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Pierre Mansat et les Alternatives

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À quoi servent les images de la catastrophe écologique ? Par Dork Zabunyan

À quoi servent les images de la catastrophe écologique ?

Critique

Si les récits apocalyptiques sont omniprésents, l’image reste un point aveugle de l’analyse des mobilisations écologiques. Tenter de déplacer notre regard vers l’image écologique, qu’elle soit fixe ou animée, artistique ou pas, permettrait pourtant d’affiner la portée critique des discours, d’envisager leur renouvellement, d’en affirmer la puissance.

Le désastre climatique en cours suscite toutes sortes d’angoisses inévitables : celle de la fin du monde avant toute chose, perçue désormais comme un phénomène historique tangible, et non plus comme une vue de l’esprit plus ou moins inconfortable : les catastrophes écologiques s’enchaînent, et l’œil continue de les suivre distraitement, mais une anxiété d’un nouveau type est apparue. Une autre angoisse pointe, qui affecte cette fois la procréation : le sentiment diffus que faire des enfants épuisera nécessairement les réserves de la planète ; la défense de l’espèce humaine, par conséquent, trouverait sa condition paradoxale dans une résistance à son renouvellement.

Autre anticipation suscitant un mélange d’effroi et d’incrédulité : la perspective scientifiquement avérée d’une mortalité massive des humains et des animaux si l’on considère, comme le rappelle Bill McKibben dans Falter : Has the Human Game Begun to Play Itself Out ? (Henry Holt and Co, 2019), que le réchauffement de la planète entraîne inéluctablement une augmentation de la température des océans, et que ce réchauffement global, si sa courbe n’est pas altérée, conduira à l’horizon 2100 à la disparition du phytoplancton dans les eaux marines, responsable de près de 65% de la production de l’oxygène sur Terre.

Nombreuses sont aujourd’hui les études qui scrutent l’éventualité d’un sursaut engendré par ce type d’informations ou qui, à l’inverse, analysent la dimension anesthésiante vers laquelle elles ne manquent pas de nous propulser. C’est en ce sens que des penseurs de l’effondrement comme Luc Semal avertissent contre les risques d’une absolutisation de la Catastrophe (avec une majuscule), laquelle peut produire un effet « stérile, démobilisateur », voire « antidémocratique » sur les populations ; la situation est catastrophique, mais les discours catastrophistes qui exploitent parfois à mauvais escient les données de la science court-circuitent le temps de la décision politique ou de l’action citoyenne (Face à l’effondrement – Militer à l’ombre des catastrophes, PUF, 2019).

Comment se fait-il en effet que ces travaux qui examinent patiemment les récits de la catastrophe écologique, fassent de manière générale l’impasse sur la fonction des images.

D’autres auteurs, dans le prolongement de Günther Anders ou de Bruno Latour, militent pour un « apocalyptisme critique » ; c’est le cas de Jean-Paul Engélibert pour qui penser la fin du monde, à condition de s’en imprégner très fortement, transforme l’affect de peur qui l’enveloppe en un vecteur esquissant un « déploiement des possibles » dans notre présent agité (Fabuler la fin du monde – La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019). Demeure toutefois pour nous une énigme. Comment se fait-il en effet que ces travaux comme d’autres de haute volée, qui examinent patiemment les récits de la catastrophe écologique, fassent de manière générale l’impasse sur la fonction des images dans les angoisses que cette catastrophe suscite comme dans la prise de conscience qu’elles provoquent, ou pas, du désastre actuel ? Le cinéma n’est certes pas absent d’une bibliographie qui tente de construire les outils pour appréhender une histoire contemporaine tourmentée.

Engélibert consacre ainsi des pages inspirées à Melancholia de Lars Von Trier (2011), y voyant un contrepoint aux productions hollywoodiennes où dominent les films de genre « apo » (pour « apocalypse »), conçus dorénavant comme de simples avatars du cinéma d’action mainstream. Dans Melancholia, la fin du monde s’infiltre dans l’ordinaire des existences et devient l’occasion d’une généalogie de la vie en commun à partir d’un noyau familial lui-même en déshérence. Le commentaire en reste cependant presque exclusivement au niveau de la « fable », de l’histoire que le film raconte et de la façon dont il la raconte ; commentaire nécessaire, mais qui privilégie la mise en récit au détriment d’une mise en scène qui n’est pas moins décisive dans le traitement de la catastrophe.

Un constat similaire peut naître de la lecture d’un autre ouvrage qui interroge les « mythologies de la fin du monde », se focalisant comme les précédents sur le « schéma narratif » à l’œuvre dans ce qui se rapporte habituellement à la « médiatisation des thèses environnementales ». Dans Les Ecofictions, Christian Chelebourg décrit souvent avec justesse ce qui « fait appel à l’invention narrative pour diffuser le message écologique » ; de fait, son investigation porte moins sur la composition des images que sur les « discours » dont elles servent de support. Le « schéma narratif » qui enveloppe ces discours serait schématiquement le suivant : il y a d’abord la « situation initiale, l’harmonie de la nature ; [puis les] péripéties, les dégâts environnementaux ; [ensuite, l’]élément de résolution, la recherche en écologie ; [enfin, la] situation finale, désastre ou salut, au choix, selon que l’on aura bien ou mal agi, selon que l’on aura pris ou non les bonnes décisions, adopté ou non les bons comportements ».

Ce récit dominant se retrouve dans diverses pratiques (le cinéma, la littérature), sans être pour autant l’apanage d’aucune d’entre elles ; il nous autoriserait surtout à cerner « l’imaginaire d’une époque », pris dans une dialectique entre le sauvetage improbable de la planète par l’humain et son irrémédiable déclin qui désigne aussi bien notre désespérante inaptitude à enrayer les dégâts de l’anthropocène.

Voilà pour un aperçu des énoncés de la catastrophe et des codes narratifs qui les accompagnent d’ordinaire. Mais qu’en est-il des visibilités observées pour elles-mêmes, c’est-à-dire sans la médiation de ces codes qui contrarient en définitive le rôle que l’image peut jouer dans l’entretien de nos angoisses climatiques, de nos capacités et surtout de nos incapacités à agir pour sauver quelque chose, autant qu’il est possible ? Tenter de déplacer notre regard vers les composantes de l’image écologique, que cette image soit fixe ou animée, artistique ou pas, ne signifie pas faire abstraction des formes de récit qui en émanent, que celles-ci relèvent d’un traitement médiatique, d’une œuvre « apo » ou encore des hypothèses collapsologistes. Au contraire, ce déplacement perceptif a pour vocation à affiner la portée critique des discours, à envisager leur renouvellement, voire leur régénération à partir d’un examen des puissances de l’image : ses puissances éventuellement salvatrices, comme ses pouvoirs mortifères si elles ne font que reconduire une feinte indifférence à l’égard d’une situation qui exige pourtant qu’on en sorte au plus vite.

Plusieurs raisons devraient justifier cette immersion dans la matière sensible des représentations de la catastrophe écologique, tandis que l’image semble constituer un point aveugle du débat écologique aujourd’hui, quand elle n’est pas un obstacle épistémologique pour les chercheurs et les scientifiques qui en font un usage principalement illustratif. Signalons d’abord l’extraordinaire monotonie des choix iconographiques qui rythment les reportages sur les ouragans, les incendies de forêt ou encore la fonte des glaces. Si l’on compare par exemple les images de l’ouragan Florence qui s’est abattu sur l’Atlantique Nord fin août 2018 et l’ouragan Dorian qui a en partie dévasté les Bahamas début septembre 2019, nous constatons qu’elles rendent pratiquement indiscernables ces deux catastrophes naturelles qu’amplifie le réchauffement climatique.

Au moins cinq espèces d’images reviennent de manière récurrente dans la presse écrite comme dans les journaux télévisés à ce sujet : la vision satellitaire de l’œil de l’ouragan ; les voitures qui flottent de façon hiératique dans les faubourgs des villes inondées ; les maisons détruites par l’ouragan, avec des éléments de la sphère privée (des toilettes, une baignoire, un lit, etc.) qui se retrouvent projetés dans l’espace public ; des vues aériennes témoignent de la dévastation d’un paysage essentiellement urbain ; des habitants spectateurs du déchaînement de la nature enregistrent ce qu’ils voient au péril de leur vie, etc.

Ces images, malgré la désolation qu’elles donnent à voir, sont toujours plus ou moins « belles », à savoir bien cadrées – les éléments dans l’image s’organisent le plus souvent à partir d’une figure centrale –, sans détail incident qui viendrait perturber l’esthétisation de la prise de vue – des retouches accentuent même parfois les contrastes de couleurs, dramatisant ainsi son contenu –, esthétisation qui tend fatalement vers une spectacularisation de la catastrophe. Tout se passe en fait comme si la photographie de presse ou les reportages télévisés sur ces désastres de plus en plus fréquents trouvaient leur source d’inspiration dans les blockbusters sur l’écologie.

Le cas du film de Roland Emmerich, Le Jour d’après (The Day After Tomorrow, 2004), est significatif à ce propos, puisque toute l’iconographie médiatique semble provenir des scènes de ce film qui a constitué un tournant dans les « éco-films » à tendance apocalyptique. Notre rapport visuel à l’information est ainsi recouverte par des productions filmiques qui, indépendamment de la question de leur objectivité scientifique, façonnent notre perception des phénomènes écologiques. Ainsi s’explique sa fondamentale monotonie comme l’indifférence irréversible qu’elle crée malgré l’esthétique du choc qui est la sienne.

La portée d’une esthétique du choc est devenue désuète en matière de condamnation du péril écologique.

Car c’est bien une onde de choc dans l’opinion publique que cette iconographie de la catastrophe entend déclencher. Les esprits les moins cyniques diront qu’un tel choix iconographique a pour finalité d’inscrire un affect d’effroi dans les consciences, et par cet effroi parvenir enfin à trouver les moyens d’agir sur le présent. Mais cette hyper-spectacularisation du désastre écologique nous y habitue en fait davantage qu’elle ne crée un pas de côté dans nos manières de l’observer. Car il s’agit bien d’expérimenter une observation autre de ce désastre à partir d’images elles-mêmes renouvelées de la catastrophe, fabulée ou pas, dont on peut parier qu’elles seront moins indigentes que les précédentes en termes d’effets obtenus.

Le problème n’est pas seulement que les médias dominants persévèrent dans la diffusion à grande échelle d’une imagerie dont tout le monde sait que l’efficacité est nulle ou presque, comme en témoignent entre autres les surenchères inutiles de CNN dans sa rubrique  Extreme Weather. Il réside dans le fait que les associations militantes elles-mêmes s’en emparent, comme si aucun effort n’était fait pour questionner la portée d’une esthétique du choc devenue désuète en matière de condamnation du péril écologique.

Exemplaire nous paraît à cet égard une vidéo postée en juillet 2019 sur la chaîne YouTube d’Extinction Rebellion, qui reprend un discours de Harrison Ford prononcé lors du « Global Climate Action Summit » en septembre 2018. S’y insèrent au fil des thèmes abordés par Ford des images qui oscillent globalement entre des manifestations de la catastrophe en cours et une nature immaculée, sorte de paradis perdu qui peut seulement susciter un vague sentiment de nostalgie devant des paysages voués à disparaître.

Cette vidéo nous propose ainsi un montage parallèle édifiant : outre une certaine redondance entre la parole de l’acteur américain et l’enchaînement des images qui s’y superposent, on peut dire d’une part que celles-ci reprennent une archive stéréotypée des événements qu’elles sont censées dénoncer : tempêtes de sable perçues en accéléré, traces de forêts calcinés saisis par un drone, iceberg en décomposition enregistré depuis un hélicoptère, feux qui ravagent la Côte Ouest des États-Unis diffusés au ralenti, etc. Où l’on retrouve ce mélange d’esthétisation et de dramatisation qui est désormais la marque de fabrique du spectacle de la catastrophe écologique. De l’autre, nous voyons les visages souriants de populations autochtones et coupées du monde (en Amazonie, sur le continent africain, etc.), qui sont elles-mêmes menacées d’extinction si n’est rien fait pour stopper les ravages de l’action humaine sur la nature.

Ces séquences réhabilitent immanquablement le mythe du « bon sauvage », et il est frappant de constater qu’un mouvement plus que légitime de défense de la planète véhicule par ce montage une vision aussi occidentalo-centrée. La parole de Ford, supposée nous inciter à une action rédemptrice, devient encore plus inaudible ; les angoisses qu’elle est présumée véhiculer sombrent dans la banalité d’un montage d’images qui reste d’un bout à l’autre inoffensif.

Il faudrait enquêter plus systématiquement sur la place de l’image dans le discours militant écologique : voir quelles iconographies il mobilise, savoir quels effets il prétend avoir à partir de ce qui est vu. Il serait intéressant, dans cette perspective, de considérer cette part du visuel dans les prises de position de Greta Thunberg. La jeune suédoise, dont la parole possède à un niveau mondial un écho impressionnant et légitime, a souvent indiqué que les images du continent de plastique au large du Pacifique Nord comme la vidéo de l’ours polaire décharné diffusée en 2017 ont été décisives dans son désir acharné de défendre la planète quoi qu’il arrive.

Contrairement à ses camarades de collège, comme elle l’a avoué à plusieurs reprises, ces images la hantaient, elle n’en dormait plus la nuit : une vocation de cette importance peut ainsi naître de la vision de ces images par ailleurs massivement partagées sur les réseaux sociaux, même si frappe, là encore, l’extrême homogénéité des photographies ou des captures d’écran qui circulent sur internet ou les réseaux sociaux, occultant par-là mille détails suggestifs au sein de ces séquences qui renvoient à une réalité aussi scandaleuse que saisissante. Quel cheminement ont suivi ces images dans l’esprit de Greta Thunberg, et quels usages fait-elle plus globalement des représentations de l’effondrement climatique, maintenant que sa parole est entendue à un niveau planétaire ?

La visite de son compte Instagram se révèle déceptif à ce propos. Là où nous aurions pu attendre un assemblage de photos qui se hisse à la hauteur d’une énergie d’activiste inégalée – un choix d’images qui, sans vouloir créer un choc moral chez le regardeur, le place dans un état de sidération proche de celui de la Suédoise –, nous trouvons un ensemble de portraits photographiques réalisés par des proches (mais pratiquement pas de selfies). Nous découvrons ainsi Greta à l’ONU lors de son discours mémorable du 23 septembre 2019 ; sur le bateau qui la porte depuis le continent européen vers la ville de New York ; chez elle, en Suède, avec son carton-emblème à la main « Skolstrejk för Klimatet » (« Les écoles en grève pour le climat ») ; en couverture de magazine (dont l’édition britannique de GQ)… Autrement dit, le compte Instagram de Greta Thunberg consolide le statut d’icône qu’elle est déjà depuis plusieurs mois, rabattant sur sa seule personne une cause qu’elle est pourtant la première à signaler comme dépassant sa propre individualité.

Greta Thunberg renvoie à la figure du héros solitaire .

Parler d’auto-promotion dans ce cas précis relèverait de la malveillance, d’autant qu’il y a un parallèle plus souterrain qui relie l’activisme de la Suédoise à l’héroïsation dont elle fait l’objet sans doute malgré elle, et dont son image disséminée sur les réseaux sociaux est le symptôme. C’est que la figure du héros caractérise éminemment les grosses productions hollywoodiennes sur l’écologie. Comme le montrent Robin L. Murray et Joseph K. Helmann dans un ouvrage-clé sur « l’éco-film », cette figure renvoie en effet à un héros solitaire qui possède lui-même deux visages : celui, d’une part, du « pionnier tragique » qui entrevoit le drame écologique poindre à l’horizon, et d’autre part, le « constructeur de communautés », qui tente d’associer à sa cause des populations toujours plus grandes, toujours plus importantes[1].

Greta Thunberg combine très certainement ces deux visages, même si résonne par ricochet à nos oreilles la question posée par Foucault dans les années 1970, à une époque où les rédacteurs des Cahiers du cinéma l’interrogeaient sur la représentation des luttes à l’écran : « Peut-on faire un film de lutte sans qu’il y ait les processus traditionnels de l’héroïsation ? », ces mêmes processus qui recodent la mémoire des soulèvements dans l’histoire, leur soustrayant parallèlement un potentiel de rupture de nature impersonnelle. Question que l’on pourrait poser aux artisans d’images qui entendent lutter contre le réchauffement climatique : peut-on réaliser un film écologique qui ne tomberait pas dans le double travers de la spectacularisation de la catastrophe et de l’héroïsation de celle ou celui qui nous en sauverait ?

L’histoire du cinéma moderne ou contemporain n’est pas exempte de réalisations où ce double écueil est évité, échappant ainsi à une esthétique du choc pour en ébaucher une autre dont l’efficacité ne peut être postulée. Signalons au moins trois d’entre elles, qui entretiennent chacune différemment un rapport neuf à l’angoisse climatique. En 2014, Tomonari Nishikawa réalise Sound of a million insects, light of a thousand stars, un court film expérimental sur la catastrophe de Fukushima : un jour de juin de la même année, il enterre dans le sol à 25 km de la centrale nucléaire un bout de pellicule 35 mm, qu’il récupère 24h plus tard. La vidéo, totalement abstraite, laisse apparaître toutefois des accrocs ou des biffures bleues sur la pellicule, provoqués par la radioactivité des sols aux alentours de la centrale.

Le spectateur ne voit rien, ou presque, mais cette absence de figuration, outre qu’elle le distingue de toutes les images habituelles de la catastrophe, le conduit à imaginer celle-ci autrement, en plus de rendre sensible, même par l’informe, une toxicité qui appartient au domaine de l’invisible. Dans un tout autre registre, Abel Ferrara filme en 2011 les temps de la fin de l’humanité, que Pierre-Henri Castel a théorisés à sa façon dans son ouvrage Le Mal qui vient (Cerf, 2018). Dans 4h44, Ferrara filme le  dernier jour sur Terre  (c’est le sous-titre du film), et la singularité de sa mise en scène comme de sa direction d’acteurs est de ne tomber dans aucune forme d’hystérisation, alors même que les personnages traversent de vraies crises (conjugales, amicales, familiales, etc.) : nous assistons aux dernières heures de l’humanité, retransmises en direct à la télévision, dans un calme extrêmement dérangeant, littéralement terrifiant, que les mille effets spéciaux du film d’Emmerich cité plus haut n’atteindront jamais.

Plus loin de nous, Robert Bresson s’essaie dans Le Diable probablement, sorti sur les écrans en 1977, à une remise en question radicale de la parole écologique engagée ; Bresson y tente en effet, à travers un groupe de jeunes militants verts, une véritable déconstruction de leur discours, en montrant comment celui-ci peut devenir une péroraison vaine s’il ne parvient pas à s’élever au niveau de ce que les images nous donnent réellement à voir : un monde qui va déjà à sa fin, comme le montre un documentaire d’archives monté par Bresson, puis inséré dans le film, et dont la succession d’images catastrophiques est délestée de tout catastrophisme, ce qui redouble l’anxiété que cette séquence documentaire provoque. Le Diable probablement est l’un des grands films qui annonce l’anthropocène, et la critique radicale qu’il propose de la parole militante nous laisse encore dans un désarroi profond.

À moins que Bresson nous exhorte à sa manière à reconsidérer le pouvoir du cinéma dans la lutte contre la mise à sac de la planète. Dans ce film en apparence sans issue qui diagnostique l’inanité des énoncés sur le désastre climatique, pointe probablement un ultime salut du côté des images : les possibles que celles-ci charrient malgré tout – loin du choc hyper-spectaculaire comme de l’héroïsation convenue –, nous sortiront peut-être d’une indifférence à peine coupable et que, enfin transis par elles, nous verrons quelque chose de la catastrophe sans que plus rien ne fasse écran entre elle et nous.

 


[1]   Cf. Robin L. Murray, Joseph K. Helmann, Ecology and Popular Film – Cinema on the Edge, New York, Suny Press, 2009.

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