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Pierre Mansat et les Alternatives

Luttes émancipatrices,recherche du forum politico/social pour des alternatives,luttes urbaines #Droit à la Ville", #Paris #GrandParis,enjeux de la métropolisation,accès aux Archives publiques par Pierre Mansat,auteur‼️Ma vie rouge. Meutre au Grand Paris‼️[PUG]Association Josette & Maurice #Audin>bénevole Secours Populaire>Comité Laghouat-France>#Mumia #INTA

Notre Dame, superbe tribune de Nancy Huston sur Le Monde.fr

« Tel un retour du refoulé, tous les grands mythes se sont précipités au chevet de Notre-Dame »

Par Nancy Huston, Ecrivaine

La romancière Nancy Huston constate, dans une tribune au « Monde », que la sécularisation des mœurs ne nous empêche pas de renouer avec une symbolique spirituelle.

« Nutrisco et extinguo », (« Je nourris le bon feu et j’éteins le mauvais »), dit la salamandre, cette créature de légende censée vivre au milieu des flammes, adoptée comme corps de devise par le roi François Ier.

Outre les raisons collectives, chacun de nous a ses raisons intimes d’être bouleversé par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Le lundi 15 avril, mon émotion à moi est venue du fait que j’ai vécu pendant des décennies dans le Marais, à un jet de pierre de la cathédrale, l’ai côtoyée en toutes saisons et sous toutes les lumières, ai aimé à la contempler depuis la librairie Shakespeare & Company, en face, ai amené mes enfants rendre visite à ses gargouilles, m’y arrête parfois, encore maintenant, pour allumer un cierge et penser à mes chers disparus…

Elle ressemble à une vieille grand-mère que ses enfants et petits-enfants adorent mais négligent ; ils sont partis vivre au loin, ont oublié les vicissitudes de sa longue histoire et abandonné ses valeurs. Mais quand elle a une crise cardiaque, au moment où ils manquent de la perdre, ils se rendent compte à quel point elle leur tient à cœur. Se précipitant à son chevet, ils se regardent et se rendent compte : « Mais… mais… on est une famille extraordinaire ! »

Bien que non croyante et même assez hostile à l’égard des institutions religieuses, j’entre régulièrement dans des églises, mosquées et temples du monde entier. Je les valorise en tant que lieux « à part », destinés au sacré, au silence, à la célébration, à la méditation, à la prière et à la musique…

Tous, nous sommes des créatures de symbole et de récit. Tous, nous nous racontons des histoires au sujet des villes que nous habitons. Leurs monuments, que nous connaissions bien ou mal leur passé réel, se marient à nos souvenirs et s’intègrent à notre identité. Même le cœur et les yeux des athées chérissent la grâce des arcs-boutants, portails gothiques, statues de marbre, rosaces, escaliers en colimaçon…

Questions de fond

Mais tout de suite après le drame, les surprises ont commencé. On pensait être fauchés ? Mais non on est riches, puisqu’on peut réunir 850 millions d’euros en trois jours pour la reconstruction. On pensait être laïques ? Mais non, on est catholiques, puisqu’il n’est soudain plus interdit de prier dans les rues de Paris. On pensait être rationnels, cartésiens, logiques ? Mais non, on est superstitieux, fétichistes, puisqu’on est soulagés de ne pas avoir perdu deux reliques qui valent une fortune.

Tel un retour du refoulé, tous les grands mythes de la France se sont précipités au chevet de la vieille dame, sans souci de cohérence. Patrimoine, Miracle, Héroïsme, Tourisme, Destin, Générosité, Moyen Age, Monarchie… Ah ! Il eût fallu être Roland Barthes pour recenser le feu d’artifice de mythologies jaillies du brasier de la cathédrale !

QUE REPRÉSENTE NOTRE-DAME POUR LES MILLIONS DE FRANCILIENS QUI HABITENT AU-DELÀ DU BOULEVARD PÉRIPHÉRIQUE ?

Le surlendemain de l’incendie, je n’avais plus qu’une envie : m’éloigner de tout ce brouhaha, quitter les hauts de Ménilmontant pour aller rendre visite à la grande malade. Comme le personnel hospitalier me repousse – « Désolé, pas de visites à l’heure actuelle, elle est dans le coma, nous pensons qu’elle survivra, nous faisons tout notre possible, mais la convalescence sera longue » –, mes pas dessinent un grand cercle autour de la cathédrale.

Merveille : sur les branches des arbres qui la jouxtent, les fragiles fleurs roses ont survécu aux flammes infernales et se balancent tranquillement dans le petit vent d’avril…

Debout sur le pont des Tourelles, parmi la foule de caméras du monde entier et leurs journalistes survoltés, je me dis qu’il faudrait profiter de cet événement spectaculaire, pour une fois sans victimes ni terrorisme ni malveillance, pour se poser doucement des questions de fond… Qu’est-ce qui est réellement précieux ? Que chérissons-nous ? Quelles sont nos valeurs ?

Le christianisme ? Mais Jésus (sans qui, en principe, il n’y aurait ni Eglise catholique ni Notre-Dame de Paris) s’est toujours identifié aux pauvres, aux affamés, aux malades, aux opprimés, aux piétinés, aux persécutés. Pas aux bâtiments. Pas aux couronnes d’épines. Il serait horripilé de savoir que l’on a fait d’un élément de son martyre un objet doré, et qu’on le préserve depuis deux mille ans. De même saint Jean pour sa tunique.

Nos grands auteurs ? Mais Victor Hugo défendait lui aussi les misérables. Dans Notre-Dame de Paris, La Esméralda est une gitane du Moyen-Orient accusée de meurtre ; Quasimodo, le bossu, l’arrache au tribunal et l’amène dans la cathédrale… « Asile ! Asile ! Asile ! », rugit-il, et la foule en délire l’applaudit.

Rebâtir l’impalpable

Paris ? Mais quel Paris ? Celui dont les monuments épatent les touristes ? Que représente Notre-Dame pour les millions de Franciliens qui habitent au-delà du boulevard périphérique ? Sur l’île de la Cité, le soir du 15 avril, on ne voyait pas beaucoup de visages non blancs… On n’en voit pas beaucoup les autres jours non plus… si ce n’est, piétinant devant la Préfecture de police, à 100 mètres de la cathédrale, les étrangers (dont j’ai longtemps fait partie) espérant se voir octroyer un permis de séjour.

Aujourd’hui, le centre de Paris est propre comme un sou neuf et la Cour des Miracles a été repoussée loin des yeux des touristes. J’habite près du boulevard périphérique. Depuis des années, une femme sans abri dort sur le pas de ma porte ; chaque jour, entre mon bureau et ma maison, je croise une dizaine d’hommes sans abri, sans emploi, sans nourriture et sans espoir. Ce n’est pas seulement un bâtiment qu’il s’agirait de reconstruire. C’est aussi ce que ce bâtiment était censé représenter : solidarité, amour, souci d’autrui, refuge… « Asile ! »

Dans sa préface au roman, Hugo raconte que, en « furetant » dans la cathédrale, il est tombé en arrêt devant un mot grec gravé dans un coin : « ananké », « la fatalité ».« L’homme qui a écrit ce mot sur ce mur s’est effacé, il y a plusieurs siècles, du milieu des générations, le mot s’est à son tour effacé du mur de l’église, l’église elle-même s’effacera bientôt peut-être de la terre. »Oui : le romancier avait prévu que Notre-Dame de Paris s’effacerait un jour, de même que son roman. La tragédie, c’est que sa pensée, aussi, comme celle de Jésus, comme celle de tant d’autres hommes et femmes porteurs de sagesse et de générosité, est trop souvent effacée, dénaturée, dispersée. Si l’on saisissait cette occasion de rebâtir, aussi… l’impalpable ?

Nancy Huston est l’auteure, entre autres, de « Lignes de faille » (2006), « L’Espèce fabulatrice » (2008) et « Lèvres de pierre » (2018), tous chez Actes Sud.

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