant une solidarité territoriale à l’échelle métropolitaine.
Ils préconisent la création de gouvernements métropolitains assurant une péréquation financière et répartissant de manière plus équitable les équipements. Les adversaires de cette solution métropolitaine se recrutent dans les rangs des économistes et politistes partisans du public choice, une école de pensée située à droite et qui voit d’un mauvais œil la création d’institutions métropolitaines, lui préférant la régulation par la saine concurrence entre communes.
Enfin, on peut mettre à l’actif des dispositifs de gouvernance métropolitaine un certain nombre d’avancées. Ils ont permis l’élaboration de documents de planification visant à organiser l’expansion urbaine en limitant son impact sur les espaces agricoles et naturels comme à Rennes. À Lyon, Nantes et Bordeaux, ils ont permis d’irriguer certaines communes et quartiers populaires par les réseaux de transports collectifs et de rompre en partie leur enclavement. Dans certains cas, des formes de péréquation financière ont été mises en place permettant de donner plus aux communes plus pauvres et accueillant logements sociaux et activités industrielles.
Si elles n’ont pas toujours su lutter contre « l’apartheid urbain » comme les enjoignait la loi Chevènement de 1999 visant au renforcement de l’intercommunalité, les intercommunalités urbaines ont parfois su installer dans l’esprit des élus la nécessité de penser les solidarités entre communes au sein des métropoles. Et l’on voit bien que c’est là où la coopération métropolitaine a été longtemps inexistante ou tardive – comme à Paris ou à Marseille – que les crises urbaines sont les plus aigües.
La question n’est donc pas de savoir s’il faut se débarrasser des métropoles. Ce sont d’autres chantiers qui doivent nous occuper. Comment rendre la gouvernance métropolitaine plus démocratique ? Comment créer un espace public métropolitain ouvert à d’autres voies que celles des élus et des techniciens ? Comment détourner les agendas métropolitains de leur tropisme concurrentiel ?
Le déficit démocratique des métropoles et de l’intercommunalité à la française en général tient à leur caractère intergouvernemental. Les métropoles ne sont pas gouvernées par des assemblées où s’affrontent, selon une logique majoritaire, des projets métropolitains portés par des groupes politiques trans-municipaux mais par des compromis occultes entre maires qui ont beau jeu de se présenter comme les seuls dépositaires de la légitimité démocratique. La gouvernance métropolitaine est un décalque des pires heures de la gouvernance européenne.
Il faut vite passer à l’élection directe des conseils métropolitains selon le modèle lyonnais. Mais cette réforme ne peut se faire qu’à la condition de repenser le rôle de l’échelle municipale dans la gouvernance métropolitaine. À l’heure où l’on revalorise les échelles du proche, celle du quartier notamment, comment justifier de transférer intégralement l’essentiel de la légitimité démocratique et des compétences à l’échelle métropolitaine ? Le débat sur l’articulation des échelles dans la gouvernance métropolitaine est urgent et doit sortir de son carcan technique !
Ensuite, la chose métropolitaine ne peut plus être la chose des élus et des techniciens. Les citoyens et les mouvements sociaux doivent s’approprier cette nouvelle échelle ! Et ils le font déjà ! Ce n’est pas un hasard si ce sont dans les territoires où ont fleuri les ZAD – les grands espaces métropolitains autour de Nantes (avec Notre-Dame-des-Landes) ou de Grenoble (autour de la contestation du projet de Center Park à Roybon) –, que se structurent une parole citoyenne entendant mettre en débat les grands choix de développement métropolitain. À partir d’une critique souvent radicale de la métropolisation, ces mouvements font exister un espace public métropolitain que les élus travaillent à maintenir dans l’invisibilité. Il faut faire toute leur place à ces mouvements !
Il faut enfin revoir en profondeur les agendas métropolitains. On s’est trop habitué à une division du travail déléguant aux métropoles les stratégies d’attractivité et aux communes les politiques de solidarité. Les solidarités doivent aussi se penser à l’échelle métropolitaine et entre les territoires gouvernés par les métropoles et ceux qui les environnent.
Les outils existent – fiscalité, plans locaux d’urbanisme et de l’habitat intercommunaux, conférences intercommunales du logement, outils d’aménagement, conventions de coopération territoriale, etc. –, ils doivent être plus systématiquement mis au service de politiques de correction des inégalités socio-spatiales. Les techniciens sont souvent prêts à le faire mais sont limités par l’absence de portage politique.
La puissance des métropoles en termes financiers d’ingénierie doit aussi être mise au service d’une régulation plus volontariste des opérateurs privés : promoteurs, bailleurs sociaux, délégataires de services en réseau et géants du numérique.
Une autre politique métropolitaine est possible