11 Juin 2019
Message de Sadek Hadjerès,
compagnon de lutte de Maurice et Josette Audin lors de la guerre d’Algérie
11 juin 2019
En ce jour où les cendres de Josette Audin ont été dispersées au Jardin du souvenir du cimetière du Père-Lachaise, et où nous inaugurons le cénotaphe en l’honneur de Maurice Audin, je voudrais évoquer deux souvenirs précis, qui me restent gravés dans la mémoire, de mes rencontres avec Maurice et Josette Audin.
Tous deux étaient membres du parti communiste algérien, dont j’étais l’un des responsables, et qui avait décidé en mars 1955 de participer à la lutte d’indépendance nationale du peuple algérien déclenchée par le FLN, tout en gardant ses propres formes de lutte politique et militaire.
Le premier souvenir concerne ma visite, le 13 septembre 1955, le jour même où le PCA a été interdit en raison de cette orientation, à Maurice Audin, à Alger, dans leur appartement où Josette était aussi présente. Il y avait aussi Claude Duclerc, le secrétaire de la section du Plateau à laquelle appartenait la cellule dont Maurice et Josette étaient membres. Ma visite se situait dans le cadre d’une tournée auprès de quelques responsables du parti pour leur expliquer cette orientation et la forme de militantisme que chacun devait adopter. J’ai mis Maurice Audin au courant des choix politiques du parti, y compris de l’existence de sa branche armée, les Combattants de la Libération, les CDL, et j’ai discuté avec lui de ses propres activités dans ce contexte.
Je m’en souviens très bien — d’autant que… le 13 septembre était en même temps le jour de mon anniversaire… Maurice Audin était pleinement d’accord avec la position du parti de participer à la lutte armée déclenchée par le FLN, mais il fallait éviter les interférences entre les différents secteurs d’activité et nous avons convenu qu’il devait poursuivre son travail politique auprès des lycéens, étudiants et enseignants du secondaire et du supérieur, parmi lesquels beaucoup d’entre eux, d’origine algérienne ou européenne, dénonçaient la répression et demandaient une solution politique à l’insurrection qui venait d’être déclenchée. C’était un travail où il était très à l’aise. Il était très souvent au Foyer des étudiants musulmans, il y avait beaucoup d’amis, il se considérait comme algérien comme eux et participait à toutes les conférences et manifestations anticolonialistes.
Je me souviens très bien de cette rencontre dans leur appartement. Josette et lui avaient déjà un enfant, et je revois l’image, avant de les quitter, de Maurice et Josette qui était enceinte, montrant le berceau de leur enfant à naître et le voile de tulle qui le recouvrait. C’était une image vraiment touchante. Je n’imaginais pas que vingt mois plus tard, ce bébé deviendrait orphelin.
J’ai revu Josette une deuxième fois durant la guerre, en 1958. Malgré le malheur qui l’avait durement frappée, elle n’avait pas baissé les bras et coordonnait la solidarité aux familles des prisonniers politiques internés à la prison de Barberousse, en liaison étroite avec Djamila Briki, la femme de Yahia Briki, auteur de plusieurs attentats organisés par les CDL, qui y était incarcéré après avoir été condamné à mort. Djamila Briki était supposée travailler chez Josette Audin comme femme de ménage, ce qui légitimait leurs contacts, et, tous les jours, elle se rendait devant la prison pour organiser les protestations des femmes de détenus. Nous avions décidé que ma rencontre avec Josette à ce sujet ait lieu dans un de nos locaux les plus clandestins qui servait aussi d’imprimerie. Elle y était arrivée après un parcours de sécurité compliqué et épuisant, sous un soleil de plomb et portant dans ses bras son dernier né que Maurice n’avait pas connu. On y montait par un immense escalier et elle était arrivée tout essoufflée et congestionnée, mais elle avait ensuite discuté avec moi avec le plus grand calme du développement de l’action avec les familles de détenus, qu’ils soient membres du FLN ou bien des CDL comme Yahia Briki, le mari de Djamila.
Ces deux moments avec Maurice et Josette Audin restent à jamais gravés dans ma mémoire. Et aujourd’hui le fait que la place Maurice Audin à Alger représente un symbole pour les manifestations démocratiques actuelles m’émeut particulièrement.
Que leur souvenir reste à l’esprit du peuple algérien, épris, aujourd’hui comme hier, de justice, de démocratie et de liberté !
Sadek Hadjerès.