19 Septembre 2017
Les Métropoles se ressemblent elles ?
Lorsque le programme POPSU2 a commencé, l’État, en l’occurrence le PUCA, avait demandé que les recherches portent sur des villes susceptibles d’accéder au statut institutionnel de métropole, tel qu’il se dessinait à l’époque.
C’est dire que nous sommes partis d’une liste de villes établie à partir d’un nombre d’habitants et non d’une définition claire et transversale (économique, géographique, sociologique, urbanistique, écologique) des métropoles.
Peu à peu cependant, les différentes équipes, dans leur travail de recherche et dans leur dialogue avec les acteurs locaux, ont construit un ensemble de questionnement sur les métropoles.
Nous avons soumis leurs travaux à des chercheurs étrangers ou travaillant à l’étranger (Allemagne, Canada, Italie, Japon, Grande Bretagne, Suisse). Ceux-ci les ont lus et commentés au regard de leurs propres expériences et de leur insertion dans la recherche internationale.
A partir de cet ensemble se dégage une problématique de la Métropole dans un monde incertain, dont je voudrais ici vous présenter une synthèse, qui n’est que personnelle.
Pour ce faire je partirai d’une question à laquelle j’essaierai de répondre : les métropoles se ressemblent elles ?
La métropole est un objet flou. Paradoxalement, on s’est beaucoup plus préoccupé de définir le processus -la métropolisation- que l’objet -la métropole.
Si l’on s’en tient à ce que dit la littérature scientifique des dernières décennies, la métropolisation caractérise d’abord une organisation territoriale polarisée par les villes et la montée en puissance des grandes villes.
Mais les spécialistes l’associent habituellement à la mondialisation, dans ses diverses définitions. Ils s’accordent sur l’importance de l’économie de la connaissance, sur celle de l’innovation, des services aux entreprises et de la fonction financière, et sur celle du couple accessibilité/attractivité, donc de la présence de flux toujours renouvelés et toujours importants de marchandises, d’idées et de personnes.
La métropolisation c’est aussi la capacité d’entrer dans des réseaux d’échange d’échelles diverses et de polariser fortement les territoires. Certains chercheurs évoquent également la diversification des modes de vie, le cosmopolitisme, la multiplicité des acteurs contribuant à l’action collective, la dualisation sociale ou encore certaines caractéristiques environnementales (artificialisation des sols, îlots de chaleur, pollution).
On pourrait même présenter la métropolisation comme l’expression d’une nouvelle modernité, typiquement urbaine. Cette modernité là, totalement associée au numérique et aux nouveaux usages qu’il entraîne, s’opposerait à la modernité des trente glorieuses –celle de la consommation de masse et de la confiance aveugle dans le progrès-.
Elle s’y opposerait avec l’hyper valorisation de la culture qui entraîne souvent sa transformation en marchandise, l’hyper individualisation des sociétés, l’ubérisation comme nouveau rapport au travail, le recours effréné aux services, la religion de l’innovation, mais aussi un certain gout du cosmopolitisme et de la tolérance et un plus grand respect de la nature, et de la planète en général.
En poussant plus loin le raisonnement on monterait que la métropolisation n’est pas seulement la conséquence de la mondialisation mais qu’elle est également une des forces qui contribuent à son développement.
Bref, les limites de ce qui constitue la métropolisation ne sont pas fortement fixées mais on voit clairement que cela va bien au delà du niveau de population et même de la puissance économique des villes.
Pour celui qui gère les villes ou les territoires, qu’il soit élu ou technicien, la métropolisation est une ressource, un enjeu, un sujet d’inquiétude.
Inquiétude de ne pas en bénéficier, de voir les entreprises dépérir et se délocaliser sans être remplacées ; inquiétude de se trouver enclavé faute d’infrastructures de transport ou de fibre optique ; inquiétude de perdre son attractivité, et même de perdre sa substance au profit de villes plus métropolisées.
Enjeu qui tient en quelques mots : attirer des activités productrices de valeur ajoutée et appartenant aux nouveaux secteurs de développement de l’économie, attirer les diplômés et les porteurs de projets, devenir toujours plus accessible et toujours plus attractif, faire l’événement et faire le buzz, et bien sûr satisfaire des habitants qui ont appris – car c’est là une composante de la métropolisation- à comparer les villes et à adopter des attitudes de consommateurs à leur égard.
Ressource enfin, car la métropolisation donne de la puissance, crée de la richesse –et des ressources fiscales- et peut favoriser une bonne image, pour l’extérieur et pour les habitants.
Mais qu’est ce alors qu’une métropole ? C’est, dira-t-on simplement, le résultat de la transformation des villes par la métropolisation. Mais encore ?
Beaucoup de villes –et pas seulement les plus grandes- sont touchées par la métropolisation, et c’est bien ce qui met en danger celles qui ne le sont pas. Mais les différences de degré dans la métropolisation deviennent des différences de nature.
Certaines villes affectées par la métropolisation restent fondamentalement ce qu’elles étaient précédemment en termes d’économie, de société et d’organisation de l’espace. D’autres connaissent une transformation radicale, y compris en donnant un sens complètement nouveau à la ville ancienne, comme cela s’est produit dans l’ancien port de Londres, ou à Barcelone pour ne prendre que deux exemples parmi cent.
Certaines villes subissent la métropolisation ou même en bénéficient, mais en n’ayant presque aucune maîtrise des processus qui la produisent, alors que d’autres peuvent peser sur ces processus, ou même contribuer à les initier. Une ville qui reste largement ce qu’elle est et ne maîtrise en rien les processus de métropolisation, même si elle en bénéficie, n’est pas une métropole. Parmi les autres, il y a évidemment des degrés.
Empiriquement, considérons une ville ou se trouve un ou plusieurs magasins Hermès (Louis Vuitton est moins sélectif), une université du top 100 de Shanghai ou de tout autre classement d’excellence, un milieu culturel underground, un port, des gares et un aéroport importants (ceux que l’on trouve dans les classements internationaux), une bourse et des établissements financiers, un palais des congrès qui peut recevoir les congrès mondiaux – par exemple les congrès médicaux-, un musée d’art contemporain ou un opéra dessiné par Franck Gery -ou un autre star-architecte- des établissements de recherche-développement de multinationales, et aussi de nombreux tiers lieux ( espaces de co-working, lieux hybrides, fab’labs et autres), des services de pointe dans les hôpitaux, une grande quantité de start-up, des cabinets d’avocats spécialisés en droit des affaires international, droit de la propriété intellectuelle, droit international de l’environnement .
Une ville dans laquelle un diplômé peut faire carrière en changeant plusieurs fois d’entreprise, d’administration ou d’université, et dans laquelle ce que Richard Florida appelle la « classe créative » ou ce que la statistique française, avec beaucoup moins d’ambition et beaucoup plus de crédibilité, appelle cadres des fonctions métropolitaines est nombreuse.
Cette ville là est une métropole, quelle que soit sa population, et si vous avez dix millions d’habitants avec bien peu de tout ces éléments vous n’êtes pas une métropole.
Quelle que soit la population, vraiment ? Pour atteindre un tel niveau ne faut il pas une masse critique en matière de population ? On y reviendra.
Quoiqu’il en soit, lorsque tout cela est rassemblé quelque chose d’autre s’y ajoute. Si l’on se tourne avec Marshall vers les références économiques on dira qu’une atmosphère métropolitaine apparaît, et si l’on choisit Simmel et la sociologie on parlera d’une civilisation des métropoles qui s’affirme.
A ce stade de mon exposé, je suis sûr que vous appréciez l’art avec lequel je m’obstine à ne pas donner de chiffres précis. Et pourtant il en existe de bons, qui en se combinant peuvent permettre de définir des catégories de villes ou de métropoles. Cela a été fait, et souvent très bien. Mais je veux insister sur la dimension qualitative des seuils et sur l’importance qu’il y a à élaborer des types –et non des catégories- de métropoles qui ne soient pas simplement le résultat de l’interaction entre des classements, mais celui d’un raisonnement d’ensemble sur chaque ville.
Il se peut qu’à partir de quelques indicateurs statistiques Hambourg et Milan se trouvent dans la même catégorie, pourtant il existe bien un type métropolitain milanais, différent du type hambourgeois.
Car tout particulièrement en Europe, mais aussi partout où la métropolisation ne se limite pas aux villes nouvelles, elle s’applique à des villes qui ont une histoire, une géographie, une identité.
Pour les caractériser on doit notamment prendre en compte leur mode d’inscription dans la mondialisation – quelle est par exemple la stratégie de Marseille vis à vis des routes maritimes mondiales ?-, leurs rapports avec d’autres villes et avec les territoires avoisinant, les caractéristiques historiques de la société locale –par exemple la forte intégration des milieux économiques à Lyon et Lille-, les traditions et les caractéristiques actuelles du gouvernement local, les images de référence qui peuvent mobiliser les habitants et celles –les mêmes ou pas- qui sont données à voir à l’extérieur.
C’est pourquoi on ne peut pas se contenter de mesurer un ensemble de ressources à un moment donné, ni même des performances, même si ces deux éléments sont importants. Il faut y ajouter l’analyse des logiques économiques, sociales, spatiales et politiques à l’œuvre.
Par exemple, quelles sont les logiques qui caractérisent Milan et Lyon, dans leur développement, leurs systèmes de régulation, l’élaboration de leurs politiques, leur rapport aux éléments clé de la métropolisation, leur manière de réinterpréter et utiliser leur passé –industriel notamment-, leur fonctionnement politique ?
En particulier, comment gèrent-elles les ruptures que suppose le développement métropolitain dans des versions les plus récentes, celles du numérique, de la nouvelle industrie, de l’individualisation radicale ?
Autrement dit, quelle réalité concrète, quotidienne, y a-t-il derrière la communication, l’événement et la performance ? Et finalement en quoi les logiques lyonnaises et milanaises se différencient elles ou convergent elles ?
Si l’on raisonne à l’échelle mondiale, les métropoles semblent se répartir entre un nombre de types assez limité, parmi lesquels les « villes monde » et les métropoles portuaires. Cependant, des travaux menés aux Etats-Unis, par exemple ceux de Yonn Dierwechter à Tacoma montrent que la diversité des métropoles américaines ne doit pas être sous-estimées.
Quoiqu’il en soit, la force des métropoles européennes se trouve certainement dans leurs spécificités. En ce sens il faut se méfier des campagnes de communication et des évènements qui donnent des images très fausses de ces spécificités et ont tendance à tout couler dans le même moule. C’est d’ailleurs leur rôle et leur utilité, notamment pour rendre la ville attractive aux yeux d’opérateurs lointains mais importants qui utilisent des codes très simples : rappelons nous du temps ou la DATR vendait Nantes aux investisseurs internationaux comme « une ville à coté de Paris ». On en n’est plus là, mais il ne faut pas sous estimer ce besoin de simplification.
En même temps, la spécificité est une ressource qu’il faut exploiter car elle constitue une base positive pour la « coopétition », autrement dit la coopération dans la compétition –ou l’inverse.
La spécificité permet de trouver toutes sortes de complémentarités. Elle peut faciliter et même accélérer les capacités de coopération.
Encore faut-il connaître ses partenaires tels qu’ils sont et non à travers les filtres de la communication. D’ou l’importance de recherches comparatives, menées notamment dans la perspective d’une amélioration des capacités de coopération ou au moins de coordination entre les métropoles européennes.
La question de la collaboration nous ramène à celle de la masse critique.
La quantité ne fait pas tout et certaines mégalopoles –même capitales d’états- sont bien peu des métropoles.
Beaucoup de villes métropolisées ne parviennent pas à franchir le seuil qui ferait d’elles des métropoles, alors que des déjà-métropoles voudraient renforcer leur position.
Dans les deux cas, les critères sont simples : bénéficier de plus d’autonomie –donc de capacité à agir sur les facteurs de la métropolisation-, augmenter sa puissance dans les systèmes compétitifs, disposer de toujours plus d’éléments caractérisant la métropolisation, ceux que j’ai cités dans mon inventaire -un peu à la Prévert- ou d’autres.
Or on sait bien que par exemple les entreprises de service aux entreprises –même si elles opèrent sur un grand territoire –ont besoin de suffisamment de clients à proximité pour s’installer, qu’un grand opéra ou un grand stade ont besoin d’un public et que les lieux et équipements nécessaire pour que se développe le mode de vie « métropolitain » des diplômés et « créatifs » n’existeront que s’il y a suffisamment de gens pour les utiliser.
Est ce à dire que si tu n’as pas un million d’habitants tu n’es pas une métropole ? C’est une toute autre affaire !
Certes, le franchissement des seuils relève d’abord du développement endogène de la ville concernée et des politiques et projets qu’elle met en oeuvre, mais il peut se faire aussi à travers le raffermissement d’une aire métropolitaine ou le développement de réseaux métropolitains, qu’ils soient de proximité ou à l’échelle d’un très grand territoire.
Le cas des villes frontalières –notamment l’agglomération franco-valdo-genevoise ou Mulhouse-Bâle- illustre le renforcement d’aires métropolitaines. Selon nos collègues allemands, Francfort nous donne l’exemple d’une métropole-réseau qui tire une grande partie de sa force de cette caractéristique et, en Grande Bretagne, les neuf combined authorities –sortes de réseaux métropolitains- ne sont pas toutes centrées sur des grandes villes. Remarquons que dans les deux cas, tout repose sur le volontariat et reste peu encadré par une législation nationale.
Mais des réseaux à plus grande distance peuvent prouver leur réalité et leur efficacité.
Sur ce point, je m’en tiendrai à un exemple français, celui de la « métropole France » une idée soutenu de manière très convaincante par Pierre Veltz pour qui il existe un réseau métropolitain très fort, organisé entre Paris et les grandes villes du réseau TGV.
L’enjeu des aires métropolitaines ou des réseaux métropolitains est aujourd’hui critique au moins en Bretagne, dans l’ex région Rhône-Alpes, sur la côte méditerranéenne, et dans le bassin parisien. Souhaitons que, le moment venu, la loi française donne plus de capacités aux pôles métropolitains.
Bref, les métropoles européennes sont diverses et c’est cela qui fait leur force dans la compétition mondiale. Et pourtant, les métropoles se ressemblent.
Je le concède, le dire de cette manière c’est sacrifier à l’effet rhétorique, pourtant il est vrai que les métropoles, même quand elles ne se ressemblent guère, se trouvent confrontées à un ensemble de tendances, d’évolutions et de problèmes qui leurs sont communs.
Par ce qu’elles sont devenues très puissantes, par ce qu’elles jouent un rôle économique majeur, parce qu’elles sont porteuses de l’avenir, les métropoles se trouvent en première ligne sur plusieurs fronts qui commandent le destin de la planète et de l’humanité.
D’abord l’ensemble formé par le changement climatique, la question de l’énergie et celle de l’environnement.
Toutes sont confrontées au changement climatique et à ses conséquences ainsi qu’à la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Sans forcément qu’elles mobilisent les ressources qu’utilise Singapour pour faire face aux risque nouveaux que cela entraîne, elles ont des capacités d’action dans ces domaines, pour se protéger et, ce faisant, développer des savoir ou des procédés qui pourront être utilisés dans d’autres contextes et pour d’autres objectifs.
Capacité également pour inventer de nouvelles formes urbaines plus adaptées à la lutte contre le réchauffement et à la bonne gestion de l’énergie. Le verdissement des immeubles ou l’agriculture urbaine peuvent parfois prendre des allures d’anecdotes ou de gadget, mais il s’agit certainement de la première étape –et déjà les étapes suivantes se mettent en place- d’un processus nouveau et important.
Parce que c’est dans les métropoles que l’on produit le plus d’espace bâti, il est possible d’y expérimenter et d’y développer des immeuble ou des quartiers entiers utilisant des matériaux plus écologiques et des dispositifs nouveaux de production-consommation d’énergie (les smart-grids).
Même si la production d’énergie –notamment renouvelable- n’est pas forcément liée aux métropoles, celles-ci, en raison de l’importance de leur consommation et de leur capacité à innover et à gérer la complexité (que ce soit dans des dispositifs publics ou privés) sont appelée à jouer un rôle majeur dans la transition énergétique.
Du coup, dans ce domaine d’intérêt planétaire, la coopération doit l’emporter sur la compétition. L’échange de bonnes pratiques connaît de grands développements, mais il ne peut suffire, car il ne s’agit pas seulement de reproduire, mais de tirer des enseignements d’ordre plus général, qui puissent faciliter l’invention de dispositifs plus performants ou plus adaptés aux divers contextes.
Il faut donc comparer les manières de faire, les expérimentations, les modes de gouvernance, dans une démarche qui s’appuie solidement sur la recherche, en lien avec les acteurs des gouvernements urbains, les opérateurs privés et les « experts de la vie quotidienne ».
Dans un deuxième domaine, les métropoles se trouvent aussi en première ligne : celui de l’accueil.
Certes pour faire des affaires il faut être accueillante vis à vis des entreprises, de leurs cadres visiteurs ou appelés à s’installer ; pour avoir de grandes universités, il faut l’être vis à vis des étudiants et des chercheurs , mais cela va bien au delà.
Beaucoup de métropoles –même en Europe, où le fait est bien moins patent- ont connu un développement démographique récent considérable et, mécaniquement, vont continuer à croitre avec les enfants de leurs nouveaux habitants et l’allongement de la durée de la vie.
A l’échelle du monde, la population, actuellement de 7,2 Milliards, sera très probablement de 8,1 Milliards en 2025 et de 9,6 en 2050 –dont 2,1 à 2,4 en Afrique. De bons esprits –bien mal inspirés- pensent que tout ce flux pourrait aller vers les campagnes. Ce serait déjà un miracle qu’un quart puisse s’y retrouver et même que cesse le dépeuplement des campagnes. Donc, il faudra bien « caser » les autres.
Ils iront dans les métropoles, les autres villes et le périurbain et la pression la plus forte portera sur les métropoles et leur voisinage. Ajoutons les migrants climatiques, politiques, économiques.
Certes l’Europe se trouve en pleine stagnation démographique et elle ne risque guère de connaître de grandes migrations intérieure, mais à regarder ce qui se passe tous les jours en Méditerranée, peut on croire que les choses seront simples et qu’il suffit de s’entourer de barbelés ou de murs ?
Les métropoles seront les premières « cibles » visée par les migrants. Là encore, il s’agit d’aller au delà de l’échange de bonnes pratiques pour tirer des leçons un peu générales des diverses démarches en cours, notamment en Allemagne.
Une autre version bien moins dramatique de la question des migrations –ou si l’on veut des flux humains- mais pour autant pas anecdotique, est celle du tourisme de masse.
Les lieux les plus visités du monde (à l’exception de Las Vegas et des chutes du Niagara) se trouvent dans des métropoles ou à proximité, et toutes les métropoles, même celles qui n’avaient pas grand’ chose à montrer, ont cherché à développer les tourisme, en accueillant des grands évènements ou en créant des équipements spectaculaires.
Évidemment, tout le monde cherche le touriste qui paye et qui ne pose pas de problèmes, mais éviter le tourisme de masse n’a rien de facile actuellement. Il existe en outre une sorte de tourisme élitaire massif : les clients des Airbnb du Marais à Paris sont ils typique du tourisme de masse ? Surement pas. Pourtant, même si l’on n’est pas au stade de Barcelone, tout le monde (sauf les propriétaires j’imagine) s’accorde pour les trouver trop nombreux.
Tout cela illustre un véritable paradoxe des flux : on les cherche, on les crée et en même temps on en supporte difficilement les conséquences, qui s’avèrent souvent redoutables. Toutes les métropoles se trouvent soumises à ce problème.
L’hyper flux et ses problèmes ne concerne pas que le tourisme, mais tous les domaines de l’activité métropolitaine.
Le dynamisme entraîne l’hyper flux et ce dernier risque d’entraîner la thrombose, dans les déplacements bien sûr, mais aussi dans la gestion des données ou même dans le développement des innovations.
Si la métropole se caractérise par la destruction créatrice elle implique aussi un équilibre instable de sa fluidité, dans tous les domaines. Le risque serait de laisser la thrombose advenir, mais il serait aussi de geler la dynamique des flux à force de contraintes.
On voit que sur ce point c’est la finesse et l’efficacité des dispositifs de régulation qui se trouve en cause et qui peut faire l’objet de production de connaissances dans l’interaction entre chercheurs et acteurs.
D’un point de vue plus directement urbanistique, la question de l’hyper flux et du risque de thrombose débouche sur celle du polycentrisme.
Toutes les métropoles se posent cette question et cherchent des solutions : celles de Moscou ne ressemblent pas à celle de la métropole Milanaise qui elles mêmes diffèrent de celles que l’on pourrait imaginer à partir de l’actuelle morphologie de l’agglomération marseillaise.
Vouloir imaginer des modèles abstraits du polycentrisme – un peu à la manière de la théorie des places centrales- me paraît vain, mais structurer – à la fois un débat et une cumulation de connaissances sur ce sujet, en mobilisant aussi bien les modélisations mathématiques que les approches les plus empiriques, les plus opérationnelles et les plus proches de la vie quotidienne, me paraît extrêmement important pour l’avenir des métropoles.
Un troisième front est celui de la dite « ville intelligente ».
Les technologies numériques bouleversent nos sociétés et notre économie, et en premier lieu les métropoles.
Ces technologies changent la donne en amont en permettant la production d’énormément de données, qui pourront être transformées en informations, pour le commerce, la production de connaissances nouvelles (par exemple médicales), la gestion, notamment celle des villes, ou encore le contrôle des individus par les pouvoirs politiques ou les GAFA. Elles permettent la mise en place de nouvelles régulations (justement dans la gestion des flux) et la création d’une foule de nouveaux services, du plus incongru au plus indispensable. Elles posent également de nouveaux problèmes.
En amont celui des choix en matière d’installation de capteurs et d’utilisation des données provenant des objets connectés, ce qui appartient à la fois au domaine de la technique, des choix politiques et de la morale. En aval celui de la protection de la vie privée et du marché des données, avec une forte dimension éthique.
Entre les deux, un ensemble de questions, dont celles-ci : comment garder la maîtrise publique des données publiques ? Comment transformer les données en informations gérables et utilisables ? Comment assurer la cohérence entre des dispositifs d’autorégulation de grands systèmes (par exemple celui des transports en commun d’une agglomération) et la micro régulation individuelle opérée grâce aux applications diverses et les effets agrégés de leur utilisation.
Un seul exemple : il se peut que le système officiel de guidage des automobilistes soit organisé pour éviter que le flux automobile emprunte une rue dans laquelle se trouve une école, mais une petite application collaborative que nous connaissons tous bien, vous dira que celle rue est vide et qu’il faut passer par là : finie la protection de l’école. Or ceci n’est pas une exception, et risque de devenir la norme.
Je l’ai dit, le numérique multiplie l’offre des services, en particulier à la personne.
Les nouveaux métropolitains –dont on reparlera dans un instant- oscillent entre la recherche de l’hyper expérience et celle de l’hyper service, l’idéal étant de réunir les deux. Les gens de marketing imaginent les meilleurs moyens pour jouer sur ces deux registres.
L’hyper service va probablement connaître des développements considérables, tant il est facile d’imaginer des dispositifs à base de numérique et qui constituent un nouveau service –de l’ordre du gadget ou vraiment utile.
En même temps et très lié à cela, s’affirme l’ubérisation de la société. Les pessimistes y verront –non sans arguments- le signe d’une précarisation généralisée de la société. Les optimistes rappelleront qu’a ses débuts le salariat n’apparaissait pas comme un bien et parieront sur le développent d’une version socialement « vertueuse » de l’ubérisation.
Avec le numérique va l’innovation. J’ai parlé d’une obsession de l’innovation. De fait, qu’elle soit technologique, économique ou sociale, elle devient un critère majeur, par exemple dans l’évaluation des projets urbanistiques ou architecturaux publics et souvent privés.
Actuellement en France le débat sur la définition de l’innovation comme destruction créatrice, en référence à Schumpeter, est assez vif. Il montre notamment que si l’innovation nous est imposée pour réussir dans un monde extrêmement concurrentiel et en pleine révolution économique et technologique -le monde des métropoles-, sa dimension destructive doit être prise au pied de la lettre, en particulier pour les dégâts sociaux qu’elle produit.
A vrai dire, qu’on la stimule ou pas, l’innovation s’affirme, transforme sans cesse les marchés et redéfinit parfois les termes de l’action publique.
Si l’on distingue avec Christensen des innovations disruptives- qui introduisent des ruptures fortes- et incrémentales –qui se situent dans la continuité de ce qui précède-, on comprend que les premières posent des problèmes particuliers à l’action publique, surtout quand celle-ci vise le long terme.
En général il s’agit d’innovations technologiques qui rendent plus ou moins obsolètes des dispositifs prévus pour durer. Il pourrait en être un jour ainsi en ce qui concerne les grandes infrastructures de transports en commun urbains –ou au moins d’une partie d’entre elles-, par exemple grâce à l’association entre des véhicules électriques collectifs autopilotés et des applications permettant le transport à la demande de porte à porte en temps réel. L’étude de l’OCDE sur la mobilité partagée, qui développe une simulation sur le cas de Lisbonne, conduit à se poser ce genre de questions.
Et les métropoles sont prises entre trois contraintes : celle d’agir dans l’immédiat, celle d’essayer d’anticiper le long terme, et celle d’intégrer au plus vite les innovations technologiques disruptives. Là encore, toutes sont concernées.
Toutes connaissent également les développements de la civilisation des métropoles et les conséquences des nouveaux modes de vie qu’elle entraîne. Plutôt que de plaisanter sur les « bobos » (bourgeois bohèmes) prenons au sérieux une mutation sociologique qui commence par l’émergence massive des étudiants et des diplômés d’université dans la population des métropoles.
Rappelons que la population étudiante a été multipliée par cinq entre 1970 et 2007 alors que la population mondiale doublait à peine –si j’ose dire-. La féminisation progresse plus vite et le nombre d’étudiants en mobilité internationale également, les principaux pays pourvoyeurs étant la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, puis l’Allemagne, le Japon, la France.
La concentration des étudiants se fait particulièrement dans les métropoles. En France, la proportion de diplômés à Bac+5 et au delà dans la population non scolarisée de 15 ans et plus- donc sans les étudiants en cours d’études- est de 42,6% à Paris, de 29,3% à Lyon, 28,3% à Toulouse, 27,7% à Grenoble, les agglomérations de ces villes se situant 3 ou 4 points en dessous. Les résultats sont de 14,4% à Rodez –une ville qui par ailleurs va bien-, et de 10,6% à Chalons Sur Saône. A Shanghai la proportion des titulaires d’un diplôme universitaire correspondant à Bac+3 a doublé entre 2000 et 2010.
On ferait le même type de raisonnement sur la concentration des cadres fonctions métropolitaines (une statistique fondée sur le type d’activité et non le secteur d’activité), sur le nombre d’artistes ou de professionnels de la culture ou sur le nombre de start-upers. Or, toutes les enquêtes montrent que ces nouveaux métropolitains développent des modes de vie originaux et qu’ils ont des attentes spécifiques.
Souvent très ouverts sur le monde – une jeune femme m’a dit : pourquoi se marier alors qu’avec l’argent que cela coute on peut faire un voyage en Chine ou en Inde - ils partagent au moins partiellement une culture internationale –notamment en matière musicale, ils consomment beaucoup de services –notamment numériques- et ont de fortes attentes en matière de culture et de loisirs.
Ils cultivent leur individualité de multiples façons et sont de plus en plus sensibles à la thématique du développement durable, mais avec des entrées diverses, qui vont du réchauffement au mouvement Vegan. Ils changent peu à peu leur rapport au travail.
Ce sont eux qui « donnent le ton » dans les métropoles, ce qui signifie que ces dernières doivent répondre à leurs attentes mais tout en évitant la rupture avec la société existante ou sa marginalisation.
Car les métropoles ne sont en rien le lieu de l’harmonie sociale ni celui d’un éternel jeu gagnant-gagnant.
Pour commencer, cette nouvelle population métropolitaine a ses gagnants et ses perdants, par exemple les hyper-diplômés précaires qui ne sont pas du tout sûrs de devenir des gagnants demain. Mais il y a aussi les orphelins des trente glorieuses qui perdent leur repères et craignent pour leurs enfants, les immigrés marginalisés, les victimes de la fracture numérique ou énergétique et tous ceux qui vivent difficilement les contraintes et les rythmes de la métropole.
Les travaux de terrains montrent en tout cas qu’en France ces fractures métropolitaines ont tendance à s’aggraver. Là aussi la confrontation internationale des expériences et des analyses s’impose.
C’est dire qu’il faut sortir d’urgence d’un faux débat que d’autres que moi ont fortement dénoncé : celui qui oppose les métropoles qui auraient tout et les petites villes et les campagnes condamnées à la déréliction. En sortir pour deux raisons.
D’abord parce que c’est créer un point aveugle sur les petites villes ou les campagnes qui réussissent, alors qu’elles peuvent nous en apprendre beaucoup et ont aussi besoin parfois d’encouragements. Ensuite parce que c’est s’interdire de regarder en face les contradictions, les violences, les risques internes du fait métropolitain.
Quelqu’un me dit : « alors, à quoi servent les métropoles ?».
Telle n’est pas la question : les métropoles existent. Elles sont le lieu où se fabrique le monde de demain pour le meilleur et pour le pire, et de ce fait leur destin concerne absolument tout le monde.
Elles sont donc responsables devant tout le monde.